La citation de Montaigne selon laquelle « la parole est à moitié à celui qui écoute, à moitié à celui qui parle » [1] illustre l’art de convaincre. Les sociétés ont, depuis toujours, été empreintes de dialogues, d’argumentations et d’échanges d’opinions notamment dans le but de rallier autrui à sa cause. Ces échanges ne peuvent s’effectuer qu’en considérant le détenteur de message et le récepteur de ce dernier. Bien que considérées comme fondamentales, les libertés de communication deviennent l’objet de contradiction et de rejet lorsqu’elles touchent certains sujets. C’est le cas notamment des opinions religieuses et de la liberté de prosélytisme, qui semble être une liberté controversée.
Le prosélytisme religieux est entendu comme le zèle déployé pour faire des prosélytes, ces derniers étant des nouveaux convertis à une foi religieuse [2]. Cette action de conversion d’autrui fait partie intégrante de la liberté de religion. Ainsi le prosélytisme est une action nécessaire de la liberté de manifestation des croyants et ainsi, il est protégé par la Convention européenne des droits de l’Homme.
La nécessité du prosélytisme pour la liberté de religion
Tous les individus disposent d’une liberté de croyance religieuse. Cette liberté implique la possibilité pour chacun de croire en une religion ou conviction mais également de pouvoir en changer et de pouvoir la manifester. Deux dimensions à la liberté religieuse peuvent être relevées : la première correspond à une liberté fondamentale absolue et inconditionnelle relevant du for intérieur, tandis que la seconde relève, quant à elle, du for externe, c’est-à-dire de manifester cette foi personnelle.
Ainsi, toutes les religions, lorsqu’elles ont une vocation à l’universel, semblent être des religions dites prosélytiques [3]. En effet, elles prévoient que leurs croyants répandent « la bonne parole et fassent connaitre la vérité ». Bien que les moyens diffèrent, tel que le dialogue entre individus, les processions catholiques, les interpellations par des Témoins de Jéhovah ou les distributions de gâteaux au son des chants et danses des adeptes de Krishna [4], les croyances et leurs adeptes ont tous la même idéologie de transmission de leur foi et de conversion d’autrui. Le prosélytisme n’est alors pas un concept nouveau car il est né avec la religion elle-même et est intrinsèque à cette dernière.
Initialement non péjoratif, le terme prosélytisme a pris une nuance dépréciative à l’inverse de termes valorisants relevant de l’évangélisation ou de mission divine. C’est aujourd’hui une notion qui semble critiquée, régulièrement associée à un vocabulaire stigmatisant tel que l’endoctrinement, la propagande ou la manipulation mentale [5].
Ainsi, celui qui a une attitude prosélytique aura l’intention de faire connaitre sa pensée spirituelle, notamment car il considérera que sa conviction est digne d’être adoptée par d’autres, et que son action de transmission du message spirituel relève d’une utilité [6]. Cette transmission, qui ne pourra se faire par tous moyens, aura pour but de convaincre autrui du bien-fondé d’une croyance en vue d’obtenir l’adhésion et la conversion de l’autre. Cette action de prosélytisme est un sujet d’actualité, qui comme souvent pour les sujets relevant de la religion, est source de polémiques et de passions.
La liberté de religion, et particulièrement ses différentes formes de manifestations, ont fait l’objet de nombreuses études et interprétations, notamment afin de leur consacrer une protection. La dimension prosélytique, relevant de la manifestation de la religion, est une notion développée spécialement par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Cette liberté, mal comprise et mal vue, semble cependant ne bénéficier que d’une protection relative en Europe.
La protection du prosélytisme par la CEDH
La Convention européenne des droits de l’Homme doit être respectée par les 47 Etats signataires et la Cour européenne des droits de l’Homme siégeant à Strasbourg veille au respect de ces droits conventionnel.
Le terme « prosélytisme » n’est pas cité dans les manifestations de la liberté de religion, protégée à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme. C’est la Cour, au moyen de ses arrêts et en utilisant l’article 9 comme fondement, qui a pu affirmer que « le témoignage en paroles et en actes se trouve lié à l’existence de convictions religieuses [qui comporte] le droit d’essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen d’un ’enseignement’ »[7].
