« N’oubliez pas que nous sommes dans une région troublée » a déclaré le Général Al-Sissi lors de sa conférence de presse conjointe avec Emmanuel Macron le 28 janvier 2019. Une région troublée donc, qui nécessite de prendre des mesures particulièrement répressives pour lutter contre le terrorisme et l’islamisme radical, entre autres, selon le président égyptien.
Ces particularités auxquelles l’Egypte doit faire face seraient donc une raison de censurer, d’arrêter et de faire disparaître toute personne représentant un danger pour la sécurité de l’Etat. Ces violations évidentes des droits humains sont constamment dénoncées par des voix égyptiennes et internationales, et ce particulièrement dans le dernier rapport de l’ONG Front Line Defenders – Striking Back. Egypt’s attack on Labour Rights Defenders – paru le 14 janvier dernier.
Une rhétorique ultra-sécuritaire
Depuis son arrivée au pouvoir en 2013, le Général Al-Sissi a mis en place un régime centré sur la sécurité. Ce contrôle très strict de la population est officiellement justifié par deux rhétoriques :
- Le gouvernement se doit de protéger ses citoyen.ne.s de la menace terroriste, particulièrement puisqu’ils ont été sous la menace de l’établissement d’un Etat religieux avec la présidence de Mohammed Morsi.
- Le gouvernement se doit de diriger ses citoyen.ne.s vers le droit chemin : l’Égypte « ne sera pas construite par les blogueurs mais par le travail, l’effort et la persévérance ».
La menace de groupes jihadistes[1] sur le pays, et particulièrement dans la région du Sinaï, où les attaques terroristes sont le plus nombreuses, sert de justification à ce discours. Ainsi, alors que le gouvernement annonce qu’il parviendra à battre les jihadistes militairement, il arrête aussi toute personne présentée comme menace à la sécurité nationale. L’idée est la suivante : ne pas soutenir le régime qui combat les terroristes, c’est être un.e terroriste. Ces personnes sont placées sur des listes de terroristes, et susceptibles d’être arrêtées à n’importe quel moment.
Cette rhétorique permet de justifier une répression encore plus forte que celle du régime de Moubarak avant la révolution de 2011, et un traitement des opposant.e.s similaire au traitement des terroristes. Ces défenseur.se.s des droits humains subissent de la torture et ne peuvent se défendre, parce qu’ils et elles sont considérés comme des menaces à la nation, qui est en état d’urgence depuis avril 2017.
Des arrestations répétées, et en augmentation
Suite à la visite d’Emmanuel Macron, un avocat a annoncé qu’il portait plainte pour menace à la sécurité nationale contre quatre défenseurs des droits humains qui avaient osé rencontrer le président français et lui parler de la situation catastrophique des associations de défense des droits humains et de leurs membres. « Nous ne voulons pas que les droits humains en Égypte se résument uniquement aux blogueurs » a déclaré Al-Sissi face à la presse et à Emmanuel Macron. La menace principale sur les droits humains est, selon l’exécutif égyptien, le militantisme islamiste, et il faut passer par des mesures fortes et strictes pour empêcher ces groupes de prospérer.
Le dernier rapport de l’ONG Front Line Defenders sur l’Égypte s’intéresse de près à la situation des défenseur.se.s des droits humains, et plus particulièrement aux syndicalistes. En se basant sur des interviews avec des syndicalistes, le rapport fait le constat d’une militarisation de plus en plus prégnante de l’économie du pays [2] et de la société en général. Ainsi, plus de 15 000 civils (des défenseur.se.s des droits humains, des journalistes, des photographes, mais aussi des enfants) ont été jugés militairement depuis l’arrivée au pouvoir d’Al-Sissi en 2013. L’armée a renforcé son contrôle sur la vie du pays depuis 2015, avec une loi l’autorisant à créer des entreprises. Le rapport dénonce le traitement des défenseur.se.s des droits humains arrêté.e.s, qui ont subi disparitions, arrestations et torture (chocs électriques, passages à tabac, agressions sexuelles et amputations) de la part de forces de sécurité agissant en toute impunité.
Selon le rapport, les syndicalistes sont en première ligne du fait de la force de la contestation sociale en Égypte depuis les années 1950, et qui est à l’origine de la chute du régime de Moubarak. Or, renverser le régime, selon certains, c’est trahir le pays.
[1] L’expression peut être remise en question, mais correspond à l’appellation utilisée par l’International Crisis Group pour qualifier les groupes armés responsables des attaques dans la région du Sinaï.
[2] Le Ministère de la Défense achète ainsi un grand nombre de terres, d’usines, d’hôpitaux, d’hôtels et d’institutions publiques, renforçant le contrôle de l’armée sur le pays.
Image : Mountain Passage, By Alexander Annenkov, Flickr, CC-BY-SA 2.0