Du 15 au 21 janvier 2018, le pape François s’est rendu au Chili et au Pérou, respectivement les 32 et 33ème pays visités par le souverain pontife depuis son intronisation en mars 2013. Il s’est de nouveau livré à un exercice complexe, celui de mener parallèlement sa mission pacificatrice et de défense des populations marginalisées, et de tenter de raviver la foi catholique sur un continent marqué par de profondes mutations religieuses et culturelles.
Le présent article de l’Agence France Presse dresse un bilan en demi-teinte de ce voyage pontifical, en évoquant les raisons principales des réactions mitigées de la part des populations locales.
Deux pays symboles des difficultés et des fractures du catholicisme en Amérique du Sud
Le premier pape d’Amérique du Sud n’est pas en terrain conquis dans sa région d’origine. Déjà, lors de sa visite pastorale en Colombie en septembre 2017, il s’était heurté aux catholiques conservateurs qui lui reprochaient notamment ses prises de parole ambiguës sur l’homosexualité ou sa volonté de réintégrer dans la communauté de l’Eglise les divorcés-remariés. Le continent étant marqué par de nombreux courants théologiques opposés, le pape peine parfois à se situer, et à contenter à la fois les conservateurs, historiquement anti-communistes et qui ont soutenu les dictatures militaires dans les années 70 et 80, et les prêtres marqués par la théologie de la libération, rejetant fermement le capitalisme. Le souverain pontife se positionne à cheval entre ces deux pôles : il prend le parti d’une démarche pastorale vers les populations fragiles, mais il ne remet pas en cause les fondements des dogmes de l’Eglise.
Le souverain pontife argentin arrive à la mi-janvier dans un pays, le Chili, qui connaît, à l’instar de toute l’Amérique du Sud, une perte d’influence de l’Eglise catholique. Ce phénomène est accompagné par une augmentation de la présence et de l’influence des Eglises évangéliques, mais aussi par la montée de l’agnosticisme et de l’athéisme. Sur le plan politique, le parti démocrate-chrétien chilien, majoritaire il y a 20 ans mais en déclin progressif depuis, s’est effondré lors de la dernière élection présidentielle, récoltant 6 % des voix au premier tour contre 58 % en 1993. Ces diverses tendances sont à mettre en lien avec d’importantes évolutions de la société chilienne, citées dans l’article, qui créent un décrochage avec un antilibéralisme moral incarné par l’Eglise. Déjà en février 2015, l’Observatoire Pharos relayait le profond malaise du recteur de l’Université Catholique du Chili face au projet de loi visant à légaliser l’avortement.
D’autre part, la population chilienne n’a pas oublié le soutien massif du Saint-Siège au coup d’Etat du général Pinochet en 1973, ni le rôle ambigu qu’il a joué pendant l’exercice de son pouvoir dictatorial. Le pontificat de Jean-Paul II, très conflictuel, a en outre créé de nombreuses divisions parmi les catholiques, et a occasionné une perte de crédibilité de l’institution auprès des populations péruviennes et chiliennes. Celle-ci est accentuée par un lien de plus en plus distendu du clergé local avec les classes populaires.
Un pape qui investit ses thèmes habituels
Le pape François a lors de son voyage, et comme à son habitude, investi les enjeux sociaux et environnementaux, et pris la défense des groupes les plus fragiles. Cette démarche fait partie de l’entreprise générale de pacification du Saint-Siège, qui marque avec le pape argentin un retour particulièrement actif sur la scène internationale dans ce domaine. Si cette action peut prendre des formes spectaculaires, comme lors de la médiation entre Cuba et les Etats-Unis, ou lors de l’encouragement au processus de paix en Colombie, elle se fait la plupart du temps plus discrètement, autour de la problématique de la cohésion sociale. Ainsi, il a fait le choix de se rendre dans une prison de femmes, ou encore de rencontrer les indiens Mapuche au Chili ainsi que des populations indigènes d’Amazonie au Pérou, toutes marginalisées dans leurs pays respectifs. Lors de ses discours, il a de nouveau prononcé des messages d’égalité et de fraternité aux populations mais surtout aux gouvernements, en dénonçant discrètement les dérives de la corruption, les violences, et la destruction du patrimoine environnemental, spirituel, et culturel.
Une réponse maladroite aux scandales des abus sexuels
Le pape était particulièrement attendu par les catholiques chiliens, encore très majoritaires dans le pays, mais dont les relations avec le clergé se dégradent depuis quelques années, en raison des scandales d’abus sexuels impliquant des dizaines de prêtres dans le pays. En 2010, une vingtaine de religieux ont été dénoncés pour abus sexuels sur mineurs. Le nombre de membres du clergé impliqués dans ces scandales a augmenté ces dernières années, et représente environ 80 individus aujourd’hui.
L’article insiste sur la maladresse du souverain pontife argentin, qui après avoir exprimé sa « douleur » et sa « honte » sur ces sujets, s’est montré très amical avec Mgr Juan Barros, et l’a même défendu. Pourtant, l’évêque est accusé d’avoir tu les agissements pédophiles du père Fernando Karadima, condamné en 2011 par un tribunal du Vatican pour avoir commis des actes pédophiles dans les années 80-90. Le pape François avait déjà créé une polémique pour les mêmes raisons en janvier 2015, en nommant le prélat à la tête du diocèse d’Osorno. Cette fois-ci, en le défendant vigoureusement, le pape a échoué à atténuer la douleur et le choc encore très vifs de la société chilienne.
Image : Pope Francis in Venezuela (2016), By Long Thiên, Flickr, CC0 1.0