Le rapprochement des pays du Golfe et d’Israël suscite bien des interrogations. La persistance du conflit israélo-palestinien semblait être un mur infranchissable, notamment depuis la publication du plan de paix, en janvier 2020, par l’administration américaine. Celui-ci prévoit, d’une part, l’établissement officiel de l’État palestinien dans ses frontières de 1967 (avant la Guerre de Six-Jours) regroupant ainsi la Cisjordanie, la Bande de Gaza et quelques territoires du Désert de Négev, ainsi qu’une aide au développement économique américaine de 50 milliards de dollars. D’autre part, les colonies israéliennes de Cisjordanie seraient entérinées et Jérusalem deviendrait officiellement la capitale d’Israël (une partie de Jérusalem-Est deviendrait la capitale palestinienne). Contestée par les autorités palestiniennes, cette proposition a suscité des réactions mitigées aussi bien dans le monde arabe que dans le monde occidental. Pour autant, cette normalisation des relations entre le monde arabe à majorité sunnite, à l’image des Émirats Arabes Unis et d’Israël, n’est pas soudaine. Elle s’inscrit au sein d’un mouvement de rapprochement progressif sur différents plans : religieux, culturel, économique et enfin politique. En effet, ces États, fortement empreints des religions du Livre, partagent un terreau de croyances depuis plus d’un millénaire. Aussi, l’établissement d’une paix durable est envisageable mais des défis, notamment en matière de volonté politique, demeurent.
« Shalom » et « Salaam » : des salutations synonymes de paix
Celle-ci n’a jamais semblé aussi proche. En effet, l’accord historique entre Abou Dhabi et Tel-Aviv du 13 août 2020, désormais rejoints par Bahreïn le 15 septembre 2020 , a ébranlé le consensus du monde arabe sur la « question palestinienne ». Cet accord prévoit des relations dans divers domaines qui vont du commerce à la coopération judiciaire. Présenté au départ comme officiellement conditionné par l’arrêt de l’annexion des territoires palestiniens, celui-ci n’est pas mentionné dans le corps de l’accord. Il est pour autant la contrepartie majeure d’Israël lors de la signature de ces engagements. Cet accord rompt également le consensus officiel tel qu’il s’était dessiné à travers l’Initiative de paix arabe de 2002, qui conditionnait la normalisation avec Israël à la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967, le retrait d’Israël du plateau du Golan et le retour des réfugiés. Jusqu’à présent, au sein du monde arabe, seuls l’Égypte et la Jordanie avaient reconnu officiellement l’État d’Israël, sous d’autres contextes.
Un socle religieux commun
Le partage de croyances religieuses millénaires, rassemblées au sein des « religions du Livre », est un facteur majeur pour une coexistence pacifique. En effet, le prophète Abraham, descendant d’Adam, premier homme et croyant en un Dieu unique, est le père des trois grandes religions monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam. Les histoires et les enseignements sont identiques et les divergences doctrinales sont moins importantes que certains souhaitent le présenter. La plus grande divergence est celle partagée avec la figure de la Trinité au sein du christianisme. Les enseignements judaïques et islamiques partagent des pratiques communes à l’instar des rites de purification, à l’image de la circoncision et des interdits alimentaires, comme l’interdiction de consommer du porc.
Ce partage de croyances religieuses s’est inscrit dans l’établissement et l’échange de normes culturelles. En effet, les deux peuples se sont enrichis mutuellement de leurs spécificités. Ainsi, les métiers d’artisanat, de commerce et d’enseignement ont été à la fois exercés par des juifs et des musulmans. Par ailleurs, nombreux sont les juifs à converser en arabe et nombreux sont les arabes à parler hébreu. Les juifs séfarades se sont particulièrement intégrés à la culture arabe et à celle d’Afrique du Nord. Ils ont grandement contribué, aux côtés des musulmans et des chrétiens, à l’épanouissement intellectuel d’« Al-Andalus » au Moyen-Âge.
