Voilà maintenant quelques jours que le mois dit de « Mawlid » (qui est le mois de Rabi’ al-Awal dans le calendrier hégirien, célébrant la naissance du prophète Muhammad) s’est achevé ainsi que les festivités l’entourant aux Comores. Cette année tout particulièrement, le président comorien Azali Assoumani n’a pu se rendre dans certains villages. Les jeunes appuyés par certains notables refusaient de le voir participer à ces célébrations. Le mawlid passé, il semblerait que cette trêve précaire et sur fond de tensions prit fin brusquement.
Une manifestation violemment réprimée
RFI ce 30 novembre 2019[1] rapporte la dispersion violente d’un rassemblement sur la place de l’indépendance aux Comores : « Une manifestation a réuni près d’une centaine de femmes dans la capitale des Comores samedi 30 novembre. Elles étaient venues protester contre le régime en place, réclamant un État de droit. Le peloton d’intervention de la gendarmerie nationale a dispersé violemment les manifestantes. Bilan : plus d’une quinzaine d’arrestations. ». Ces femmes se sont rendues à la capitale Moroni afin d’y lire des versets du Coran et de demander un Etat de droit (Mpaka Daula ya Haqqi signifiant « à la seule condition d’un Etat de droit »).
Ce rassemblement a été violemment réprimé par l’armée alors que le président Azali Assoumani était en France pour une conférence économique à Paris se déroulant le 2 décembre. Un journaliste comorien du nom d’Obeidillah Mchangama a été arrêté alors qu’il filmait l’intervention musclée des militaires, lui, ainsi qu’une quinzaine de femmes appelées affectivement « wadzadze» (les mamans) comme le rapporte Abdallah Agwa, journaliste indépendant sur sa chaîne YouTube [2] « FCBK FM », qui lui-même a été plusieurs fois emprisonné et vit toujours sous la surveillance de l’Etat comorien. Le journaliste Obeidillah est inculpé pour manifestation illégale et troubles à l’ordre public depuis ce mardi 3 décembre.
Libéré le matin du 7 décembre, les chefs d’inculpation retenus contre lui n’ont pas été effacés mais son mandat de dépôt a été levé par les autorités comoriennes de retour de Paris, comme nous le signifie le collectif « Ufahari Wa Komori » sur son compte Facebook [3].
Avec son projet de « plan d’émergence économique», le président comorien était en France afin de négocier des accords économiques avec plusieurs entreprises lors de la conférence des partenaires pour le développement des Comores. Les opposants et manifestants, qu’ils soient aux Comores ou en France refusent de voir ces accords signés alors que des jeunes sont en prison soumis à la torture, aux viols et/ou mutilés. Ces accords sont futiles à leurs yeux si la société comorienne est régie par un Etat corrompu dans lequel le peuple est profondément divisé, meurtri et où tout opposant politique se trouve privé de liberté.
De plus, certains militants de la première heure font remarquer que ce n’est pas la première fois que les gouvernements comoriens promettent des réformes économiques censées aider les Comores. En 2005 à l’île Maurice déjà, le gouvernement s’engageait dans cette voie avec un plan d’émergence économique mais également plus récemment sous le gouvernement Sambi en 2010 à Doha. Ces conférences participent à l’endettement permanent de l’archipel. Tous ces événements donc relatés par RFI ont eu lieu moins d’une semaine après le mois dit de « mawlid » qui fut particulièrement sensible cette année.
Le mawlid, une institution singulière en Afrique de l’Est
Durant ce mois, les fidèles musulmans de la côte swahili se réunissent chaque nuit afin de lire le « Kitab Mawlid al-Barzandji». Ce livre contient la biographie du prophète Muhammad (Sîrâ Nabawiyya [4]) ainsi que des invocations (Adhkar [5]). Les séances se tiennent en début de soirée dans les mosquées ou les places publiques. Toute la région swahili est en effervescence. Les hommes se rassemblent autour des dignitaires religieux se réclamant de descendance chérifienne (du Yémen) ou shirazi (de Perse).
Ce sont ces notables qui lisent en premier lieu des versets du Coran, suivi d’un prêche puis de la lecture de la biographie du prophète. La cérémonie se clôture par des invocations, des danses parfois et la remise de hidayat (cadeaux ; souvent des biscuits faits dans les grandes boulangeries locales). Lors de cette manifestation, de nombreux organismes de santé mettent en place des plans de vaccination, de dépistage du sida et/ou du diabète. Le président comorien est censé participer à ces cérémonies publiques. Mais cette année il n’a pas pu se rendre à celles se déroulant dans les grandes régions (Ntsudjini dans l’ouest de l’île de Ngazidja, Iconi dans la région de Bambao ou Mbéni au nord). Et celles auxquelles il s’est rendu ont provoqué de vives réactions.
