De nombreux syndicats et associations ont vu le jour aux Comores depuis la fin de l’année 2019. Trois d’entre eux ont accepté de répondre à mes questions sur leur travail de terrain et le contexte dans lequel ils militent.
Le premier, le Syndicat National des Journalistes des Comores (SNJC), s’est formé à la suite de plusieurs atteintes à la liberté d’expression comme nous le rapporte Reporters Sans Frontières. La deuxième, Ufahari Wa Komori (signifiant fierté / dignité des Comores), est une association basée en France réclamant un État de droit dans l’archipel des « îles de la Lune ». Depuis le changement de constitution de l’Union des Comores en 2018, celui-ci est remis en cause notamment par le maintien au pouvoir de Azali Assoumani. Ce changement a en effet permis au président de l’Union de prolonger son mandat et l’autorise à se représenter aux prochaines élections. Pourtant Azali Assoumani n’en est pas à son premier mandat présidentiel. En 1999, il renverse le président en intérim Tadjidine Ben Saïd Massounde par un coup d’état (qui remplaçait lui-même le président décédé en exercice Mohamed Taki Abdoulkarim). Il est ensuite élu président de l’Union des Comores en 2002, puis en 2016 et 2019. Depuis 2016, il réoccupe le siège de la plus haute magistrature tout en assignant à domicile ses opposants politiques ce qui pose de véritables questions quant à l’Etat de droit aux Comores. Enfin, « Petits Z’anges des Comores » quant à elle est une association comorienne basée sur l’île de Ngazidja (Grande-Comore) luttant contre les violences sexuelles faites aux enfants.
La liberté d’expression : un combat face à la censure gouvernementale
En février 2020, Ali Abdou, journaliste pour le média Al Watwan, a été élu premier président du syndicat national des journalistes aux Comores. Cette élection répond à un besoin pressant. Les journalistes comoriens sont menacés voire emprisonnés sur ordre du gouvernement depuis mars 2019. Lorsque ces derniers rapportent des informations compromettantes ou dérangeant le régime en place, il n’est pas rare de les voir incarcérés quelques heures après. Ainsi fin 2019, c’est le reporter Obeidillah Mchangama qui s’est retrouvé derrière les barreaux après avoir filmé une manifestation pacifique dans la capitale des Comores, Moroni.
Comme le rappelle la Gazette des Comores, la justice fait « preuve de partialité dans l’interpellation et les jugements des citoyens ». Ainsi, le but du syndicat est de soutenir et défendre les journalistes face aux menaces qu’ils peuvent connaitre. Le 3 avril dernier, le syndicat a pu utiliser sa voix. Il dénonça en effet les menaces du ministre de l’économie, Houmed M’saidie. Celui-ci souhaitait porter plainte contre la journaliste de la Gazette des Comores, Andjouza Abouheir et la contraindre à divulguer sa source concernant son dernier article sur le Covid-19 aux Comores.
Dans la publication, Mme Abouheir dénonce la mauvaise gestion de la crise du SARS-CoV-2 dans l’archipel. En sachant que Mayotte, île voisine, connait 191 cas de porteurs connus du virus, le gouvernement comorien maintient qu’il n’y aurait aucun cas dans l’archipel et refuse d’envoyer les prélèvements à l’étranger pour être contrôlés. On assiste dans cette région à une véritable censure gouvernementale même dans les questions de santé publique.
Le monde associatif : entre luttes, menaces et représentations
Dans l’entretien que j’ai pu avoir avec les fondatrices du collectif de femmes Ufahari Wa Komori le besoin de dénoncer les exactions du gouvernement comorien se faisait pressant. Les citoyens comoriens ont demandé à ce que la diaspora relaie la situation en dehors des frontières afin de les soutenir de l’étranger. Après des appels lancés pour des manifestations en France, le collectif s’est créé dans le respect de cette ligne directrice : « nous dénonçons la violation des droits fondamentaux : le droit de vote, la liberté de la presse, l’indépendance de la justice, la liberté d’expression ».