Témoins de l’essor du mouvement pour la paix, les médias véhiculent la vie quotidienne et commune de ces peuples. Plus au moins réalistes, les séries télévisées étendent leurs intrigues à diffuser ces différents mondes sur l’ensemble du globe. Les séries « Tehran » et « Fauda », du réalisateur Moshe Zonder tentent de sensibiliser les Israéliens au monde iranien et palestinien. Plus encore, la série « Messiah », du réalisateur Michael Petroni, montre que les différences de religions et de cultures sont minimes devant la croyance d’un destin commun de l’humanité.
Des histoires communes mais qui peinent à s’affirmer face à des intérêts géopolitiques
La création de l’État d’Israël (1948), dans l’incompréhension et la douleur, a fortement entravé cette coexistence. Elle demeurait, jusqu’à l’implantation du sionisme en Palestine, alors sous mandat britannique au début du XXème siècle, essentiellement pacifique.
Dans l’Allemagne nazie, la « peur du juif », en pleine crise économique et sociale, a conduit, tel un engrenage, à un des plus grands génocides de l’histoire de l’humanité. Cette imposante histoire commune peut rassembler, à l’image des actes de bravoure « des Justes parmi les Nations » de confession musulmane (parmi d’autres confessions ou athéistes) : des forts témoignages qui rappellent avec acuité que la religion (étymologiquement : qui relie) peut être également un facteur d’unité et d’humanité face à la barbarie.
Néanmoins, cette peur de l’extermination, toujours dans la mémoire collective (notamment lors de la Guerre des Six Jours en 1967), est le terreau de la politique israélienne, comme la poursuite de la colonisation des territoires palestiniens, menée par les gouvernements de Benjamin Netanyahou. Les attaques terroristes du Hamas accentuent cette peur dans ce pays, entouré d’États hostiles à sa création, à l’image de l’Iran.
Dans une moindre mesure, le gouvernement palestinien partage cette peur de l’éviction, avec un amoindrissement des ressources nécessaires à la permanence de la population palestinienne. En effet, la diaspora palestinienne demeure extrêmement importante et, en grande majorité, pauvre. La « Nakba », l’exode palestinien en 1948, demeure dans les esprits.
La rhétorique du conflit, qui est essentiellement géopolitique, s’appuie sur une dimension religieuse messianique, propagée par les deux appareils d’État. Celle-ci est encouragée par les États alliés, à l’instar de l’Iran, pour des intérêts géopolitiques, via l’hypothèse d’« une guerre opposant juifs et musulmans ». Cette thématique est véhiculée par la branche armée du Hamas, soutenue financièrement par l’Iran, dont la branche politique contrôle et est présente au sein de la Bande de Gaza.
La propagande de cette « mystification du conflit », à l’image des nombreuses victimes militaires et civiles aussi bien israéliennes que palestiniennes, porte un danger mortel. Plus encore, elle entrave fortement l’ambition de voir aboutir le processus de paix, amorcé il y a près de 23 ans avec les Accords d’Oslo de 1993. Provisoires, ceux-ci prévoyaient, dans un premier temps, l’établissement d’une administration autonome palestinienne, l’Autorité Palestinienne et des négociations sur le statut final. Le transfert aux Palestiniens de la responsabilité pour la bande de Gaza et la Cisjordanie. Les points litigieux tels que le statut de Jérusalem, la question des réfugiés et les colonies israéliennes en Cisjordanie ne sont pas encore tranchés à ce jour. Les Accords d’Oslo II, signés en 1995, précisent l’organisation politique et administrative du futur État palestinien, où la Cisjordanie serait unifiée administrativement [1].
L’émergence d’une paix durable au Moyen-Orient ?
Pour autant, pour l’établissement d’une paix durable, les efforts doivent être partagés. L’établissement d’un État Palestinien, équitablement réparti, à même de fournir les ressources nécessaires à sa population, est crucial. En effet, selon les données du « CIA World Factbook », la densité de la population de la Bande de Gaza, territoires étroits et peu développés en infrastructures publiques, est la cinquième plus importante du monde en 2019. L’économie palestinienne demeure dépendante des aides internationales. En outre, le secteur privé est entravé par les restrictions israéliennes comme le démontrent des études menées par la Banque Mondiale.
