L’édition 2021 de la commémoration des « martyrs des temps modernes » : un rappel des enjeux de l’intégration de la minorité copte dans la nation égyptienne
Dans un contexte sanitaire complexifiant la tenue d’évènements religieux en Égypte, la communauté copte commémore les victimes chrétiennes du terrorisme islamiste, ciblées pour leur foi. Présente en Égypte depuis la naissance du christianisme, la communauté copte représente aujourd’hui environ 10 % de la population égyptienne. Il s’agit de la plus grande minorité religieuse du Moyen-Orient. Organisée chaque année depuis 2018, la commémoration des « martyrs des temps modernes » et ses échos internationaux rappellent la vulnérabilité de ces minorités, persécutées pour leur appartenance religieuse. La protection des chrétiens contre les exactions de groupes terroristes ou de fondamentalistes islamistes demeure un enjeu de la politique sécuritaire menée par le gouvernement égyptien du Président Abdel Fattah al-Sissi, dans une société égyptienne aux tensions religieuses en voie d’apaisement.
La commémoration des « martyrs des temps modernes » : une date singulière
Depuis 2018, tous les 15 février, la communauté copte orthodoxe commémore les « martyrs des temps modernes ». Cette célébration rend hommage aux chrétiens tués en Égypte au XXIème siècle en raison de leur foi. Sa date est particulièrement symbolique. Elle renvoie à l’assassinat par l’État Islamique (EI) de 21 chrétiens (20 Égyptiens coptes et un Ghanéen) à Syrte en Libye. Une vidéo du 15 février 2015, diffusée sur le site de propagande de l’EI, met en scène leur assassinat. Refusant de renier leur foi chrétienne, ils acceptent leur sort. L’horreur a atteint son paroxysme. Les chrétiens, depuis longtemps menacés par ces groupes terroristes, deviennent des cibles privilégiées.
L’enlèvement et l’exécution de ces hommes interviennent dans un contexte particulier. Depuis le début de la guerre civile en 2011, la Libye est une vaste zone de non-droit et d’insécurité. Les groupes djihadistes contrôlent en 2015 une vaste zone de l’Est libyen, où vivent de nombreux Égyptiens, notamment chrétiens. En dépit des alertes sécuritaires du gouvernement égyptien, qui a déconseillé la zone depuis 2013, leur nombre n’a pas décru. Beaucoup se sont trouvés encerclés dans les principales villes, devenant des cibles vulnérables.
Le travail mémoriel : vers le temps de commémoration
Après la publication de la macabre vidéo, le Président égyptien al-Sissi a déclaré un deuil national d’une semaine. Cette mesure est un symbole fort d’une Égypte unie dans la douleur face aux atteintes à ses minorités religieuses. Le régime n’a pas laissé ce crime impuni. Le lendemain, des frappes aériennes égyptiennes ont ciblé des camps d’entrainement djihadistes en Libye, neutralisant de nombreux terroristes.
Après le succès de cette opération visant à venger les victimes, le Président Al-Sissi est allé présenter ses condoléances au Patriarche copte, Tawadros II, dans la cathédrale Saint Marc d’Abbassia, siège primatial de l’Église copte orthodoxe. Depuis 2013, le régime a opéré un rapprochement avec les minorités chrétiennes pour les réintégrer dans la société égyptienne. Le régime de Mohammed Morsi et des Frères musulmans les avait en effet placées en marge.
Le gouvernement a ainsi soutenu la construction d’une église à al-Our, village d’où la majorité des victimes étaient originaires. Érigée en leur hommage, l’église des Martyrs de la Foi et de la Nation a été inaugurée en 2018. Les corps des martyrs y reposent depuis cette même année. Cette valeur symbolique en fait un lieu de pèlerinage chrétien.
Depuis, l’Église copte organise tous les 15 février une commémoration pour tous les chrétiens assassinés en raison leur foi en Égypte. Dès son origine, cette fête vise à interpeller la société égyptienne dans son ensemble, au-delà des seuls chrétiens.
Une commémoration en soutien aux minorités chrétiennes ciblées par le terrorisme islamiste
Un contexte d’insécurité permanente
La célébration s’est imposée en réponse à la situation d’insécurité à laquelle ces minorités sont confrontées depuis 2011. Si l’exécution des martyrs de Syrte choque par la violence de la pratique et des images, le mode opératoire privilégié des terroristes islamistes reste l’attentat à la bombe, tuant sans discernement de religion.
L’attentat de la messe du Jour de l’An devant une église copte à Alexandrie en 2011, ayant fait 21 victimes et 79 blessés, marque le début d’une série d’attentats islamistes meurtriers visant les communautés chrétiennes égyptiennes pour leur appartenance religieuse. En 2016, un attentat lors de la messe du dimanche d’une église d’Abbassia a fait 23 morts et 49 blessés. Le 9 avril 2017, lors de la messe des rameaux, deux attentats-suicides simultanés ont fait 43 morts et une centaine de blessés dans une église de Tanta et aux abords de la cathédrale Saint-Marc à Alexandrie.
