Le 9 juillet 2020, le Barents Observer faisait savoir que des Samis Finlandais étaient surpris de voir une foreuse sur une zone d’alimentation des rennes pour exploiter le sol sans qu’ils aient été informés préalablement de cette demande. Cet énième épisode de leurs droits bafoués illustre les problèmes que ce peuple rencontre pour survivre et préserver son mode de vie indigène. Malgré une décision de la justice suédoise en janvier 2020 accordant aux Samis le droit exclusif de régir la chasse et la pêche sur leur terre ancestrale et la présence de ce peuple nordique dans – SPOILER ALERT ! – la saison 5 de la série Vikings qui leur a donné une visibilité supplémentaire, la situation reste mal connue. Une visibilité bienvenue, mais qui n’efface pas les difficultés que ce peuple peut rencontrer quotidiennement, et même qui peut les aggraver. Au travers de cet article, nous allons nous intéresser à la situation de ce peuple. En particulier, aux Samis présents en Finlande et en Russie qui connaissent des combats et des difficultés plus spécifiques. Des défis qui menacent en profondeur leur identité culturelle.
Un aperçu historique
Afin d’éclaircir le propos du texte, il convient tout d’abord de faire un rappel contextuel.
Les Samis sont présents dans le Grand Nord depuis environ le IIIe siècle après Jésus-Christ selon des fouilles archéologiques. D’abord sujets aux invasions nordiques, ils devront ensuite subir l’exploitation minière de leur terre finlandaise sous domination du royaume de Suède, ce qui provoquera des exodes vers la Norvège voisine. C’est d’ailleurs durant cette période que le suédois Johannes Schefferus va publier un ouvrage sur ce peuple : Lapponia paraîtra en 1673.
Au fur et à mesure des siècles, ils subiront des centralisations étatiques, des frontières et des exploitations minières jusqu’à voir s’affirmer, dans les années 1970, un processus de légitimation identitaire et une prise de conscience de la nécessité de sauvegarder leur mode de vie. Les sources sont contradictoires, mais il est admis qu’il existe environ 90 000 Samis actuellement, la Finlande n’en compterait que 5000 et la Russie environ 1500. Cette faible densité par rapport à la Suède et à la Norvège permet de mieux mettre en avant la difficulté d’imposer leur exception culturelle.
Les contextes de violence
Les incursions géographiques étatiques, les dislocations sociales par l’introduction de nouvelles normes, le contrôle politique externe et les difficultés économiques ont conduit les Samis à souffrir de nombreux défis. Leur identité ethnique s’est confrontée à de nombreuses interférences qui ont créé une vulnérabilité face au futur. De fait, la vulnérabilité regroupe un champ large pour les populations autochtones : la diffusion d’une autre langue, les changements économiques, le religieux, le mélange ethnique, la lutte pour la sauvegarde culturelle et politique, les défis climatiques. Ces différents points ont des effets directs et des impacts concrets. Ces facteurs jouent tous des rôles importants sur l’individu ainsi que sur le collectif. Tous expliquent les exodes ruraux ainsi que les disparitions culturelles.
Pour se rendre compte des éléments à surmonter, voici quelques exemples parlants dans une liste non exhaustive. Les dialectes samis furent interdits en Russie pendant toute la période soviétique. Par conséquent, ils sont aujourd’hui moins de 300 à savoir parler leur langue sur la population autochtone régionale et la perte d’un dialecte est une immense perte d’affirmation culturelle. En Russie toujours, l’État a considéré que les conditions d’éducations étaient trop difficiles pour des enfants dans la toundra et les jeunes enfants sont placés de façon temporaire dans des internats loin de leur famille ; sans avoir l’intention protectrice qu’elle se donne, la mesure a des effets plus que néfastes puisqu’elle arrache les enfants à leur groupe familial et culturel.
Mais les Samis de Finlande ne sont pas en reste. S’ils connaissent des défis culturels, ils sont davantage préoccupés par des problèmes d’ordre économique. En juillet 2019, par exemple, ils ont dû se dresser contre un projet de ligne ferroviaire devant faciliter l’exploitation de minerais et d’hydrocarbures en reliant le littoral norvégien au nord de la Finlande. En dehors d’une question environnementale pour laquelle Greenpeace a mobilisé les Samis en les formant à des techniques de désobéissance civile, ce projet allait entraver la circulation des rennes. Cet élevage est essentiel pour ce peuple tant il représente une source de revenus non négligeable, mais surtout il est perçu comme une caractéristique culturelle, dont la dépossession serait considérée comme un abandon de leur exception identitaire. De plus, il y a de fortes raisons de penser que ce genre de situation pourrait se reproduire avec l’exploitation du gisement de Chtokman en mer de Barents par la Russie et la construction de gazoducs dans la région pour transporter cette ressource vitale aux États.
