La tradition juridique en Chine est profondément différente de celle des sociétés occidentales. Ces dernières se sont construites sur un socle de principes et de lois qui structurent les relations dans la société, tandis que dans l’Empire du Milieu, c’est la morale et les relations entre les Hommes. Celles-ci sont gouvernées par d’importants principes confucéens et philosophiques, qui ont construit les bases de la société sinisée.
Le père du communisme chinois avait beau voir en Confucius l’incarnation de tout ce qui était arriéré et entravait le progrès, aujourd’hui le régime communiste actuel utilise l’image du théoricien pour renouer avec ses racines millénaires. Il affirme ainsi aux yeux du monde sa suprématie tant économique que culturelle. Cela se traduit par de nombreuses reprises des idées confucéennes par les élites chinoises et les cadres dirigeants du parti.
La mise en place des valeurs confucéennes au service de la civilisation chinoise : culture et système juridique
La pensée chinoise est dominée par la philosophie de Confucius, qui bien qu’ancienne, perdure dans son enseignement. Même après les révolutions chinoises et leurs héritages, elle est toujours présente dans la société chinoise et dans son système juridique [1].
Le droit chinois fait partie des grandes traditions juridiques du monde et a évolué avec le temps afin de s’adapter au mieux aux différents changements de sociétés chinois. Cependant, il a toujours su « maintenir son homogénéité et son unité dans tant de siècles » [2]. Pour cela, ce dernier s’est formé par la loi et surtout le Li (les rites). Par ailleurs, il y a aussi la doctrine, mais la jurisprudence est si peu importante dans la conception chinoise que l’on peut difficilement en parler [3].
Cependant, l’influence des occidentaux en Chine à partir du milieu du XIXème siècle a eu des conséquences. L’ouverture forcée de la Chine au reste du monde a contribué à un rejet progressif de la philosophie de Confucius jusqu’à la Révolution culturelle (1966-1976) [4]. Par la suite, il va y avoir un vrai retour du confucianisme dans les années 1980, car « les vicissitudes historico-politiques n’ont pas déraciné le confucianisme qui reste ancré [dans la société chinoise] » [5].
Ainsi, la culture chinoise est toujours très influencée par les nombreux préceptes du confucianisme. Cela s’illustre tout d’abord dans la société, avec l’importance des « cercles chinois », que sont la famille, le clan et le village. Même si ces notions ont bien évolué au niveau politique et démographique, leurs conceptualisations restent ancrées dans les mentalités. En effet, il y a un attachement très fort aux liens familiaux et au respect des anciens. En Chine, le Mianzi, qui se traduit par « la face » a encore une importance capitale dans la société chinoise. La perte de la face pour un chinois, reviendrait à perdre son statut social [6]. Il s’agit de l’honneur d’un individu, qui est souvent intrinsèquement lié à celui de sa famille. La famille, le clan était et reste encore le lieu du règlement des conflits.
De plus, comme l’exprimait Confucius « les cinq relations » sont toujours très présentes dans la pensée chinoise. Même si certaines de ces relations comme « l’ami à l’ami » sont moins prépondérantes aujourd’hui, la relation entre « le sujet et le prince » s’est quant à elle fortement pérennisée. En effet, au niveau politico-social le gouvernement fort de la République populaire de Chine, avec son Parti unique, a pu facilement s’instaurer en Chine grâce notamment à ces principes confucéens qui ordonnent une obéissance totale au prince, sous entendu à l’autorité du pays.
Aujourd’hui, le gouvernement chinois se sert de ces principes confucéens. Cependant, « historiquement, depuis la fin de l’empire, le confucianisme et son « féodalisme » s’étaient vus imputer, tant par les réformistes libéraux que par les révolutionnaires communistes, la responsabilité de l’arriération de la Chine et de son incapacité à se moderniser » [7]. Ce qui a fini par changer en 1980, et la culture confucianiste a été utilisée afin de servir les intérêts de la nouvelle Chine moderne. Ainsi, comme l’explique S. Billioud, les valeurs dont le confucianisme était porteur « se voyaient paradoxalement désormais attribuer à l’étranger un rôle clé dans le processus de modernisation économique ». Il y a donc eu un renouvèlement de la découverte culturelle à cette époque.
