Depuis les événements du 11 septembre 2001, les pays occidentaux ont accru leur nombre de programmes visant à prévenir et contrer l’extrémisme violent. Terrain de bataille de mouvances terroristes comme Al-Shabbaab, la Corne de l’Afrique est une des zones prioritaires.
Face aux difficultés rencontrées par ces acteurs extérieurs, Hala Al-Karib questionne leur approche en mettant en avant leur méconnaissance du terrain. Militante féministe soudanaise, elle est depuis 2004 directrice régionale de la Strategic Initiative for Women in the Horn of Africa (SIHA), un réseau regroupant des organisations de la société civile luttant pour les droits de la femme dans la Corne de l’Afrique. Hala Al-Karib publie cet article sur Open democracy, une plateforme internet qui entend animer le débat démocratique à travers l’analyse des défis politiques et sociaux. La section 50.50 inclusive democracy, dans laquelle l’article est publié, traite spécifiquement de sujets en lien avec la justice sociale, l’égalité des genres et le pluralisme.
Un maillage complexe des identités ethniques et religieuses
La Corne de l’Afrique, entendue selon une définition large, regroupe des pays caractérisés par leur diversité culturelle. L’ethnicité, en premier lieu, participe du manque d’intelligibilité des conflits caractéristiques de l’Afrique de l’Est. Doublée de divisions claniques, elle nourrit la mauvaise interprétation de ce mille-feuille identitaire. L’importance de la référence ethnique, comme sentiment d’appartenance privilégié, mine la possibilité de faire exister une identité supérieure, notamment nationale, qui dépasse ces clivages.
En sus de ces considérations ethniques, la religion vient asseoir la fragmentation identitaire de la région. Si certains pays de la Corne sont à majorité chrétienne (Ethiopie, Kenya ou Soudan du Sud par exemple), d’autres pays sont surtout influencés par la religion musulmane (Djibouti, Somalie, Soudan). Derrière ces majorités, se cachent d’importantes revendications minoritaires qui mettent à mal l’unité des Etats. Ce pluralisme est une richesse indéniable mais alimente également un biais d’interprétation dans l’analyse de la région par les acteurs extérieurs, comme décrié par Hala Al-Karib.
Des biais d’analyse face à l’imbroglio identitaire de la Corne de l’Afrique
Cette multiplicité des ethnies et religions semble pousser à une simplification réductrice qui fausse l’analyse des conflits de la zone. A titre d’exemple, nombre d’articles mettent en avant l’opposition chrétiens/musulmans dans les crises en Afrique de l’Est (Soudan et Soudan du Sud, Somalie et Kenya). Or cette vision binaire peut fausser l’observation en donnant à l’identité religieuse une place prépondérante injustifiée, au détriment d’autres enjeux plus à propos (ethniques, économiques).
Ici, l’étude du mouvement Al-Shabbaab est pertinente : s’il s’inscrit aux premiers abords dans une mouvance djihadiste mondiale, ses revendications sont avant tout territoriales et localement ancrées. Dès lors, le combattre par une réponse militaire menée par des puissances occidentales fait le jeu de ses membres qui mettent en avant cette « invasion barbare extérieure ». A défaut, il conviendrait de lutter contre les facteurs clés qui poussent à l’engagement dans cet extrémisme violent particulier : le chômage, la pauvreté et les inégalités. En effet, c’est en utilisant ces vulnérabilités que le mouvement terroriste trouve un réel écho auprès des jeunes. Le désenchantement et l’absence de perspectives plus qu’une croyance extrémiste expliquent leur engagement.
Contrer l’extrémisme violent : un concept flou
Face au manque de cohérence des engagements qualifiés « d’extrémisme violent », se pose la question de la pertinence du concept. Fait-on exclusivement référence à la religion ? L’extrémisme serait-il acceptable si non violent ? Comment mesurer l’extrémisme et délimiter la violence ?
Surtout, cette qualification masque des revendications qui ne sont pas en lien avec l’extrémisme ou la violence. Derrière l’idéologie se cache la volonté de résistance contre des phénomènes tels que les inégalités ou la corruption. L’inadaptation de la réponse extérieure apparaît clairement lorsque les puissances occidentales, missionnées pour « lutter contre l’extrémisme violent », s’allient justement avec des régimes décriés par ces populations comme kleptocrates.
Des réponses inadaptées au regard de la méconnaissance du terrain
Au-delà d’alliances maladroites, l’inadaptation des réponses apportées au phénomène s’explique au regard de la méconnaissance du terrain. Les programmes financés par ces mêmes acteurs et mis en œuvre par la « société civile » entendent prévenir la radicalisation de la population. Un support « ciblé et réduit » permettrait le développement d’opportunités détournant la jeunesse de l’engagement extrémiste. Hala Al-Karib souligne justement la naïveté de la démarche. L’espoir de changer l’identification d’une communauté et éradiquer les inégalités et injustices par des programmes de développement pensés de l’extérieur est vainc.
Dès lors, ce sont les mouvements civils en interne qui doivent se saisir de cet enjeu : eux seuls sont capables de développer des projets permettant réellement de contrer l’extrémisme violent, par une approche adaptée au contexte local. Selon une vision globale des enjeux de la Corne de l’Afrique, cette nouvelle politique devra être connectée avec les luttes en faveur de la démocratie, la liberté de croyance, l’égalité et la justice pour être effective et initier un cycle auto-entretenu de développement.
Image : Al Shabaab fighters disengage and lay down arm, By AMISOM, Flickr, Public Domain