Conscience identitaire et difficile reconnaissance
Néanmoins, non résolu à demeurer passif en voyant leur exception culturelle menacée, le peuple sami a décidé de faire valoir son droit à une conscience ethnique. Dès 1971, les Samis de Finlande ont obtenu la création d’un Parlement pour les représenter dans des domaines tels que la langue, la culture, l’éducation ou quelques questions industrielles. Même s’il convient de relativiser le poids du Parlement, sa reconnaissance officielle n’a pas introduit une auto-détermination pour les Samis. Il est davantage considéré par Helsinki comme une autorité experte des questions autochtones dans un rôle consultatif, mais pas comme un organe décisionnaire.
Tandis qu’à l’inverse, le Parlement sami de Russie n’a vu le jour qu’en 2008, mais sans reconnaissance officielle de Moscou. Par conséquent, le Parlement sami de Russie ne peut faire face et protester aux cas d’exploitation de leurs terres par les autorités. Les autorités samies ont conscience que leur position est fragile, mais ils n’ont pas les outils nécessaires pour s’opposer aux gouvernements centraux.
Tourisme : entre effets positifs et pervers
Pour survivre, les Samis de Finlande et de Russie se sont tournés vers un nouveau domaine : le tourisme.
Ce fait apparaît comme un eldorado et un moyen d’affirmer leur identité. Il profite aux Samis comme ressource conjoncturelle à l’élevage de rennes. En effet, ce secteur est en crise du fait de difficultés économiques comme les frontières, de défis environnementaux comme la fonte des glaces sur les chemins ancestraux et la concurrence d’élevages créés par des civils non-samis – ce que la loi finlandaise autorise. Le tourisme permet également de faire connaître leur combat et leur culture à travers le monde puisque les touristes viennent d’Europe, de Chine ou d’Amérique du Nord.
Cependant, comme tout tourisme excessif, il a des effets pervers et nuisibles. En effet, avec plus de 3 millions de nuitées par an en Sàpmi finlandaise et 10 000 touristes en Sàpmi russe, ils se retrouvent dépossédés d’une partie de ce qui fait leur identité. L’ethno-tourisme a le désavantage d’avoir fait prospérer la vente de produits de contrefaçons et l’auteur de cet article a pu constater que des couteaux traditionnels leuku ou des kuksa (tasse traditionnelle) sont vendus sur le marché de Noël d’Helsinki par une production étrangère, causant une perte de revenus et une sorte de folklorisation de leur identité. C’est conscient de cette perspective que les Samis désapprouvent le port de leurs costumes ou de leurs chapeaux et qu’il est difficile d’en trouver à la vente. Tout comme la création de villages typiques, d’un temple païen pour divertir les touristes tend à faire passer leur culture pour un « amusement » aux yeux des voyageurs. S’ils souhaitent garder cette part de légitimité et d’exclusivité, ils devront faire un choix entre le tourisme et leur affirmation ethnoculturelle.
Un futur sombre ou optimiste ?
Toutefois, l’affirmation territoriale est un moyen de première importance afin d’éviter une perte identitaire. Les droits fonciers permettront de poursuivre l’élevage traditionnel des rennes et de vivre leur culture sans interférence extérieure, toutefois cela ne pourra se faire sans l’accord des États concernés. Mais comme la Russie ne se préoccupe point de ses peuples autochtones et que la Finlande n’a pas ratifié la Convention 169 sur les droits des peuples autochtones, il sera difficile au peuple sami de ces deux États de faire valoir leur droit à demeurer une exception dans leur pays.
Mais il y a des raisons d’espérer en regardant les deux voisins Scandinaves : la décision suédoise de janvier 2020 et la ratification de la Convention 169 par la Norvège sont des nouvelles positives pour les Samis. Bien que la démographie de ce peuple dans ces pays peut expliquer le poids plus important qu’ils peuvent faire peser sur les autorités politiques. Outre des conflits entre les différentes factions samies comme sur le broutage de rennes de Samis Norvégiens sur des pâturages de Samis Suédois et vice versa, le futur pourrait passer par une solidarité identitaire supranationale. Le Conseil sami créé en 1956 tente déjà de rassembler les Samis partagés entre les quatre États concernés pour proposer des projets communs, rappeler leur unité culturelle et de se rassembler pour revendiquer des droits – volonté parfois délicate du fait des disparités entre les différents partis samis. Le Conseil Sami, et c’est une solution pour l’avenir, se rapproche aussi d’autres peuples autochtones pour que leur voix pèse davantage sur la scène internationale, comme il le fait avec les Inuits sur des questions environnementales. En effet, les changements climatiques en Arctique ont des impacts concrets sur leur manière de vivre avec des hivers plus courts et des conditions météorologiques plus extrêmes, menaçant clairement leur mode de vie voire les menaces d’extinction.
En conclusion, il est aisé d’affirmer que les défis auxquels se trouvent confrontés les Samis de Finlande et de Russie sont bien trop hauts pour pouvoir faire preuve d’optimiste. Néanmoins, un réveil culturel autochtone, un intérêt croissant pour l’histoire de ce peuple, des actions de sauvegarde nationales et internationales permettent de croire en l’avenir du seul peuple autochtone d’Europe.
Image : Samis manifestant contre une exploitation forestière sur leur terre, nord de la Finlande en septembre 2018, By Greenpeace.