Retour à Séoul, ou la quête douloureuse de ses origines
A Séoul, Freddie, une Française de 25 ans, se retrouve par hasard. Adoptée en France encore bébé, elle n’a aucun souvenir de son pays d’origine qu’elle découvre au fil de son voyage. Si elle a l’apparence d’une Coréenne, les us et coutumes nationaux lui paraissent en revanche bien étranges. Un parcours, entre quête identitaire et perte de repère, qui reflète plus largement les réalités traversées par de nombreux enfants adoptés. Ce texte est issu du dossier cinéma produit par l’Observatoire Pharos.
Retour à Séoul : un retour aux sources éprouvant les frontières culturelles
Retour à Séoul réalisé par David Chou, sorti en salle le 25 janvier 2023, est le récit de Freddie, recueillie bébé dans un orphelinat en Corée du Sud, avant d’être adoptée par un
couple de Français. Adulte, elle part sur un coup de tête à Séoul pour tenter de découvrir son pays d’origine. Cette œuvre fictionnelle est fondée sur la vie de Laure Badufle, une proche du réalisateur. Aujourd’hui, à 38 ans, cette dernière accompagne à travers son association Racines Coréennes ceux qui, comme elle hier, souhaitent renouer avec leurs origines.
La langue apparaît comme l’un des premiers obstacles pour Freddie, qui incarne le personnage principal, empressé de briser la glace, de communiquer malgré la barrière culturelle au risque, entre insolence et curiosité, de blesser les personnes rencontrées au passage. Pressée de comprendre l’autre, Freddie rencontre au début du récit une traductrice qui l’aide à faire le pont entre deux cultures que tout semble opposer. Au détour d’un dialogue entre Freddie et son acolyte à la double casquette — traductrice et amie, elles abordent la question de l’adoption et de ses origines. Le film prend alors la direction d’une quête pesante, mais qui semble à Freddie de plus en plus nécessaire. Ce processus incertain de recherche identitaire s’étire dans le temps et interroge un rapport à une culture qu’elle apprend progressivement à connaître. Si elle quitte la Corée à certains moments du film, c’est pour mieux y revenir dans d’autres situations, d’autres contextes, comme si la jeune femme cherchait à découvrir ce pays sous différents angles. Les ellipses déstabilisatrices et sauts dans le temps utilisés dans le film visent à montrer l’errance identitaire et personnelle d’une femme en quête d’elle-même. En abordant l’enjeu de l’adoption internationale, qui ne tombe jamais dans le cliché du retour aux sources salvateur teinté de mélancolie et de découverte de soi, le film essaye, tâtonne, titube, montre les échecs et les rencontres douloureuses avant les réussites. Si ce film est une œuvre cinématographique remarquable, c’est aussi parce qu’il approche de façon fine l’histoire de la Corée du Sud. Une histoire où l’adoption internationale occupe une grande place, malgré la volonté affichée du gouvernement sud-coréen de réduire l’ampleur du phénomène.
Comment la trajectoire particulière d’une jeune fille adoptée peut-elle éclairer sur le destin des milliers d’enfants coréens tiraillés entre leur pays d’origine et leur identité d’adoption ?
L’adoption d’enfants coréens, une exception mondiale
Dans Retour à Séoul, Freddie débarque, hésitante, dans le centre national d’adoption coréen. Elle découvre que son destin individuel est en réalité largement partagé. En lisant une brochure présentant l’histoire de l’adoption en Corée, la jeune femme se rend compte que des milliers d’enfants ont été envoyés partout dans le monde. Aujourd’hui douzième puissance mondiale, la Corée du Sud est l’un des pays les plus développés du monde. Cependant, la péninsule a connu un XXe siècle tourmenté, marqué notamment par une guerre meurtrière entre 1950 et 1953, qui pousse 100 000 enfants dans les orphelinats nationaux dès la première année du conflit, d’après l’agence des Nations Unies pour la Reconstruction de la Corée (United Nations Korean Reconstruction Agency). Ainsi depuis 1953, c’est plus de 200 000 Coréens qui ont été adoptés dans le monde entier, notamment aux États-Unis. Il s’agit d’un record mondial, d’autant plus lorsqu’il est rapporté aux 52 millions d’habitants du sud de la péninsule. La Corée du Sud a le programme d’adoption international le plus ancien au monde. Parmi ces enfants se trouvaient ceux que l’on appelait les « G.I. babies », dont la mère biologique était
coréenne et le père militaire américain.
Le confucianisme, l’un des facteurs des abandons massifs ?
