Le rôle des musées dans la gestion de l’islam : un soft power libéral et capitalisé
Cet article reproduit partiellement l’article « Le rôle des musées dans la gestion de l’islam : un soft power libéral et capitalisé» de l’Observatrice référente Diletta Guidi pour l’Observatoire international du religieux.
Au lendemain des attentats islamistes du 7 janvier 2015 au siège du journal satirique français Charlie Hebdo et de l’hypermarché kasher de la Porte de Vincennes, le Président de la République de l’époque, François Hollande, prononce un discours. Le climat est tendu. Aux slogans « Je suis Charlie » se superposent des propos et des actes islamophobes et racistes[1]. Dans son allocution, fortement relayée par la presse, François Hollande tente de calmer les esprits[2]. Il parle d’un islam modéré et tolérant. Il précise que les musulmans sont « les premières victimes du fanatisme, du fondamentalisme et de l’intolérance » et invite à « refuser les amalgames et les confusions. Et d’abord en France. Les Français de confession musulmane ont les mêmes droits, les mêmes devoirs, que tous les citoyens. Ils doivent être protégés. La laïcité y concourt car elle respecte toutes les religions ». Ensuite, il décrit un « monde arabe[3] » libéral dont il loue les progrès économiques. Pour conclure, il met en avant le rôle joué par la France de « pont » entre ces puissances moyen-orientales et l’Occident, ainsi que sa nature de pays ouvert à l’altérité.
Dans ce discours le Président de la République redessine des réputations et noue des alliances, anciennes et nouvelles. En présentant un islam modéré, compatible avec la démocratie, François Hollande rassure en effet ses citoyens de confession musulmane sur leur place au sein de la nation et assure aux autres Français qu’ils sont en sécurité. La mise en valeur d’un monde arabe à la pointe du progrès justifie que la France en fasse un partenaire commercial prioritaire à l’étranger. Cela lui permet aussi d’envoyer un double message aux pays arabo-musulmans. Le premier est plus clair, il est économique : la France se met à disposition pour poursuivre ou entamer de nouveaux marchés au Moyen-Orient. Le second est indirect, réputationnel : par ce discours, François Hollande offre aux pays musulmans une image positive – de tolérance et de progrès – qui s’oppose à celle généralement négative – de violence et de barbarie – véhiculée en Occident. Un troisième message est envoyé ici par la France à ses voisins européens, voire à l’Occident. François Hollande place son pays à la tête du dialogue occidental avec le Moyen-Orient, en s’auto-proclamant acteur indispensable de la politique étrangère dans cette région du monde. Pour finir, en exprimant une solidarité de la France envers les pays arabo-musulmans et les musulmans sur son territoire, François Hollande donne l’image d’une France terre d’accueil ouverte à l’altérité, à l’interne mais aussi à l’international.
Le dess(e)in politique du Président est d’autant plus efficace que le lieu choisi par l’Élysée pour prononcer le discours est fortement symbolique. Nous sommes à Paris, à l’Institut du monde arabe (IMA). Voulue par Valéry Giscard d’Estaing au moment de la crise pétrolière des années 1970 pour renouer les relations avec le monde arabe (d’où le nom de l’institut), il s’agit de la seule institution culturelle cocréée par un État européen en partenariat avec les vingt-deux pays de la Ligue arabe. C’est donc un lieu propice pour s’adresser aux pays arabo-musulmans. Une partie de ces États sont d’ailleurs présents dans la salle de l’IMA lors de cette allocution, car ce discours inaugure un cycle de conférences sur le « Renouveau du monde arabe[4] » en présence de la majorité des ambassadeurs des pays de la Ligue Arabe et des chefs d’entreprise et investisseurs français impliqués au Moyen-Orient. Dans un moment de tension socio-politique, le musée facilite donc le dialogue avec ces importants partenaires économiques de la France sans créer la polémique.
François Hollande aurait pu choisir de s’exprimer sur la tragédie à la Grande mosquée de Paris, à quelques pas de distance de l’IMA, mais ce choix lui permet d’éviter d’être accusé de faire des amalgames entre l’islam de France et le terrorisme islamique. Lieu a priori « neutre », la nature culturelle de l’IMA permet à l’État de s’intéresser au religieux dans le respect de la laïcité. Le mot « musée », tout particulièrement en France, rime en effet avec ceux de République, de nation et de laïcité. C’est d’ailleurs ce que rappelle François Hollande lui-même dans un autre discours, prononcé en 2012, lors de l’inauguration du Département des Arts de l’Islam au musée du Louvre en expliquant : « qu’avant même la proclamation de la République, les révolutionnaires avaient voulu installer un grand musée […]. Richesse de notre nation, le musée du Louvre est aujourd’hui le plus grand musée du monde[5] ».
Enfin, ce choix s’inscrit d’après nous dans une politique de gestion de l’islam par les musées entreprise par la France à partir des années 2000, que nous avons étudié de manière approfondie[6] et dont nous allons ici brosser les traits […]
Image : Les arts de l’islam au Louvre, Jean-Pierre Dalbera, Wikimmedia Commons, CC BY 2.0
↑1 | Pour une analyse « à chaud » du climat post-attentats de 2015 voir Valérie Amiraux, « Après le 7 janvier 2015, quelle place pour le citoyen musulman en contexte libéral sécularisé ? », Multitudes, vol. 59, no. 2, 2015, pp. 83-93. |
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↑2 | Voir : Élysée. 2015. Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur les liens unissant la France avec les pays arabes, à Paris le 15 janvier 2015. [En ligne] https://www.vie-publique.fr/discours/193553-declaration-de-m-francois-hollande-president-de-la-republique-sur-les |
↑3 | Ce sont ses termes, les traits de ce « monde » ne sont pas précisés. |
↑4 | Voir le site officiel de la manifestation [en ligne] http://www.thinkers-doers.com. |
↑5 | Vie Publique, 2012. Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur le nouveau département des Arts de l’Islam au Musée du Louvre. Paris, Musée du Louvre, 18 septembre 2012,[en ligne] https://www.vie-publique.fr/discours/185836-declaration-de-m-francois-hollande-president-de-la-republique-sur-le. |
↑6 | Diletta Guidi, L’islam des musées. La mise en scène de l’islam dans les politiques culturelles françaises. Genève, Seismo, 2022. |