Toutes nos sociétés sont marquées par la notion de diversité. Qu’elle soit religieuse, culturelle ou d’opinions, la diversité est un facteur identitaire de notre monde. La volonté de reconnaître et d’encadrer ces diversités relève alors du cadre du pluralisme.
En effet, la société démocratique ne peut être l’équivalent d’une suprématie constante de l’opinion d’une majorité [1] mais doit être la garantie d’un équilibre et d’un respect assurant aux individus minoritaires un traitement juste en évitant tout abus d’une position dominante [2]. Le développement du pluralisme prend alors tout son sens. Dans une société où plusieurs religions voire plusieurs branches d’une même religion coexistent, la garantie du respect des diversités par un pluralisme encadré équivaut à la possibilité pour chacun de vivre sa conviction personnelle dans le respect d’autrui.
Il est donc nécessaire que dialogue et esprit de compromis [3] s’accordent afin de garantir une liberté religieuse pour tous, notamment grâce à un pluralisme religieux et culturel dont la notion est cependant peu définie dans le droit européen. Ainsi, au sein de la société européenne, c’est la Cour européenne des droits de l’Homme avec ses mécanismes judiciaires qui a pour ambition de défendre et de garantir ce pluralisme.
La Cour européenne des droits de l’Homme
Le Conseil de l’Europe est une Organisation internationale basée à Strasbourg et regroupant 47 Etats membres. La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) est une institution auprès du Conseil de l’Europe. Cette Cour, instituée en 1959, veille au respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales de 1950. C’est ce traité international, qui depuis son entrée en vigueur en 1953, consacre au niveau européen des droits et libertés aux individus.
Ainsi, toute personne [4] qui estime être victime d’une violation des droits et garanties prévus par la Convention par l’un des 47 Etats signataires peut saisir la Justice de son pays. Après l’épuisement des voies de recours nationales, et en respectant d’autres conditions de la Convention, la victime peut saisir la Cour européenne des droits de l’Homme. Cette dernière rendra un arrêt qui aura une force obligatoire à l’égard de l’Etat défendeur dans l’affaire en question. Cependant, les arrêts de la Cour ont « autorité de la chose jugée » c’est-à-dire que tout Etat contractant devra se soumettre à sa juridiction.
La garantie de la liberté religieuse par la CEDH
La sauvegarde et la promotion des idéaux et valeurs [5] d’une société démocratique pluraliste encourage à consacrer une garantie permettant à chacun d’exercer sa conviction ou religion dans le respect de l’autre. Au niveau européen, cette garantie peut être retrouvée notamment dans l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme ainsi que dans divers arrêts de la Cour.
La notion de pluralisme par le texte de la CEDH
La Convention européenne ne définit pas le pluralisme mais affirme la garantie de la liberté de pensée, de conscience et de religion dans son article 9 dont le paragraphe 1er consacre que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ». Ce droit essentiel comprend une importance considérable et a pour ambition de permettre à chaque état de permettre un vivre-ensemble dans une volonté d’encadrer un pluralisme par la reconnaissance des diversités religieuses et de convictions.
Le terme de conviction religieuse est entendu selon la Cour comme toutes convictions personnelles ayant un certain degré de force, de sérieux, de cohérence et d’importance [6] dont le contenu est formel et pouvant être identifié [7]. Il recouvre alors les convictions de tous, croyants, athées, agnostiques, les sceptiques et les personnes indifférentes [8], en excluant toute appréciation étatique sur la légitimité des croyances religieuses en question [9]. Elles sont toutes, dans leur pluralité et diversité, protégées de façon identique par la Convention européenne des droits de l’Homme [10].
L’interprétation de la CEDH s’inscrit alors dans une démarche inclusive, dans une démarche pluraliste. Si la diversité est un fait, l’encadrer et la protéger est nécessaire, notamment en considérant les sociétés actuelles, mondialisées et plurielles. Ainsi le pluralisme européen passe notamment par l’affirmation d’une liberté religieuse qui permet à chacun d’exprimer sa croyance. En consacrant textuellement et juridiquement la garantie religieuse par l’article 9, les individus sont assurés de leur droit à une liberté religieuse et à sa manifestation, bien que cette dernière puisse être distincte des courants majoritaires. La liberté religieuse participe alors au pluralisme mais l’affirmation juridique seule de cette dernière ne peut garantir un pluralisme réel. Cette garantie européenne entend cependant protéger les individus mais également les encourager dans leur diversité. En effet, reconnaître cette diversité voire l’encourager permet à chacun l’expression de sa conviction et donc la possibilité pour chaque croyant de participer à la diversité religieuse de la société et de l’enrichir.
L’étendue de la protection de la liberté de religion de l’article 9 comprend différents niveaux. Dans un premier temps, l’article 9 encadre la croyance personnelle. Il s’agit de la croyance en tant que notion intrinsèque aux individus, celle relevant du for intérieur. L’étendue de cette protection comprend également la possibilité de changer de religion, notion comprise entre la croyance interne et l’expression extérieure. Enfin, la garantie européenne s’étend à la manifestation de cette religion, qu’elle soit par le fait d’un prosélytisme ou d’une simple manifestation de sa conviction.