Malgré les menaces (« on a essayé littéralement de nous arracher le micro des mains lors de la première manifestation, on a essayé de nous dicter notre agenda militant, on a eu droit à des posts discriminants et sexistes sur les réseaux, on a remis en question notre comorianité, on nous a volé notre nom et bien d’autres choses »), ces jeunes femmes ont réussi à créer un environnement informatique avec notamment leur propre site internet, en militant sur les réseaux sociaux et en créant une communication importante autour de leur cause.
En plus de l’organisation des manifestations, le collectif se charge d’apporter des produits de premières nécessités aux détenus sur l’île de Ngazidja (kits hygiéniques et dons alimentaires), de sensibiliser leur environnement et d’encourager les jeunes à se présenter aux élections (législatives, cantonales). La position féministe de ces femmes dérangent un environnement patriarcal prétendant vouloir préserver la tradition.
La culture comorienne, plus spécifiquement sur l’île de Ngazidja, a beau être matrilinéaire et uxorimatrilocale (les enfants sont affiliés à la famille de la mère et l’époux vient habiter chez la femme), les hommes ayant du pouvoir réussissent à utiliser des positions de domination mouvantes afin de museler toute forme d’opposition ou contestation de leur pouvoir.
La seconde association, « Petits Z’anges des Comores » met elle aussi des moyens importants à disposition pour lutter contre les violences faites aux enfants. Son équipe est composée d’avocats et d’assistantes sociales. Un accompagnement psychologique et judiciaire pour les victimes est mis en place, l’association se portant partie civil. Une cellule d’écoute et d’aide également est disponible pour les plus isolés et démunis.
Violences sexuelles et intimidations
Depuis plusieurs mois, il ne se passe pas une semaine sans qu’un cas d’enfant violé soit connu. Ces enfants (des jeunes filles dans la majorité des cas) n’osent pour la plupart pas parler. Elles sont menacées, ou lorsqu’elles se confient à leur famille sont sommées de se taire. Dans certains cas, il arrive même que le père récupère une certaine somme d’argent de la part de l’agresseur en échange de son silence.
Ce harcèlement et ces menaces se font dans un cadre d’inexistence de lois pénales explicites criminalisant le viol aux Comores. Seule la loi religieuse le sous-entend avec notamment en 2012 le cas de Fatima Mzé Hamadi de la région de l’Itsandraa. Une fatwa (avis religieux) avait été proclamée par le mufti comorien, Saïd Toihir Ben Ahmed Saïd Maoulana, décédé la semaine dernière. Il avait condamné le violeur à la peine de mort, mais la mesure n’avait pas été exécutée par le gouvernement de l’époque. Ces jeunes enfants préfèrent alors se taire pour ne pas « faire honte » à leur famille, ou encore risquer l’anathème, les menaces et les humiliations.
Au sein des institutions religieuses la question des violences sexuelles sur les enfants n’est pas tranché. Alors que certains condamnent fermement et souhaitent la peine capitale à l’encontre des agresseurs, d’autres usent parfois de leur position pour abuser des enfants. Il s’agit de remarquer ici qu’au sein même des religieux, la question divise profondément.
On voit que toutes ces initiatives contestataires (syndicats, associations) ont vu le jour en réaction à des libertés fondamentales bafouées. Les jeunes comoriens cherchent à faire valoir leur droit et défendre leur liberté d’expression, de manifestation, à la protection et à la dignité. Comme le dit le collectif Ufahari : « Culturellement les comoriens ont accepté qu’il y a une hiérarchie sociale avec à son sommet les membres de la notabilité ». Ces membres font loi et aujourd’hui ce sont ces derniers, ainsi que l’autoritarisme du gouvernement comorien, qui sont rejetés.
Image: archives de « Petits Z’anges des Comores ».