Le 13 décembre dernier a été élu, à l’unanimité moins une voix, Ghaleb Bencheikh à la tête de la Fondation de l’Islam de France (FIF), succédant ainsi à Jean-Pierre Chevènement. Ce dernier, ancien ministre favorable à l’assimilation culturelle, a toujours lutté contre le communautarisme. Il avait par ailleurs été vivement critiqué lors de sa nomination en 2016 compte tenu de sa non-appartenance à la communauté musulmane. Hakim El Karoui estimait, dans son rapport « Un islam français est possible », que celle-ci n’était pas un « signe encourageant » et qu’elle avait suscité, « malgré les qualités de cet ancien ministre, incompréhension et déception ».
Théologien réformateur, physicien franco-algérien et membre du bureau de la FIF, Ghaleb Bencheikh est, quant à lui, musulman. Animateur d’émissions sur l’islam chez France Culture et France Télévisions, il est le fils d’Abbas Bencheikh El Hocine, recteur de la Grande Mosquée de Paris de 1982 à 1989. De plus, « outre le fait qu’il est musulman, Ghaleb Bencheikh sera d’autant plus légitime qu’il est probablement la personne qui connaît le mieux à la fois les acteurs du monde de la recherche et de l’islam. » souligne Damien Saverot, doctorant en sciences politiques à l’École normale supérieure.
Saphir News, média spécialiste du fait musulman en France, revient sur les enjeux de cette nomination pour la FIF.
Une instance laïque destinée à mieux faire connaître religion et civilisation musulmanes
La connaissance est au cœur des missions de la fondation qui se veut être « un pont entre l’Islam et la République ». L’objet de la Fondation n’est pas religieux. Elle tend à avoir un impact au niveau culturel, éducatif et social, notamment chez les jeunes. Elle promeut la connaissance de l’islam ainsi que son histoire, dans le respect de la laïcité.
La FIF soutient en effet un Islam respectueux des valeurs de la République garantissant « liberté de conscience, laïcité et égalité de tous les citoyens, indépendamment de leur origine, de leur croyance et de leur sexe ». Dans son combat contre l’ignorance, la Fondation souhaite démontrer que l’islam, au delà d’être une religion, est également forte d’« une Histoire, de savants, de philosophes, d’une architecture, d’arts raffinés et de littératures ».
L’héritage de Jean-Pierre Chevènement
Souvent critiquée pour son inefficacité, l’ancien président assure qu’elle est désormais « sur orbite ».
Dans le cadre de son action en faveur d’un « islam cultivé », la fondation a développé ces deux dernières années un système de bourses destinées à la formation des imams. Une centaine a été allouée à 450 étudiants en théologie, imams ou aumôniers des diplômes universitaires « laïcité, société, religions ». Insistant sur le besoin que les prêches soient dits en français, l’ancien président a également valorisé l’apprentissage de la langue en distribuant 50 bourses, et a apporté un soutien financier pour la traduction d’ouvrages en français. Cet accent mis sur l’instruction souligne le manque d’experts en islamologie en France, devant être comblé par la constitution d’un réseau de chercheurs en partenariat avec le CNRS, selon Jean-Pierre Chevènement.
La transmission du savoir et des valeurs républicaines étant au cœur de la mission, la FIF a également lancé un « campus numérique », plateforme où il est possible d’échanger avec des universitaires spécialistes du fait musulman. L’élitisme d’une telle plateforme interroge toutefois sur la capacité de la Fondation à toucher un jeune et large public.
Les enjeux de la nomination de Ghaleb Bencheikh
« La Fondation aura à cœur la prise en charge, sur les plans éducatif, culturel et social, de la jeunesse qui pourrait céder aux sirènes salafistes » a déclaré le nouveau président, soulignant à nouveau les missions de la FIF. Répondre aux défis de l’extrémisme islamiste est un des enjeux de la Fondation, mais il devra également s’atteler plus généralement à œuvrer pour la réconciliation de l’islam et de la République. Pour les deux ans à venir, Ghaleb Bencheikh vise à poursuivre la recherche de financements, à organiser conférences et colloques nationaux et internationaux, à créer une « université populaire » visant à toucher un plus large public, et à « contribuer à former des acteurs du monde social, notamment les éducateurs spécialisés, pour qu’ils aient une idée moins stéréotypée » de l’islam.
La diffusion du savoir et l’instruction semblent être les seuls outils capables de réconcilier héritage culturel et valeurs républicaines. Les enjeux sont majeurs et, bien que la FIF ne puisse tous les adresser, elle peut devenir, supposé qu’elle démontre son efficacité sur le long terme, une source d’inspiration pour tous les acteurs en charge du fait religieux en France.
Image : Ghaleb Bencheikh, Congrès sur la Lumière 2015 à Montréal, by Pascale Frémond. CC BY-SA 4.0