Alors que la journée internationale des populations autochtones est célébrée, l’occasion est donnée de donner la voix aux revendications des peuples premiers ou natifs. Aux États-Unis, près de 570 tribus sont reconnues officiellement. Les natifs américains constituent environ 1.7 % de la population selon le recensement de 2010 parmi lesquels se trouvent des personnes s’identifiant comme « americanindian » ou « alaska native » seul ou « americanindian » ou « alaska native » en combinaison avec une autre « race ». Le terme « race » est ici à utiliser selon l’acceptation usuelle aux États-Unis, c’est-à-dire une donnée socialement construite qui se rapproche plus de l’identité ressentie de l’individu que d’une réalité scientifique.
Parmi ces 1.7 % de personnes se reconnaissant comme natifs américains, la majorité vit en dehors des réserves (territoires délimités par le bureau fédéral américain à la souveraineté relative). Il s’agit donc d’une population hétérogène, aux cultures multiples, située principalement en Californie, Arizona et Oklahoma mais également présente sur l’ensemble du territoire. Si les enjeux concernant les natifs américains sont nombreux parmi lesquels le manque de représentation politique, le racisme, la pauvreté, l’éducation, le chômage, la perte culturelle, les contestations territoriales, et plus encore, il est impossible de tout évoquer ici. En lien avec l’actualité récente en Idaho et parce que le problème est régulièrement évoqué depuis une vingtaine d’années, nous allons aborder la question des mascottes représentant les populations indiennes natives et le problème identitaire posé par celles-ci.
Les mascottes sportives, racisme ou honneur ?
Aux États-Unis, toutes les équipes de sport, les clubs et les écoles (du primaire à l’université) possèdent une mascotte. C’est l’identité de l’institution et elle a souvent été choisie lors de la création de l’établissement. Les mascottes sont très populaires et exhibées avec fierté. Elles sont majoritairement à caractère agressif pour démontrer la supériorité de l’équipe sur ses adversaires. Leur légitimité est très rarement contestée. Alors que beaucoup sont liées à des animaux sauvages et prédateurs (aigles, ours, requins), de nombreuses mascottes représentent les Indiens d’Amérique.
Les avis divergent : de racisme à caricature humoristique en passant par honorifique. Les mascottes les plus critiquées sont celles des Redskins de Washington pour le football américain, le Chief Wahoo des Indiens de Cleveland pour le baseball (dont le logo n’est plus utilisé depuis le début de l’année 2019) et le Chief Illiniwek de l’université d’Illinois (retirée en 2007). Ce qui est critiqué par les activistes souhaitant mettre un terme aux mascottes, c’est qu’elles restent parfois la seule perception que la plupart de la population se fait des Indiens. Ceci ajouté à l’image que les medias et le cinéma américain peuvent véhiculer rend souvent la représentation caricaturée et inexacte. En tout, environ deux mille écoles, collèges, universités et équipes semi-professionnelles et professionnelles sont concernées par ces logos et mascottes à caractère racial diffusant toutes sortes de clichés dérangeants et blessants. Les arguments en faveur de ces mascottes sont les suivants : elles rendent hommage à la bravoure, au courage et au caractère guerrier des natifs. Il est souvent ajouté que les noms n’ont jamais été destinés à heurter ou à se moquer mais sont de l’ordre du divertissement.
L’impact de la représentation caricaturée sur les populations autochtones
Les critiques concernant ces représentations sont nombreuses et pointent l’affaiblissement de l’estime de soi chez les Indiens. C’est également un rappel de l’autorité américaine qui a pris le dessus sur les diverses tribus depuis la venue de Christophe Colomb en 1492. Cette supériorité permet alors une utilisation abusive des symboles et des croyances. Cette utilisation forcée ne respecte pas les valeurs des Amérindiens. Elle rend profane et de l’ordre du divertissement le sacré. C’est un symbole de l’emprise du gouvernement sur la population Indienne. Cela leur rappelle les traitements qui ont été réservés par le passé à leurs ancêtres, ce qu’ils ont perdu. Il y a régulièrement des manifestations organisées autour des grands évènements tels que le Super Bowl pour alerter l’opinion. Jacqueline Keeler, la co-fondatrice du mouvement « Eradication Offensive Native Mascotry » a accordé un entretien à MSNBC dans lequel elle explique que les Indiens sont la cible de stéréotypes, de marginalisation et que leurs réels problèmes sont obscurcis par les mascottes. En effet, la population connait les mascottes, les stéréotypes, mais ne connaissent pas réellement les communautés. Quand ils demandent de l’aide, politique ou financière, les démarches sont alors compliquées à cause de ce manque de conscience.
Les raisons de cette mobilisation grandissante contre les mascottes sont les études d’impact réalisées par la suite. Car si les supporters de ces équipes sont grossiers et véhiculent de nombreux stéréotypes, ils ne font, directement, aucun mal. Ce qui est préoccupant ce sont les réactions des supporters adverses qui peuvent lancer des « scalpez les Redskins », « tuez les Indiens » lors de la ferveur du match. Ce sont ces phrases, en plus de l’imagerie qui les accompagne, qui peuvent porter atteinte à l’estime de soi. L’impact sur les Indiens d’Amérique varie selon l’attachement de la personne à ses traditions mais l’impact négatif peut être très sérieux. Se voir représenté de manière stéréotypée peut causer de la honte, une baisse de l’estime de soi[1] qui peut entrainer un échec scolaire, de la dépression et même des cas de suicide. Selon l’United States Center for Disease Control and Prevention (Centre de prévention et de contrôle des maladies), le suicide est la deuxième cause de mortalité pour les 15-34 ans chez les Indiens d’Amérique et le taux de suicide pour cette même catégorie est 2,5 fois plus élevé que pour la moyenne nationale. L’influence sur les allochtones n’est pas meilleure car les Américains ayant fréquenté une école représentée par une mascotte indienne ont plus de probabilité de devenir des adultes qui discriminent leurs semblables. La mascotte rend l’empathie impossible car ils grandissent avec une vision erronée de la réalité. Cette vision romanesque de l’Indien brave et attaché aux traditions cache toute la réalité économique et sanitaire de cette population diverse[2].