Soulignons un point : la présence de la gouverneur de Ngazidja, Sitti Mhoudini Farouata lors du mawlid organisé par l’armée nationale ce 28 octobre 2019 cause de nombreuses réactions (que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la société civile). Les femmes ayant traditionnellement toujours fêté le mawlid ensemble, sa venue intrigue bon nombre de notables et d’internautes. Comme le rappelle Faïza Soulé de la Gazette des Comores ce 30 novembre[6] , la mixité dans ces réunions n’est pas connue historiquement, ni interdite religieusement, mais l’interprétation religieuse de certains fait que la présence de ces femmes alimente encore plus les tensions. En réalité ce n’est pas tant le fait que des femmes soient dans l’assemblée qui a choqué les esprits, mais plutôt le moyen par lequel cette dernière est arrivée au pouvoir.
Durant des élections anticipées (présidentielle et de gouvernorat des trois îles) tenues en mars 2019 révisant la constitution comorienne et la dissolution de la Cour Constitutionnelle, plusieurs organismes ont remarqué des fraudes électorales : bourrage d’urnes et cartes d’identité de personnes décédées furent utilisées[7]. En poste depuis 2016, le président et ses gouverneurs sont accusés de corruption. Leur légitimité est si contestée que le 2 avril dernier, Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU appelait à ne pas alimenter les tensions dans la zone après l’annonce des résultats d’élections anticipées par la CENI (commission électorale nationale indépendante).
Une contestation en réaction aux arrestations et aux détentions arbitraires
Depuis le mois d’avril 2019, plusieurs opposants et critiques du gouvernement sont détenus à la maison d’arrêt de Moroni ou assignés à résidence. C’est le cas de l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi et l’ancien gouverneur d’Anjouan le docteur Salami. Plusieurs organisations internationales dont l’ONU ont souhaité observer les conditions de détention des opposants en prison.
Les prisonniers sont entassés dans des cellules de moins de dix mètres carrés[8]. Une mise à l’isolement de certains opposants dans des pièces sans fenêtre et faisant moins de deux mètres carrés sont monnaie courante. L’absence de latrines et l’insalubrité sont dénoncés mais surtout la manière dont les mineurs sont détenus. Ces derniers sont dans les mêmes cellules que les adultes et subissent des violences d’ordre sexuelle à plusieurs reprises.
L’expert de l’ONU sur la torture, Nils Melzer a d’ailleurs suspendu son inspection en juin 2019 devant le refus des autorités comoriennes de le laisser accéder aux lieux de détention. Le gouvernement comorien se défend en expliquant que Nils Melzer aurait dû les prévenir plus tôt. Ce dernier rapporte qu’il ne pouvait pas accéder à la station principale de la gendarmerie, ni au lieu où Ahmed Abdallah Mohamed Sambi est assigné.
Cette venue faisait suite à une tragédie passée il y a quelques mois lorsque trois soldats comoriens, militants pour un Etat de droit, ont été tués à bout portant dans la base militaire de Kandaani (comme nous le rapporte la Tribune Afrique en mars dernier[9] ).
C’est face à ces vices de procédure, arrestations abusives et violences policières que la population comorienne se soulève. D’abord par la voix de figures charismatiques dans les médias (Facebook, YouTube) mais également physiquement avec à Paris des manifestations. Ces dérives (corruption, endettement de l’archipel) fragilisent un pays déjà pauvre. Les enjeux climatiques sont également à prendre en compte : après le cyclone Kenneth qui a frappé les Comores au printemps 2019, le cyclone Belna menace aujourd’hui les côtes de l’archipel. Comment ce pays de moins d’un million d’habitants qui vit grâce à l’aide financière de sa communauté diasporique pourra-t-il faire face à cette nouvelle menace d’ordre climatique ?
Ainsi, les responsables comoriens veulent maquiller ces problèmes politiques, sociaux et environnementaux derrière des promesses d’émergence économique. Les journalistes emprisonnés aux Comores et les conditions de détention ne sont malheureusement pas bafoués que dans cette zone de l’Afrique de l’Est. Erick Kabendera voit sa liberté menacée dans le même temps en Tanzanie[10]. Les journalistes est-africains deviennent ainsi le symbole d’une liberté d’informer conspuée par les autorités.
Image : Moroni, Grand Comore par Woodlouse sur https://www.flickr.com/photos/woodlouse/3987578459 – CC BY-SA 2.0
[1] http://www.rfi.fr/afrique/20191130-comores-police-disperse-violence-manifestation-femmes
[2] https://www.youtube.com/watch?v=5-MsCaG1daA
[3] https://www.facebook.com/UfahariWaKomori/
[4] Biographie de prophète Muhammad telle que contée dans la tradition islamique.
[5] De l’arabe dhikr, signifiant le rappel de Dieu et de ses attributs.
[6] http://lagazettedescomores.com/soci%C3%A9t%C3%A9/genre-/-la-pr%C3%A9sence-de-sitti-farouta-%C3%A0-un-maoulid-d%C3%A9range-.html
[7] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/26/comores-le-president-sortant-azali-assoumani-reelu-des-le-premier-tour_5441643_3212.html
[8] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/comores-situation-alarmante-de-l-etat-de-la-justice-et-des-prisons-20190813
[9] https://afrique.latribune.fr/politique/2019-03-29/comores-arrestation-evasion-et-coups-de-feu-a-moroni-812489.html
[10] http://www.rfi.fr/afrique/20191204-tanzanie-proces-erick-kabendera-presse