Convaincre son prochain, c’est-à-dire la liberté de prosélytisme, n’est pas défini par la Cour dans ses arrêts, bien qu’elle consacre par la suite le terme de « prosélytisme de bon aloi »[8], sans toutefois l’expliciter ni le définir totalement. Cette liberté, dont les pratiques ne sont pas clairement encadrées, tire son existence et sa légitimité de la liberté religieuse de l’article 9. Ainsi, si le prosélytisme relève d’une manifestation de la religion, le contenu même de ses pratiques reste flou.
La protection du prosélytisme au sein du système européen passe par l’article 9 mais également par l’article 10 de la Convention qui correspond à la liberté d’expression et qui permet à plusieurs égards, l’épanouissement de la liberté de religion. En effet, pour diffuser sa foi, il faut pouvoir l’extérioriser or, pour cela, il faut pouvoir être libre d’exprimer ses croyances [9]. Ainsi la liberté d’expression est, pourrait-on dire, le moyen du prosélytisme. Elle l’est pour le diffuseur du message religieux, qui grâce à cette liberté d’expression, peut s’exprimer et rallier de nouveaux adeptes ; mais elle l’est également dans le cas du futur prosélyte qui, dans le cadre de sa liberté de changer de religion, bénéficie de la liberté d’expression du détenteur du message.
Ainsi, la liberté de religion et la liberté d’expression semblent encadrer et compléter la notion du prosélytisme religieux. Cependant, la protection du prosélytisme au spectre de ces libertés dont la liberté de croyance garantie par l’article 9 de la Convention européenne ne semble qu’indirecte et conditionnée notamment par les arrêts de la Cour et non le texte de la Convention.
La restriction du prosélytisme en Europe
Le prosélytisme, bien qu’il s’agisse d’une notion controversée, car elle tend à modifier la croyance et ainsi à pénétrer dans la conscience des individus, peut sembler essentielle aux croyants. Si le prosélytisme, manifestation de sa religion, n’est pas en lui-même néfaste, certaines limites à la liberté de la diffusion des convictions religieuses sont nécessaires.
L’article 9 de la Convention européenne garantissant la liberté religieuse ne protège donc pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une conviction [10]. La Cour l’a précisé dans sa jurisprudence, le prosélytisme de « mauvais-aloi » est interdit. Ainsi, le prosélytisme peut être limité voir interdit dans les actions relevant de l’abus, avec des contraintes physiques ou morales mais également dans certaines situations notamment en considérant le degré de liberté de l’interlocuteur. Ceci afin de protéger les personnes vulnérables ou en situation d’infériorité, comme par exemple les élèves, enfants ou encore les militaires.
Image : I testimoni di Geova predicano anche utilizzando gli espositori mobili by Fcarbonara. Wikicommons CC BY-SA 3.0.
[1] M. DE MONTAIGNE, De l’expérience, Essais, livre III, chapitre 13, 1572-1592.
[2] Selon le Littré.
[3] S. PLANA, le prosélytisme religieux à l’épreuve du droit privé, l’Harmattan, 2006, p.10.
[4] L’Association internationale pour la conscience de Krishna, couramment appelée par l’acronyme anglais ISKCON.
[5] V. FORTIER, « proselytism and the law : freedom under control », Cahier d’Etudes du Religieux – Recherches Interdisciplinaires, 2008.
[6] P. GREINER, « typologie des prosélytismes », Transversalités, 2006, n°97, p.91.
[7] CEDH, Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, requête n° 14307/88., §31.
[8] CEDH, Larissis et autre c. Grèce, 24 février 1998, requête n° 23372/94.
[9] S. PLANA, le prosélytisme religieux à l’épreuve du droit privé, l’Harmattan, 2006, p.35.
[10] CEDH, Kalaç c. Turquie, 1er juillet 1997, requête n° 20704/92.