Depuis 2017, la répression des groupes islamistes et le joug de l’armée du régime ont rétabli un semblant de sécurité pour les populations chrétiennes égyptiennes. Cependant, si aucun attentat majeur n’est survenu ces dernières années, les exactions isolées se poursuivent, rappelant que la menace persiste. Le 2 février 2021, deux hommes ont été condamnés pour le meurtre d’un Égyptien copte à Alexandrie en décembre 2020.
La symbolique internationale de la commémoration
La célébration des « martyrs des temps modernes » est ainsi l’occasion de manifester un soutien à la cause sécuritaire des minorités chrétiennes égyptiennes, à l’échelle locale comme internationale. Ce 15 février, le Pape François a déclaré que les martyrs de Syrte sont les « saints de tous les chrétiens ». Cette cérémonie fut ainsi l’occasion pour le chef de l’Église catholique de renouveler sa solidarité envers les minorités chrétiennes égyptiennes. De son côté, le diocèse copte orthodoxe de Londres a organisé un évènement pour cette quatrième édition de la commémoration. L’évènement a rassemblé le patriarche copte, l’archevêque de Canterbury et le président du Conseil pontifical de promotion de l’unité chrétienne. Par ailleurs, depuis 2009, un mémorial a été érigé à Sydney en l’honneur des martyrs coptes et la cérémonie du 15 février y est célébrée chaque année.
Dans le contexte actuel de crise sanitaire accentuant les fragilités économiques et sociales, la question de la situation sécuritaire des minorités, notamment religieuses, se pose avec une acuité accrue. Les chrétiens, occupant des emplois très précaires dans une société égyptienne qui les discrimine, sont particulièrement vulnérables en temps de pandémie.
Une commémoration en contexte de pandémie : entre limitation des libertés religieuses et solidarité interconfessionnelle
Un contexte sanitaire facteur de rapprochements interconfessionnels
Deux semaines d’éveil spirituel précèdent normalement la célébration en l’honneur des martyrs. Lectures et prières permettent de préparer la messe du 15 février, célébrée à l’église d’al-Our. Pour des raisons sanitaires, le temps d’éveil a été annulé et la messe s’est tenue en comité restreint. Des prières sur la fin de la pandémie et la réouverture des églises ont notamment été prononcées.
L’édition 2021 de cette commémoration s’organise ainsi dans un contexte singulier de réduction des libertés religieuses. Dans ce pays de 100 millions d’habitants, l’enjeu sanitaire est un défi de taille. Depuis décembre 2020, les cérémonies religieuses se limitent à un public de vingt personnes. La perspective de réouverture des lieux de culte commence néanmoins à poindre. Le 20 février 2021, l’Église évangélique a en effet été la première à annoncer la reprise des messes en public.
La fermeture des lieux de culte en 2020 avait soulevé de nombreuses inquiétudes, partagées par les musulmans comme les chrétiens. Meurtris par cette atteinte à la liberté de culte, les croyants redoutent une instrumentalisation du prétexte sanitaire par le gouvernement, dans le but de fermer les mosquées et les églises plus régulièrement et de façon arbitraire.
Les communautés musulmanes et chrétiennes ont notamment beaucoup souffert de la fermeture des lieux de culte lors de la Semaine sainte et du ramadan, ce qui a favorisé une plus grande fraternité entre eux, selon le Père Rafiq Greich, grec-catholique porte-parole des évêques égyptiens. En février 2021, le diocèse de Deshna a illustré cette solidarité en soutenant la construction d’une mosquée dans le village.
L’écho de la commémoration pour l’identité nationale égyptienne
Ces actes de solidarité, dans une société où la menace sécuritaire persiste et est instrumentalisée par le régime, suscitent l’espoir d’affirmation d’une identité égyptienne qui ne serait pas uniquement basée sur l’islamité. La reconnaissance par le régime de l’apport du patrimoine copte à l’histoire nationale, symbolisée par la commercialisation en février 2021 de pièces commémoratives à l’effigie de trois patriarches coptes orthodoxes, s’inscrit dans ce registre. Le Patriarche Tawadros II est notamment représenté devant la cathédrale de la Nativité, inaugurée avec le Président al-Sissi en 2019. Cette cathédrale, construite dans la nouvelle capitale, est un symbole fort. Le Président égyptien y avait réaffirmé ses intentions de protection des chrétiens, membres à part entière de la nation égyptienne. Une idée que résume cette phrase de son discours d’inauguration : « Nous ne faisons qu’un et nous ne ferons toujours qu’un ».
La commémoration annuelle des « martyrs des temps modernes », relayée à l’international, rappelle et dénonce les exactions et discriminations auxquelles sont confrontées les minorités chrétiennes en Égypte, et dans le monde entier. Cette célébration revêt une signification accrue dans un double contexte d’insécurité et de crise sanitaire qui fragilise les minorités religieuses.
Plus largement, elle interroge le statut des minorités chrétiennes en Égypte et la capacité du régime à les protéger. La réintégration de ces minorités dans l’identité nationale égyptienne, d’où elles avaient été exclues sous le régime de Mohammed Morsi, s’impose comme voie d’apaisement des tensions confessionnelles, une voie dans laquelle semble s’engager le régime d’Abdel Fattah al-Sissi.
Image : Patriache Tawadros II, Catholic Church England pour Flickr, CC-BY-NC-ND.2.0