Le 19 février dernier, le recteur de l’académie de la Réunion M. Vélayoudom Mairmoutou adressait une circulaire aux chef.fe.s d’établissements scolaires, rappelant les principes de la laïcité, notamment la loi de 2004. À ce titre, il les appelait à veiller à ce que les élèves ne portent pas « de signes ostentatoires d’appartenance religieuse ou communautaire ».
La fin d’un compromis réunionnais ?
Cet avertissement entend mettre fin à des pratiques différenciées de la laïcité au niveau local. En effet, si la Réunion est soumise au régime de la loi du 9 décembre 1905 de la même façon que les autres Département et Régions d’Outre-Mer (DROM) [1], l’appréhension de la loi de 2004 se voulait jusqu’alors plus souple que dans l’hexagone. Ainsi, le kichali, qui est un voile mahorais, mais aussi la marque hindoue du bindi, la croix chrétienne ou le voile musulman étaient tolérés dans les établissements scolaires, car considérés comme des signes culturels n’ayant pas vocation à faire du prosélytisme religieux.
Il faut en effet bien comprendre la « forte religiosité » constatée par l’Observatoire de la laïcité sur l’île : « Y compris dans le monde du travail, on constate suite à différentes visites d’entreprises que le fait religieux est perçu très différemment que dans l’hexagone : le port de signes religieux (quels qu’ils soient) ou les salles de prière sont bien plus courants sans que cela, semble-t-il, ne pose véritablement question ». Il en va de même à l’école.
Cela s’explique en partie par la forte diversité culturelle et religieuse de l’île : la moitié de la population est catholique, le quart est hindouiste, mais il y a également plus de 10 % de musulmans, et 3,5 % de protestants, ainsi que des communautés bouddhistes, confucianistes, juives et bahá’is. Les fêtes cultuelles, devenues partie intégrante de la culture réunionnaise, encouragent la visibilité religieuse, et sont d’ailleurs subventionnées par les collectivités territoriales. Cette « laïcité pratique » réunionnaise montre une volonté de garder intacts certains particularismes culturels sur l’île. Mais pour certain.e.s, la circulaire du recteur tente de gommer ces spécificités.
Une mesure loin de faire l’unanimité
Le Groupe de Dialogue Interreligieux (GDIR) de l’île n’a pas tardé à faire connaître sa position, et considère dans une lettre ouverte adressée au préfet qu’il s’agit là d’une « volonté d’uniformisation qui ne s’embarrasse même plus de précaution ». Son président, Idriss Issop-Banian, regrette que les problèmes hexagonaux soient importés sur ce territoire de l’Océan Indien « alors qu’ils n’existent pas ». Cette préoccupation de préservation de traditions et de pratiques spécifiques met en lumière l’attachement fort à une identité réunionnaise. Mais, entre une pratique reflétant une diversité propre à l’île, et la volonté de Paris de voir les principes républicains appliqués uniformément sur le territoire, l’équilibre reste à trouver.
Image : Rite hindouiste à la Réunion, By Yves Picq, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0
[1] A savoir la Guadeloupe et la Martinique. La Guyane et Mayotte font exception : la loi de 1905 n’y est jamais entrée en vigueur. Dans ces collectivités territoriales, le financement des cultes reste soumis au décret-Mandel du 16 janvier 1939.