Depuis le début de la crise socio-politique au Nicaragua en avril 2018, 62 000 Nicaraguayens ont fui le pays, et 55 000 ont trouvé refuge au Costa Rica. Autrement dit, 88 % des personnes ayant fui le Nicaragua se sont dirigées vers leur voisin du Sud. Parmi elles, environ 40 000 ont sollicité une demande de protection au gouvernement costaricien. Il n’existe pas de chiffre public sur le nombre de personnes qui ont obtenu un statut de réfugié ou d’une autre forme de protection. La plupart des demandes sont toujours en cours de traitement.
Une migration historique accélérée par la crise nicaraguayenne
Les migrations Nicaragua – Costa Rica sont anciennes. Dès les années 1940, des Nicaraguayens fuyant la dictature des Somoza ont trouvé refuge au Costa Rica. Nombre d’entre eux ont également fui le pays lors des affrontements de la révolution sandiniste dans les années 1980. Depuis le s années 1990, les migrations vers le Costa Rica sont essentiellement économiques. Les Nicaraguayens viennent chercher un emploi mieux rémunéré dans des domaines bien précis tels que l’agriculture, la construction et l’aide à domicile. De nombreuses familles nicaraguayennes sont installées au Costa Rica depuis plusieurs générations. Aujourd’hui, les Nicaraguayens représentent 7 % de la population totale au Costa Rica. L’envoi de devises depuis l’étranger a un poids non négligeable dans l’économie nicaraguayenne.
Le nombre d’arrivées de Nicaraguayens au Costa Rica a fortement augmenté depuis avril 2018, début de la crise socio-politique et des violentes répressions du gouvernement Ortega-Murillo contre les manifestants. La plupart des réfugiés sont arrivés en août 2018, pic de violence de la crise. Aujourd’hui, la tension est redescendue de quelques crans. Le gouvernement nicaraguayen négocie avec l’opposition pour une sortie de crise. L’une des principales demandes est la libération des prisonniers politiques. En attendant, toute velléité protestataire est contenue : les forces armées interpellent quiconque tente de manifester.
De nombreux Nicaraguayens sont déjà rentrés dans leur pays. Mais beaucoup d’autres se trouvent toujours à l’extérieur, et notamment au Costa Rica, dans l’attente d’un statut de protection.
Une politique d’accueil plutôt ouverte, sur le papier
Le gouvernement Alvarado défend une politique d’ouverture face à l’arrivée des réfugiés nicaraguayens. En août 2018, le Président du Costa Rica a annoncé délivrer 23 000 statuts de protection temporaire aux Nicaraguayens fuyant la répression. Il a également dénoncé les violences perpétrées par le gouvernement Ortega-Murillo et a refusé de fournir au Président nicaraguayen la liste des personnes qui se sont réfugiées au Costa Rica.
Cette ouverture fait suite à la nouvelle politique migratoire lancée par le gouvernement costaricien en 2014. Cette politique reconnaît l’apport des populations migrantes dans les domaines culturel, socio-économique et pour le bien-être social du pays. Elle vise à favoriser l’intégration des personnes migrantes dans la société costaricienne, via par exemple la promotion de meilleures conditions d’emploi et un accès facilité à la santé et l’éducation. En parallèle, cette politique vise à lutter contre l’immigration irrégulière en renforçant les contrôles aux frontières.
Si le Gouvernement tente de véhiculer une image positive de la migration et d’encourager l’accueil et l’intégration des Nicaraguayens au Costa Rica, cette position est très critiquée par une partie de l’opposition, qui domine le Parlement. En effet, la politique d’accueil d’Alvarado coïncide avec une image affaiblie du gouvernement, qui fait face à une crise fiscale, un taux de chômage élevé (12 %) et une préoccupation croissante pour la criminalité. Or, au Costa Rica comme ailleurs, les personnes migrantes sont souvent accusées d’être la cause de tous les maux du pays : pression sur le marché du travail et hausse de l’insécurité. L’opposition avertit en outre que le pays ne dispose pas des capacités suffisantes pour subvenir aux nécessités de la population étrangère.
Si l’actuel gouvernement costaricien se montre ouvert à l’accueil des Nicaraguayens, de nombreux obstacles perdurent à leur intégration. Ces obstacles sont à la fois administratifs et sociaux-économiques.
