Dans son rapport de 2017 sur les Emirats arabes unis, l’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch (HRW) dénonçait l’interdiction d’enquêter imposée par le royaume aux représentants des organisations internationales de droits de l’homme.
Alors que les abus dus au manque de protection juridique des travailleurs migrants se systématisent, de même que les entraves à la liberté d’expression, l’expert Fadi Al-Qadi, interviewé par l’Organization for Defending Victims of Violence (ODVV), discute des violations des droits de l’homme dans le pays. L’ancien porte-parole de la section Moyen Orient et Afrique du Nord de HRW livre ainsi un portrait sombre de la situation domestique qu’il estime de plus en plus répressive.
Un système archaïque exposant les travailleurs migrants à des conditions proches de l’esclavagisme
Alors que la population du royaume est composée à près de 85 % d’expatriés (7.8 millions sur un total de 9.2 millions d’habitants), la situation de la main d’œuvre étrangère demeure extrêmement précaire. En raison du régime de la « kafala » en vigueur dans tous les pays du Golfe, les employés se trouvent sous la tutelle des patrons, responsables des démarches de visa et qui n’hésitent pas à confisquer les passeports des travailleurs pour les empêcher de partir.
L’isolement ainsi créé expose les migrants à des violations récurrentes de leurs droits fondamentaux de la part de leurs « parrains », à commencer par des violences physiques et sexuelles ainsi qu’un rythme de travail épuisant et peu ou pas récompensé.
Malgré quelques réformes juridiques, le respect de ces nouvelles mesures demeure très imparfait en raison de l’inexistence de tout organe de surveillance indépendant. En effet, comme le souligne Fadi Al-Qadi, les lois sont essentielles mais insuffisantes tant que les instruments nécessaires à leur suivi, tels qu’une société civile libre et des organes judiciaires autonomes, ne sont pas assurés. La main d’œuvre n’est pas la seule souffrant de ce manque d’action publique, puisque les femmes sont également toujours discriminées, la monarchie ne punissant pas les violences domestiques.
La manipulation des lois antiterroristes pour étouffer toute contestation
En outre, les mesures liberticides précédemment citées ne sont que peu dénoncées en raison des restrictions arbitraires imposées par le gouvernement à la liberté d’expression. Celui-ci utilise les lois antiterroristes pour condamner – parfois à mort – toute personne menaçant l’ « unité nationale et la paix sociale », sans pour autant définir ces concepts, ouvrant ainsi la voie à toute arrestation d’opposants politiques, même pacifiques.
Ainsi, les disparitions de bloggers ou activistes se multiplient, à l’image de la détention secrète d’Ahmed Mansour, défenseur des droits humains et membre du comité consultatif d’HRW (Moyen Orient/Afrique du Nord), et de l’emprisonnement du Docteur Nasir Bin Gaith, professeur à la Sorbonne.
De même, la liberté de la presse n’est pas respectée dans le royaume, classé 128ème sur 180 par Reporters sans Frontières. Selon Fadi Al-Qadi, les médias émiratis sont entièrement contrôlés par le gouvernement qui les possède, tandis que les journalistes opérant à l’étranger ne sont pas nécessairement intéressés par le traitement de ces sujets domestiques.
Une opinion internationale peu critique face à une puissance régionale émergente
Face à de telles injustices pourtant dénoncées par les organisations de défense des droits de l’homme, il est légitime de s’interroger sur le silence du monde occidental, en particulier des Etats-Unis et de l’Union européenne, alliés à la fois politiques et commerciaux. Pour Fadi Al-Qadi, les Emirats n’ont subi aucune pression internationale depuis 2011.
Il affirme également que si les liens économiques peuvent expliquer partiellement l’absence de condamnation publique, ce facteur doit être nuancé. Il rappelle ainsi que la monarchie devient aussi un acteur régional puissant, qui n’hésite pas à s’engager dans des conflits meurtriers pour soutenir son partenaire saoudien.
En effet, les actions d’Abu Dhabi au Yémen, notamment ses frappes aériennes et son mauvais traitement des prisonniers, peuvent être assimilées à des crimes de guerre. Cependant, la Cour pénale internationale ne peut pas engager de poursuites puisque les parties au conflit ne sont pas membres de la Cour, qui n’a pas non plus été sollicitée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
Image : Construction workers on the promenade, By Paul Keller, Flickr, CC BY 2.0