Il convient de préciser également que le paragraphe 2 de l’article 9 permet des limitations à la liberté de manifester sa religion. Ces limitations s’inscrivent aussi dans une démarche de protection du pluralisme religieux et de la paisible jouissance des droits garantis par l’article 9 § 1.
La notion de pluralisme par les arrêts de la CEDH
Le pluralisme peut être défini comme la reconnaissance de l’existence de plusieurs modes de pensées, de comportements, d’opinions politiques et religieuses, de plusieurs partis politiques, de l’existence même de ces courants de pensée [11]. En droit de la Convention européenne des droits de l’Homme, le pluralisme est évoqué dans la jurisprudence de la Cour. En effet, la Convention en elle-même ne garantit pas la notion de pluralisme, c’est la Cour, par ses arrêts, qui semble consacrer et garantir le concept et la nécessité du pluralisme religieux et culturel en Europe.
Ainsi le pluralisme est entendu par la Cour comme le respect et la reconnaissance de la diversité et de la dynamique des traditions culturelles, des identités ethniques et culturelles, des convictions religieuses, et des idées et concepts artistiques, littéraires et socio-économiques [12]. Cette reconnaissance et ce respect sont essentiels au sein de toutes sociétés. En effet, les sociétés étant extrêmement diverses, la garantie juridique européenne d’une tolérance et du pluralisme représente la « clef de voûte » [13] des droits de l’Homme, de la démocratie et de l’état de droit.
Au sein de très nombreux arrêts, notamment en rapport avec la liberté de religion (article 9 de la Convention) et de la liberté d’expression (article 10 de la Convention), la Cour réaffirme qu’une société démocratique est caractérisée par le pluralisme. De plus, afin notamment d’encadrer les limitations à ces libertés précédemment évoquées, la CEDH prend en considération la nécessité de la reconnaissance des diversités et étudie l’impact de ses décisions sur le pluralisme au sein d’une société en particulier.
Des avancées dans la prise en compte du pluralisme mais une réalité plus complexe
Alors que des avancées ont été faites en Europe et que la mondialisation ainsi que les diversités sont des sujets récurrents et à l’heure où les préoccupations se portent majoritairement sur des débats autres, certaines notions de la liberté religieuse continuent de faire l’objet de débats et d’atteintes.
Bien que l’encadrement juridique de la notion de liberté religieuse au niveau européen, grâce à une volonté de pluralisme supranational, appelle à un sentiment d’optimisme quant à la protection des minorités, il ne peut dissimuler cependant les enjeux sociétaux opposés et le climat actuel qui peut sembler réfractaire.
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[1] Cour européenne des droits de l’homme, Guide sur l’article 9, liberté de pensée, de conscience et de religion, Edition du Conseil de l’Europe, mis à jour au 31/12/2018, p. 71.
[2] CEDH, Leyla Sahin c. Turquie, 10 novembre 2005, requête n° 44774/98, § 108.
[3] Cour européenne des droits de l’homme, Guide sur l’article 9, liberté de pensée, de conscience et de religion, Edition du Conseil de l’Europe, mis à jour au 31/12/2018, p. 7.
[4] Si un Etat peut saisir la CEDH lorsqu’un autre Etat signataire viole les droits garantis dans la Convention (article 33 de la Convention), tout individu, groupe de particuliers ou ONG, personnes physiques ou personnes morales, bénéficie du recours individuel et peut saisir la CEDH selon les conditions posées à l’article 34 de la Convention.
[5] CEDH, S.A.S. c. France, 1 juillet 2014, n° 43835/11, § 128.
[6] CEDH, Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, 25 février 1982, requêtes n°7511/76, n°7743/76, § 36.
[7] CEDH, T. Mac Feeley c. Royaume-Uni, 15 mai 1980, DR 20/44.
[8] CEDH, Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, requête n° 14307/88, §31.
[9] CEDH, Manoussakis et autres c. Grèce, 26 septembre 1996, requête n°18748/91, § 47.
[10] Cour européenne des droits de l’Homme, Overview of the Court’s case-law on freedom of religion, research division, Edition du Conseil de l’Europe, 2011, mis à jour en 2013, p.6.
[11] Selon le dictionnaire Larousse.
[12] Cour européenne des droits de l’homme, Guide sur l’article 9, liberté de pensée, de conscience et de religion, Edition du Conseil de l’Europe, mis à jour au 31/12/2018, p 71.
[13] SZTULMAN Marc, « La Cour européenne des droits de l’homme et la notion de tolérance : de l’esprit de sacrifice au sacrifice de l’esprit », Tolérance & Droit, 2003.
Image : Courtroom of the European Court of Human Rights by Adrian Grycuk. Wikicommons CC BY-SA 3.0.