Les obstacles à une plus grande intégration
La plupart des Nicaraguayens ne peuvent prétendre au statut de réfugié, mais pourront recevoir un statut de protection spéciale. Les demandes sont nombreuses, et le processus très long. Il n’est pas rare d’attendre un an et demi pour obtenir une réponse, sans garantie qu’elle soit positive. Les causes d’une telle lenteur peuvent s’expliquer par une lourde bureaucratie, et par le manque de préparation à l’arrivée de milliers de réfugiés en peu de temps. Les différents services de migration se renvoient la balle quant aux différentes pièces justificatives à fournir et le traitement des dossiers ralentit.
Or, l’intégration sociale et économique des réfugiés nicaraguayens passe par leur statut migratoire. Un statut régulier permet un meilleur accès à la santé, la sécurité sociale et l’éducation. Sans cela, les Nicaraguayens font face à l’incertitude, au chômage et à la marginalité. 88 % des réfugiés souhaitent rentrer au Nicaragua quant la crise sera terminée. En attendant, beaucoup vivent de la solidarité de la population locale ou des autres familles nicaraguayennes. A San José, la capitale costaricienne, de nombreux réseaux de solidarité se sont développés. SOS Nicaragua Derechos Humanos est une organisation qui a été créée dans le but d’aider des réfugiés après avril 2018. L’association sert quotidiennement plusieurs centaines de déjeuners et de dîners. Beaucoup d’associations fournissent une aide temporaire, qu’elle soit matérielle ou administrative. Cependant, l’accueil des Nicaraguayens n’est pas toujours chaleureux au Costa Rica. En août 2018, au Parc de la Merced, à San José, une manifestation de 400 nationalistes costariciens a donné lieu à des slogans et des attaques xénophobes. Une semaine plus tard, une autre manifestation avait lieu, cette fois pour soutenir les réfugiés. Le Président et d’autres membres du gouvernement y ont participé. La presse joue un certain rôle dans le rejet des Nicaraguayens par une part de la population costaricienne. En mettant en exergue les crimes et les délits commis par des Nicaraguayens, la presse crée l’illusion que l’insécurité dans le pays augmente en raison de l’arrivée d’étrangers. Or, la population carcérale nicaraguayenne est proportionnelle à la population nicaraguayenne présente au Costa Rica. De plus, en période de chômage relativement élevé, l’idée est véhiculée que les Nicaraguayens « volent » les emplois des Costariciens. Or, les immigrés et réfugiés occupent des postes délaissés par la population locale. Sans travailleurs étrangers qui acceptent d’être moins payés et dans des conditions de travail parfois douteuses, certains domaines comme l’agriculture, la construction ou le service à la personne seraient en pénurie de main d’oeuvre.
Qui sont les réfugiés nicaraguayens au Costa Rica ?
Il est difficile de dresser un portrait type d’une personne nicaraguayenne réfugiée au Costa Rica. En effet, il est impossible de généraliser l’ensemble des expériences vécues par les réfugiés. Il y a autant d’expériences différentes que de Nicaraguayens dans le pays. Parmi les demandeurs de protection se trouvent des étudiants, d’anciens fonctionnaires, des journalistes, des médecins, des agriculteurs, la plupart ayant joué un rôle dans l’opposition ou dans les manifestations. Certains connaissent une intégration très positive. D’autres doivent faire face à une situation précaire qui empêche leur intégration dans la société d’accueil. La plupart des Nicaraguayens arrivés au Costa Rica après le début de la crise restent entre nationaux, et peu se mêlent aux Costariciens. Beaucoup semblent plutôt optimistes quant au dénouement de la crise et attendent une stabilisation de la situation pour pouvoir rentrer chez eux. Ceux qui ont fait une demande de protection doivent attendre la réponse avant de retourner au Nicaragua sous peine de voire leur demande annulée. Certains envisagent de rester plus de temps au Costa Rica. C’est le cas de José, 21 ans, étudiant en ingénierie civile, qui souhaite rester au Costa Rica jusqu’à la fin de ses études. Il a pu obtenir une bourse grâce au programme de l’association Ticos y Nicas, Somos hermanos. L’association propose des bourses aux étudiants nicaraguayens qui sont dans l’incapacité de poursuivre leurs études dans leur pays. 16 étudiants ont déjà bénéficié d’une bourse depuis le début du programme en octobre dernier.
Finalement, la situation générale des Nicaraguayens, qu’ils se soient réfugiés à l’étranger ou restés au pays, se caractérise par l’attente. Le départ d’Ortega du pouvoir ne sera que le début d’un long processus de reconstruction du pays.
Image : A woman stands near a burning barricade holding the national flag of Nicaragua, by Voice of America, Wikipedia, CC-Zero.