Mercredi 14 novembre, à la suite d’une altercation entre des gendarmes chiliens et des individus de la communauté de Temucuicui, en Araucanie, un jeune mapuche de 24 ans est décédé, recevant une balle dans la nuque. Cet évènement ravive les tensions entre l’Etat chilien et la communauté mapuche du Chili, compromettant l’accord de paix lancé par le Gouvernement.
Un accident controversé
Le mercredi 14 novembre, alors que des gendarmes poursuivaient un groupe d’individus suite à un vol de voiture dans la communauté de Temucuicui, une balle perdue a tué un jeune agriculteur mapuche de 24 ans, Camillo Catrillanca. Les forces de l’ordre ont déclaré qu’il s’agissait d’un accident, la victime n’ayant aucun lien avec le vol de voitures. Mais sa famille dénonce une exécution extrajudiciaire. En effet, Camillo Catrillanca était connu pour militer pour les droits du peuple mapuche.
Les évènements qui ont suivi la mort du jeune homme ont détérioré une situation déjà tendue dans la région. Les gendarmes présents lors de l’opération ont été accusés de destruction de preuves : l’un d’eux aurait supprimé une vidéo filmant la scène de l’accident. Quatre gendarmes présents lors de la scène ont été mis à pieds, et deux chefs régionaux des forces de l’ordre ont démissionné. Des incendies ont été déclarés le week-end suivant, et une manifestation a eu lieu le lundi 19 novembre pour réclamer le départ du Ministre de l’Intérieur, Andres Chadwick.
Ces évènements ravivent alors les tensions entre la communauté mapuche et l’Etat chilien, compromettant dans le même temps les tentatives de l’Etat pour ramener la paix en Araucanie.
Un bras de fer historique entre l’Etat chilien et la communauté mapuche
Le combat des Mapuches contre l’Etat chilien est ancien. Présents avant l’arrivée des colons espagnols, les Mapuches représentent aujourd’hui environ 7,6 % de la population du Chili. Ils ont vu leur territoire, l’Araucanie, se réduire progressivement. Ils ne disposent aujourd’hui que de 5 % des 10 millions d’hectares possédés avant la colonisation.
L’organisation de la population mapuche dans les années 1990 lui a permis d’accéder au devant de la scène politique au Chili. Les revendications des Mapuches sont essentiellement territoriales. L’objectif est la récupération des terres qui ont appartenu à leurs ancêtres. Certains groupes d’activistes demandent jusqu’à l’autonomie de la communauté au sein de l’Etat chilien. La communauté mapuche plaide également pour le respect de ses droits, régulièrement bafoués par l’Etat.
Ces dernières années, la lutte pour la récupération des terres s’est intensifiée. Les activistes mapuches ont de plus en plus recours à des actes criminels, comme la détérioration ou la destruction des biens des grandes firmes industrielles implantées dans la région, notamment forestières et hydrauliques. Face à la radicalisation des revendications, l’Etat réprime de plus en plus sévèrement.
La politique contestée de Piñera en Araucanie
L’attitude des gouvernements chiliens reste ambigüe face à la gestion de la question mapuche. Prônant la paix et déployant des efforts et des moyens pour l’atteindre, le gouvernement continue pourtant de criminaliser les activistes mapuches et de nier l’expression de leurs droits.
La reconnaissance des droits des populations autochtones par l’Etat chilien est longue et incomplète. Ce n’est qu’en 2008 que le Chili ratifie la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail, reconnaissant aux peuples autochtones un ensemble de droits collectifs, politiques, économiques et sociaux, vingt ans après son adoption. Pourtant les membres de la communauté mapuche nient son application par le gouvernement, et notamment l’article 6 qui invite à « consulter les peuples intéressés, par des procédures appropriées, chaque fois que l’on envisage des mesures législatives ou administratives susceptibles de les toucher directement ».
Le gouvernement Piñera a fait une de ses priorités le rétablissement de l’ordre en Araucanie. Il continue d’appliquer aux actes criminels de la communauté mapuche la loi anti-terroriste datant de la dictature de Pinochet, délégitimant par la même occasion les revendications. Cette loi permet de multiplier et de prolonger l’incarcération dite préventive. Son usage contre la communauté mapuche a été déclaré illégal par la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme en 2013. Pourtant, l’Etat chilien continue de l’appliquer. Face à cette attitude de fermeture de l’Etat chilien quant aux droits des populations autochtones, ces dernières se radicalisent et tournent le dos aux voies institutionnelles pour faire entendre leur voix. Un cercle vicieux se met en place entre radicalisation des communautés et répression étatique.
Un accord de paix mis à mal
La communauté politique est divisée face à la situation. Suite à la mort de Camillo Catrillanca, le sénateur mapuche Francisco Huenchumilla a appelé le gouvernement à prendre ses responsabilités politiques dans la mort du jeune homme. Le sénateur pointe du doigt la création cette année d’un commando spécial des forces de l’ordre entraîné en Colombie, où la guerre civile, le terrorisme et le narcotrafic ne correspondent en rien à la situation en Araucanie, où se déroule un conflit social. La militarisation de la répression ne fait selon lui qu’aggraver le conflit.
Pourtant, des efforts ont été déployés par les institutions du pays pour mettre fin au conflit. En juin 2017, la présidente au pouvoir Michelle Bachelet a présenté des excuses officielles aux Mapuches pour « les erreurs et les horreurs » commises par l’Etat à leur encontre. En septembre 2018, le gouvernement chilien a présenté l’Accord national pour le développement et la paix en Araucanie. Ce plan d’investissement a pour objectif de réduire les inégalités. l’Araucanie, en effet, est la région la plus pauvre du pays, avec un taux de pauvreté de 17,2 % (contre 8,6 % pour la moyenne nationale). Le plan prévoit également la reconnaissance formelle des cultures indigènes dans la Constitution du Chili. Toutefois, les derniers évènements risquent de compliquer la mise en oeuvre de ces mesures.
Image : Une manifestation mapuche à Santiago, le 17 janvier 2017, par todosnuestrosmuertos, Flickr, CC BY-NC-SA 2.0.