En effet, il y a aujourd’hui une réelle référence à la culture traditionnelle et au confucianisme dans les discours de personnalités officielles chinoises. En mars 2007, dans un discours prononcé à Harvard, Wen Jiabao (ancien Premier Ministre chinois) évoque explicitement l’attachement de la Chine moderne aux valeurs du confucianisme ; « De Confucius à Sun Yat-sen, la culture traditionnelle de la nation chinoise comprend bon nombre d’éléments précieux, beaucoup de choses positives sur ce qu’est la nature du peuple et de la démocratie. Elle met par exemple l’accent sur l’amour et le sens de l’humain, sur la communauté, sur ‘’l’harmonie entre les points de vue différents’’, sur ‘’la communauté qui unit tout ce qui se trouve sous le ciel’’ » [8].
L’évocation de ce rapprochement entre la Chine et le confucianisme par l’ancien premier ministre chinois, marque l’importance nouvelle donnée à cette philosophie vieille de plusieurs millénaires dans la Chine moderne.
Les limites et la dualité entre les principes confucéens et les valeurs socialistes-maoïstes
Bien que le confucianisme et le maoïsme ne sont pas les seules inspirations de la Chine moderne, elles sont les deux doctrines les plus influentes au sein de la société chinoise d’aujourd’hui.
Cependant, ces dernières ont été longtemps fondamentalement opposées. En effet, comme l’explique le journaliste F. Bougon, « les héritiers de Mao Zedong, chantre de la rébellion, de la table rase et de la révolution permanente, se sont [finalement] emparés du trésor de Confucius, le sage érigé en apôtre de l’harmonie sociale, du respect filial et de la moralité » [9].
Ces deux grandes doctrines qui ont façonné la société chinoise s’opposent sur différents points. En effet, lors de la Révolution Culturelle, un des slogans appelait à « mettre à bas la boutique de Confucius » [10]. Cette opposition s’illustre tout d’abord sur la conception même de leur idéologie. Le confucianisme revient sur l’aspect humaniste du développement personnel, de la morale et principalement de la notion d’Harmonie. La doctrine maoïste, elle, se base essentiellement sur un aspect matériel. De plus cette idéologie modeste s’adresse au plus grand nombre [11], aux masses, à la différence du confucianisme qui était beaucoup plus complexe et réservé aux élites.
Il est important de prendre en compte également que ces deux doctrines sont séparées par près de 2500 ans d’histoire, bien que la localité géographique soit la même : l’Empire du Milieu. Par ailleurs, elles ont débouché sur des courants politiques, qui ont chacun eu un impact sur la société chinoise. Pourtant, comme l’indique l’auteur Hou, elles se différencient dans le fait que « Mao Zedong a à la fois conçu et appliqué son idéologie, avec des orientations relativement claires ». Alors que le confucianisme a évolué par la suite, et ce en différents courants qui ont été repris et adaptés par le système impérial [12].
Les auteurs comparent ces doctrines comme étant toutes deux le fruit de la pensée unique d’un seul auteur, Confucius pour l’une et Mao Zedong pour la seconde. Malgré leurs divergences, elles partagent « l’absence de transcendance et la volonté́ d’organiser la vie sociale et politique » [13]. En effet, tous deux privilégient la collectivité plutôt que le particulier, ce qui va permettre de « légitimer le pouvoir politique, censé incarner l’intérêt commun » [14]. De ce fait, ces doctrines seront fortement reprises au niveau politique, car elles vont donner une base solide aux dirigeants qui vont les utiliser afin de justifier leur pouvoir, ce dernier étant légitimé par la volonté du bien commun. Ainsi, comme le rappelle Hou, « les individus doivent se soumettre à un idéal révolutionnaire, dans le cas du maoïsme, ou à un ensemble de relations, notamment hiérarchiques, dans le cadre du confucianisme » [15]. L’une va considérablement aider à mettre en place l’idéal révolutionnaire de Mao, tandis que l’autre va permettre d’asseoir la domination de l’empereur et de son administration [16].
