Selon Joanna Galilli, résidente du 17ème arrondissement de Paris, ce que semble être le quartier juif attractif du Nord-Ouest de la capitale – avec ses synagogues, magasins et restaurants kascher florissants – ce serait plutôt une zone de repli stratégique. L’arrondissement est devenu un refuge pour une minorité juive faisant face au harcèlement dans certains quartiers où l’antisémitisme se ressent fortement. « Ils crachent par terre quand je marche dans la rue » s’insurge la jeune femme, l’étoile de David autour du cou.
Le New York Times rappelle le passé antisémite de la France, de l’affaire Dreyfus aux rafles de la Seconde Guerre Mondiale et définit le phénomène du « nouvel antisémitisme ». De nombreux chercheurs et associations juives perçoivent en effet une vague singulière d’agressions contre les juifs, analysant la corrélation entre la montée des agressions envers les juifs et une minorité musulmane grandissante en France.
La République une et indivisible : une utopie ?
Près de 40 % des actes violents considérés comme racistes ou motivés par l’intolérance religieuse ont été commis envers les juifs en 2017, alors que cette communauté ne représente qu’1 % de la population française. Ces actes ont par ailleurs augmenté de 20 % depuis 2016. En 2011, le gouvernement avait décidé de cesser la catégorisation des auteurs d’agressions antisémites, les chiffres indiquant, selon le journal, une majorité de musulmans impliqués dans ces affaires.
Pour le gouvernement français, ces faits et leurs enjeux s’avèrent particulièrement complexes. La France compte les minorités musulmanes et juives les plus importantes d’Europe. L’existence de ressentiments négatifs plus marqués de la part des populations musulmanes envers les populations juives impliquerait de remettre en question l’un des principes fondamentaux en France : celui de ne pas catégoriser les individus en fonction de leur origine ni de leur religion. « Nous sommes tous citoyens de la République, une et indivisible. Mais cela ne correspond pas à la réalité », selon Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et Stratégies d’Entreprise de l’institut de sondages IFOP. « Le vivre-ensemble est de plus en plus un discours incantatoire, qui est d’autant plus omniprésent dans le débat public qu’il a de moins en moins de réalité concrète ». A la place, il observe des regroupements basés sur l’appartenance à telle ou telle religion ou communauté. L’accepter, selon Jérôme Fourquet, reviendrait à reconnaître les fêlures du modèle français. Gunther Jikeli, historien allemand ayant mené une large étude sur l’antisémitisme musulman en Europe, a par ailleurs qualifié ce phénomène d’« évidence écrasante » dans Le Monde.
L’assassinat de Mireille Knoll : une prise de conscience
En mars dernier, l’assassinat d’une survivante de la Shoah a ému l’opinion française. Un manifesto signé par près de 300 intellectuels et personnalités politiques français a alors dénoncé une « purge silencieuse » et appelait les responsables musulmans à frapper d’obsolescence les versets du Coran jugés antisémites. Selon Pascal Bruckner, essayiste et soutien du manifesto, le problème majeur de l’antisémitisme en France résiderait dans le fait que, de peur de monter les deux communautés l’une contre l’autre, les politiques s’enfermeraient dans un certain mutisme et « finiraient par dissimuler les problèmes ».
Les leaders musulmans français se sont insurgés, arguant du fait que ce slogan du « nouvel antisémitisme » contribuait à l’amalgame entre musulmans et radicaux, dans une période où l’intolérance bat son plein en Europe. En effet, le nombre d’agressions envers les musulmans a également augmenté entre 2016 et 2017. Ahmet Ogras, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), estime quant à lui que les groupes musulmans oeuvrent ensemble à lutter contre l’antisémitisme et qu’il est donc impossible de parler de « nouvel antisémitisme », en rejetant systématiquement la faute sur les musulmans.
Corrélation entre les agressions antisémites en France et les reprises du conflit en Palestine
Depuis la deuxième antifada en 2000, des chercheurs ont observé une explosion du nombre d’actes antisémites en France, de 82 en 1999 à 744 un an plus tard. De la même manière, lors des incidents de 2008-2009, leur nombre a décuplé en un mois. Face à ces épisodes, nombre de familles juives ont décidé de quitter certains quartiers. Fourquet cite par exemple Clichy-sous-Bois (de 400 à 80 familles juives entre 2000 et 2015) ou Aulnay-sous-Bois (de 600 à 100). Pour les leaders musulmans du pays, cette stigmatisation des musulmans français est intolérable. Selon Mamadou Diallo, directeur d’un centre de loisirs à Nanterre, les gens déménagent car ils se seraient élevés économiquement et socialement, bien qu’il reconnaisse avoir entendu plusieurs remarques antisémites ces dernières années, « trop à son goût ».
En réalité, pour Rachid Benzine, politologue franco-marocain, il existerait une sorte d’obsession autour de la position qu’occupent les juifs dans la République développant ressentiment et jalousie chez les musulmans, ayant le sentiment qu’un meilleur traitement serait réservé aux juifs. De fait, sur cette base, le conflit Israëlo-Palestinien constituerait un catalyseur.
Finalement, sans une prise de conscience de la part du gouvernement et des autorités religieuses, la situation actuelle risque au mieux le status quo, au pire un enveniment des deux côtés. L’éducation des jeunes paraît de fait la meilleure option pour un changement d’attitudes et un apaisement de la situation en France. Ce postulat fait alors écho aux propositions de Hakim el Karoui pour un islam de la République, l’éducation et l’information étant les seules armes pour lutter contre l’obscurantisme et les théories du complot en tous genres dont la sempiternelle dénonciation d’un fantasmatique lobby juif en est une parfaite illustration.
Image : Synagogue de Paris (façade principale), Paris, By Luiza Fediuc. Wikimédia commons CC BY-SA 3.0.