Redskins de Washington, Chef Illiniwek, un long combat pour l’arrêt de l’utilisation du nom
Les Amérindiens revendiquent notamment le fait qu’ils ne sont pas des objets, des individus dont le nom rapporte des milliards de profit chaque année en produits dérivés (tee-shirt, chaussettes, jouets pour animaux, plaques d’immatriculation, horloge).
Dans le documentaire « In Whose Honor ? » (« En l’honneur de qui ? »), une mère de famille d’origine indienne (Spokane), Charlene Teters, emmène ses enfants à un match de basketball de l’université d’Illinois. Elle sera la première à faire entendre sa voix contre la mascotte du Chef Illiniwek. C’était en 1988. Voir le Chef Illiniwek faire une « danse traditionnelle » l’a profondément choquée. Elle déclare que si n’importe quelle autre religion était représentée ainsi la population réagirait mais qu’étant donné que la population indienne est minoritaire numériquement, personne n’élève sa voix contre l’immense popularité des mascottes caricaturant les natifs. Le premier match avec le Chef Illiniwek s’est déroulé en 1926, soit seulement cinq années après l’interdiction formelle pour les natifs de pratiquer leur religion. Considérer cette mascotte comme étant un symbole de la culture indienne en Amérique du Nord est donc assez compliqué au vu du contexte. Après des décennies de combat, la mascotte a été retirée en 2007 mais pour beaucoup, le combat se poursuit.
La figure principale de la controverse est sans doute les Redskins. 49 écoles utilisaient ce nom à la fin de l’année 2017. Elles étaient près de 93 en 1989, selon le Capital News Service. Karl Swanson, le vice-président des Washington Redskins, a déclaré dans le magazine Sports Illustrated, que le nom de l’équipe « symbolise le courage, la dignité et le commandement. » Seulement, l’utilisation de ce nom pose un problème d’ordre historique si l’on se rappelle qu’il était employé pour désigner les scalps des Indiens tués, revendus pour de l’argent. Dan Snyder, le propriétaire de l’équipe des Redskins a déclaré dans un entretien sur la radio ASPN : « Je pense qu’il est temps pour les gens de regarder la vérité et l’histoire, et les vraies significations, pour nous voir tels que nous sommes. Nous sommes une équipe de Football [américain] historique qui est très fière, avec un important héritage, honorant et respectant tout le monde. » Le problème dans ce conflit est que les arguments sont les mêmes mais les attentes sont différentes. En effet, en faisant appel à l’histoire, Dan Snyder veut démontrer que le nom de l’équipe a toujours été accepté sans offenser quiconque. Cependant, en se penchant sur d’autres aspects du passé, on se rend compte que ce nom, dont l’équipe est si fière, a été utilisé pour définir des pratiques inhumaines envers les Indiens d’Amérique.
De lentes améliorations
Une grande avancée dans la reconnaissance des droits des natifs fut le texte du 13 avril 2001 par la Commission Américaine des Droits Civiques (The United States Commission on Civil Rights). La déclaration contre l’utilisation de noms ou mascottes représentant les Indiens d’Amérique dit que : « Les stéréotypes raciaux, ethniques, religieux ou d’autres groupes, promus par les institutions publiques d’éducation, enseignent à tous les étudiants que les stéréotypes des groupes minoritaires sont acceptables. C’est une leçon dangereuse dans une société multiculturelle… [Les écoles] ne devraient pas utiliser leur influence pour perpétuer la fausse représentation d’une culture ou d’un peuple. » S’il s’agit d’une bonne nouvelle pour la reconnaissance du préjudice que les Indiens ont enduré, ce n’est qu’un petit pas car la situation n’a pas tant évolué que ça, en particulier pour les équipes les plus connues.
Selon un sondage du Washington Post toutefois, 9 Amérindiens sur 10 ne voient pas en quoi le terme Redskins est discriminant. Les critiques viendraient donc d’une minorité parmi la minorité.
Depuis les années 1970, deux tiers des écoles ont changé leur mascotte mais il reste environ 1 000 écoles dont l’emblème représente la population native. À la fin de ce mois de juillet, c’était notamment le lycée de Teton dans l’Idaho qui a voté pour la suppression du nom Redskins de l’équipe, tout en précisant que le nouveau nom pourra également honorer l’héritage des amérindiens.
[1] LOBO S., TALBOT S., MORRIS Traci L., Native American Voices: A reader, Third Edition. GIAGO, “Indian named Mascots: An assault on self-esteem”. 1995
[2] MARKUS et MOYA, Doing Race: 21 Essays for the 21st Century. FRYBERG et WATTS “We are honoring you, Dude”. 2010
Image : Chief Zee with fans at FedEx Field. Washington Redskins vs. New York Jets on December, 4, 2011. By Katidid213.Wikicommons BY-SA 3.0.