De plus, les deux doctrines ont des conceptions communes sur l’ordre social, avec « le mépris du profit et l’éloge de la vie simple et du puritanisme ». Concernant le système juridique et le système des juristes avec la loi, les deux doctrines ont le même sentiment de mépris [17]. Car le maoïsme privilégie la pression sociale sur le droit, alors que le confucianisme lui préfère les rites et les relations personnelles [18]. Mais le point commun le plus important de ces deux idéologies est le fait qu’elles visent toutes deux à transformer fondamentalement la société. Ainsi, leurs valeurs sociales ne peuvent pas être opposées l’une à l’autre.
Autrefois anti-confucéen, le communisme chinois unifie désormais des principes de Confucius en les jouxtant à ceux de Marx dans ses discours, par la voix de Xi Jinping comme en novembre 2013. Ses prédécesseurs n’ont que succinctement évoqué ces liens en parlant de « société de petite prospérité » pour Deng Xiaoping, faisant alors référence au Traité des rites, un des canons du confucianisme [19]. Son homologue Hu Jintao parlait lui d’une « société harmonieuse » [20]. Le président chinois actuel ne cache plus les liens entre les deux doctrines, et vise à rendre au philosophe Confucius une stature de Père de la culture et de la morale chinoise. Cette volonté est visible par des actes, comme l’inauguration d’un nouveau musée ultra-moderne dans la province du Shandong, à Qufu, à la gloire du philosophe Confucius et de la famille Kong, en 2017.
Il convient aussi de prendre en compte l’influence très importante des différents courants philosophiques que sont le taoïsme et le bouddhisme. Ces derniers ne disposent pas du même aura que l’on a pu attribuer au confucianisme, en revanche ils représentent également des courants majoritaires en Chine avec une forte influence sur la société chinoise.
Cependant, la conception chinoise du droit, comme il a été possible de le démontrer dans cette présentation, est encore très jeune, comparativement aux pays Européens. Cela s’explique par la différence de conception de pensée qui peut exister entre les deux continents que sont l’Europe et l’Asie. L’une avec une conception très latine, attachée à la Lex, et l’autre avec en particulier la Chine qui se base sur la Morale et l’Harmonie de la société.
Mais l’importance grandissante des écoles de droit en Chine et la volonté de l’État de doter le pays de codes de droit, fait l’objet d’une profonde recherche de droit comparé entre les besoins de la société chinoise et les lois et systèmes juridiques dans les différents pays du monde.
[1] Li Xiaoping, « L’esprit du droit chinois : perspectives comparatives », in Revue internationale de droit comparé, Vol. 49 N°1, Janvier-mars 1997. pp. 7-35.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Frédéric Wang, « Le confucianisme et la Chine actuelle : l’héritage de Zhang Dainian (1909-2004) », in Histoire et Missions Chrétiennes, 2011, pp.69-87.
[5] Ibid.
[6] I. Mudry, « Mianzi : la face », Le Monde, 22 aout 2008, [https://www.lemonde.fr/jeux-olympiques-toute-l-actualite/article/2008/08/22/mianzi-la-face_1086563_1074179.html].
[7] B. Sébastien « Confucianisme », « tradition culturelle » et discours officiels dans la Chine des années 2000, in Perspectives chinoises, n°100, 2007. pp. 53-68.
[8] Ibid.
[9] F. Bougon, « En Chine, un grand bond vers Confucius », Le Monde, 13 oct. 2016.
[10] J. Kallio, « Chine : Confucius ne suit pas la ligne du Parti », in Alternatives Internationales n°051, 1er juin 2011.
[11] L. Hou, « Maoïsme et confucianisme en Chine contemporaine : une introduction », in China Institute researchs, Janv. 2013.
[12] Ibid.
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] L. Hou, « Maoïsme et confucianisme en Chine contemporaine : une introduction », in China Institute researchs, Janv. 2013.
[16] Ibid.
[17] Ibid.
[18] Ibid.
[19] F. Bougon, « En Chine, un grand bond vers Confucius », Le Monde, 13 oct. 2016.
[20] Ibid.