« La radicalisation s’est installée parce que la République a démissionné » déclarait le président Macron en novembre dernier. Son objectif : réguler l’islam de France, pour le faire coïncider avec les valeurs républicaines.
Le Monde revient sur l’homme qui a inspiré Macron, Hakim El Karoui, dont le rapport controversé présenté fin mars dernier propose de lourds changements quant à la formation des imams, au financement des mosquées et à l’influence des pays étrangers. L’ambition d’Emmanuel Macron est en effet de lutter contre l’islamisme souterrain qui « endoctrine et corrompt au quotidien », mais aussi de favoriser l’intégration.
Ancien banquier de chez Rothschild, et ex-conseiller de Jean-Pierre Raffarin, El Karoui est aussi un essayiste. Il détaille dans L’islam, une religion française ses positions quant à sa conception de la religion, appelant les musulmans à « se mobiliser » pour que l’islam devienne, comme le nom de l’ouvrage l’indique, une religion française.
Une institution clé : l’Association Musulmane pour l’Islam de France (AMIF)
Le pivot du modèle qu’il explicite dans son rapport serait l’AMIF. Elle serait composée de musulmans français et se chargerait de collecter et de centraliser les flux financiers destinés à la formation des imams, à la construction des mosquées et à l’élaboration de campagnes luttant contre l’islamophobie et l’antisémitisme.
Il estime que l’influence problématique d’acteurs étrangers est en fait symptomatique du manque de prise des musulmans sur leur religion. Selon lui, l’erreur stratégique de la France a été de considérer les musulmans comme non-français, et donc que l’islam devait être soutenu par des pays étrangers – Maroc, Algérie et Turquie en tête. Mais aujourd’hui, 75 % des musulmans français sont nés en France. L’influence de ces pays n’a donc aucun sens selon lui, et priverait le Conseil Français du Culte musulman (CFCM) de sa capacité d’action. De plus, les institutions musulmanes existantes sont gangrenées par une quête de profit de la part de certains de ses acteurs, voyant notamment dans le marché halal, les pèlerinages et le recueil des dons, un business juteux. L’AMIF permettrait ainsi de filtrer et de tracer les flux financiers, aujourd’hui opaques.
Une version française de l’islam controversée
En se détachant de la tutelle de l’Etat, l’AMIF contribuerait à une meilleure intégration des musulmans qui s’impliqueraient dans la gestion de leur culte, permettant ainsi une version française de l’islam dans laquelle les croyants pourraient pratiquer leur religion en paix sans avoir à proclamer leur foi dans l’espace public, selon El Karoui.
Son interprétation de la laïcité s’avère assez stricte, lui qui s’oppose farouchement au voile qu’il perçoit comme un outil politique renforçant l’inégalité entre les femmes et les hommes, et s’opposant ainsi aux valeurs françaises, en particulier l’égalité.
Seulement, cette vision a été critiquée par certains musulmans, en ce qu’elle assume le fait que la radicalisation soit un problème musulman et qu’elle doive être combattue au sein même de cette communauté. L’étude qu’il a conduite avec l’Institut Montaigne en 2016, « Un islam français est possible », examinait en effet le lien entre les musulmans et la radicalisation. Selon Marwan Muhammad, ancien directeur du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), ce qu’il définit comme « radical » n’aurait rien à voir avec l’islam. El Karoui perçoit quant à lui un problème de déni en France, les musulmans refusant d’accepter cette corrélation. En revanche, il élude les questions liées à la discrimination, frein à l’éducation ou à l’embauche notamment et favorisant l’exclusion, dont de nombreuses études ont fait état.
Réformer l’islam : une entreprise contraire au principe de laïcité ?
D’après Olivier Roy, universitaire et expert de l’islam de France, une des références phares en matière d’intégration est celle des juifs au temps de Napoléon. Elle n’a cependant été possible qu’en raison du caractère autoritaire du régime. En effet, le Consistoire Central Israélite, créé en 1808, servait d’autorité et de modèle quant à la pratique religieuse du judaïsme en France. Seulement, selon Roy, un Etat sécularisé ne peut s’immiscer dans la religion, « c’est inconstitutionnel ». Il s’interroge également sur ces fameuses valeurs républicaines censées s’appliquer au culte réformé.
En fait, cette coopération avec l’Etat français permettrait à l’AMIF de bénéficier d’une charte « claire et républicaine » où la « liberté de culte, de changer de culte ou ne de pas croire » serait acceptée pleinement, où le principe de laïcité serait mis en avant ainsi que celui de l’égalité homme-femme. L’association défendrait également la place des musulmans en tant que citoyens français et lutterait contre la discrimination.
L’AMIF répondrait donc au souci d’intégration des musulmans français, les impliquant pleinement dans la direction de leur culte, tout en luttant activement contre le fondamentalisme religieux.
Image : Mosquée de Paris, By Jean-Marie Hullot, Flickr, (CC BY-SA 2.0)