Une éthique qui pousse au conformisme
Le confucianisme a radicalement influencé l’organisation et les fonctions de la société chinoise mais aussi japonaise, vietnamienne et sud-coréenne. Éthique morale influente, il a traversé l’histoire jusqu’à s’immiscer dans les textes de lois de certaines sociétés asiatiques. Le confucianisme prône la conformité individuelle à des valeurs approuvées socialement. Il pousse à réprimer tout comportement dit déviant. Pour s’intégrer au groupe, il faut intégrer ses codes. Ce contexte social et culturel règlemente la place de la femme et son apparence, et façonne les relations sociales dans leur ensemble. La pression des pairs est grande dans la société coréenne, et, l’individu, noyé dans la foule,
s’insère dans un tissu de relations.
Une société patriarcale
De nombreux aspects de la culture et de la société coréennes restent centrés sur les hommes. Le confucianisme, parmi d’autres facteurs, a façonné le système juridique coréen et les mœurs d’une société patriarcale.
Des valeurs morales rigoureuses qui régissent le cadre familial
Les normes sociales coréennes désapprouvent fortement les relations sexuelles de mœurs légères et, en Corée du Sud, il est encore dicile pour les femmes d’élever des enfants nés hors mariage. La loi de 1953 qui limitait l’avortement aux Sud-Coréennes victimes de viol, ou en cas de danger pour la mère et l’enfant, n’existe plus depuis le 1er janvier 2021. Jusqu’en 2005, les femmes ne pouvaient pas se remarier pendant une période de six mois après la dissolution de leur précédent mariage, alors que les hommes ne sont pas soumis à de telles restrictions. De nos jours, d’après l’agence nationale de l’adoption, les enfants placés internationalement en vue d’une adoption ont généralement une mère célibataire, qu’il s’agisse de veuves ou de femmes célibataires. En 1986, 75 % des enfants sud-coréens adoptés à l’étranger étaient issues d’une famille monoparentale. En 2008, près de 90 % des 1 250 enfants sud-coréens adoptés à l’étranger étaient nés de mères célibataires. En 2012, sur 1880 enfants adoptés, la proportion atteint 92,8 % (United Nations Korean Restructuration agency). Les marqueurs confucéens dans la société coréenne peuvent expliquer le pourcentage relativement élevé d’enfants abandonnés par des mères célibataires. Le confucianisme accorde une grande importance au cadre familial, et ces valeurs rendent de nombreuses familles réticentes à élever un enfant en dehors d’un couple reconnu socialement comme tel.
La difficile définition d’une identité plurielle
Si Freddie semble bien intégrée en France, elle est désespérément attirée par la Corée. Son rapport à elle-même, à son pays d’adoption et d’origine se construit de manière paradoxale entre une identité légitime, ici française, et un sentiment de dissonance par rapport à ses parents naturels. Freddie, comme beaucoup d’enfants adoptés, est en quête d’images liées à la culture de son pays d’origine afin de donner forme au passé. Même si ce retour aux sources peut s’avérer douloureux, il peut plonger dans un processus infini de questionnement. D’après la pédopsychiatre Marie-Odile Pérouse, des troubles psychologiques peuvent naître chez les enfants adoptés dans les premières années de vie à cause du déracinement vécu comme un traumatisme. Ce choc psychologique peut se doubler d’un retard culturel avec des problèmes d’expression et de compréhension. Chez l’adolescent, dans une époque de la vie caractérisée par des bouleversements affectifs et des pertes de repères, des questionnements sur l’identité commencent à naître et se poursuivent à l’âge adulte, comme en témoigne Freddie dans le film. De nombreux adoptés internationaux coréens sont maintenant adultes et s’intéressent à leurs origines. Cette situation interpelle directement les autorités des pays d’origine et d’accueil. Ainsi, le gouvernement coréen et des agences d’adoption internationales offrent des séjours de familiarisation avec l’histoire et la culture du pays et, lorsque c’est possible, facilitent les retrouvailles avec la famille biologique. Dans Retour à Séoul, Freddie tente de se réapproprier des codes culturels qui ne sont pas les siens. Néanmoins, certaines normes sociales la heurtent comme lorsque son père biologique lui propose de lui trouver un mari et un foyer pour essayer de compenser son absence. Choquée qu’une figure paternelle inconnue décide à sa place,
Freddie reste sans voix. Perturbée par ce voyage déboussolant, elle refuse de s’attacher à un homme et de rester trop longtemps au même endroit. Finalement, le film met en avant le parcours d’une femme indépendante, alors que les personnages qui gravitent autour d’elle semblent presque tous secondaires. Le réalisateur David Chou ne limite pas son œuvre à la simple quête identitaire d’une jeune femme adoptée, mais rend compte de réactions inattendues dues à des frottements
entre Freddie et la société coréenne.
Image : Couverture de Retour à Séoul