À terme, ces efforts mutuels pourraient aboutir à des relations étroites sur les plans politique, économique et culturel. Cet établissement pourrait débuter, comme le préconisent des civils israéliens et palestiniens, par la mise en œuvre du système de la justice transitionnelle à l’image de l’Afrique du Sud. En effet, cet État fut marqué, pendant près d’un demi-siècle, par une séparation ethnique : « l’Apartheid ». Cet ensemble de mesures permet de confronter juridiquement, mais surtout pacifiquement, les violations massives ou systématiques des droits de l’homme, ayant eu lieu avant la transition, vers de futurs régimes politiques israéliens et palestiniens. Ce système vise à promouvoir la réconciliation et favoriser l’établissement de l’État de droit et de la démocratie .
Néanmoins, si la reconnaissance d’Israël représente un tournant historique, l’accord ne fait pas l’unanimité et fait face à de nombreuses critiques. Pour certains observateurs, l’intérêt d’un accord de paix entre des États qui n’étaient pas officiellement en guerre est minime. L’accord mettrait au second plan le véritable enjeu de tensions de la région qui est la question israélo-palestinienne. En effet, La rupture du consensus officiel évoqué en introduction est vécue par les palestiniens comme une trahison de la part des États arabes voisins, ce qui explique la condamnation de l’Accord par l’Autorité palestinienne et par des manifestants. Si l’Accord prévoit de suspendre l’annexion de la zone C, cette décision n’est que temporaire comme le précise Benjamin Netanyahu. Ainsi, on pourrait craindre une montée de la violence de la part du Hamas à court-terme et une reprise future de cette annexion.
L’accord de paix s’explique aussi par des enjeux sécuritaires, économiques et politiques. Il faut les ressaisir dans le cadre de l’émergence d’un ennemi commun en la figure de l’Iran chiite, qui menace régulièrement les États arabes sunnites et qui est revenue sur la scène internationale en 2005 avec les JCPOA (Accords de Vienne sur le nucléaire iranien). Le commerce pourrait aussi être un facteur pragmatique et durable de paix. Ainsi, à la suite des Accords d’Oslo, Oman et le Qatar nouent des relations commerciales avec Israël. Dans une région des plus arides du monde, la circulation des ressources et des matières premières, notamment alimentaires, est nécessaire. Le développement des relations économiques entre Israël et ses voisins arabes mais aussi entre les Émirats arabes unis et les États-Unis (les Accords sont signés à Washington) peut donc expliquer les motivations de cet accord. Enfin, la candidature de Donald Trump a sa propre succession, et les procès à venir de Benjamin Netanyahu ne doivent pas être occultés pour comprendre les enjeux de ces accords auprès de l’opinion publique.
Conclusion
Ainsi, bien que pressentie, le chemin vers la paix semble se préciser davantage. En effet, après plus d’un demi-siècle de guerres, malgré des défis encore importants, certains éléments peuvent nous permettre de penser que le temps de la paix est enfin venu, à en croire le proverbe arabe qui estime, qu’ : « il n’y a de paix possible qu’après la guerre ».
Notes
[1] Au chapitre 2 de l’accord intérimaire (« Redéploiement et arrangements de sécurité »), les territoires de Cisjordanie sont répartis en trois zones : A, B et C. L’accord Oslo II était conçu au départ pour une période de transition de cinq ans, au terme desquels devait exister un État palestinien souverain. Les zones C devaient être progressivement converties en zones A et B. Cette étape n’a toujours pas été accomplie à ce jour. Puisque la zone C représente plus de 60% de la Cisjordanie et constitue le seul territoire continu, la création d’un État palestinien n’est guère concevable si les Palestiniens n’ont pas le contrôle de la zone C.