« Tous des oiseaux », pièce écrite et mise en scène par Wajdi Mouawad, directeur du Théâtre national de la Colline, remporte le prestigieux Grand Prix de la critique à Paris, le lundi 18 juin. Ce prix est décerné par l’Association Professionnelle de la Critique de Théâtre, de Musique et de Danse. Il s’agit ici d’une fresque de presque quatre heures en arabe, hébreu, anglais et allemand dans laquelle le metteur en scène, libano-canadien, dépeint un mélodrame transcontinental et transgénérationnel qui empoigne une des notions les plus débattues du moment : celle d’« identité culturelle ».
Une pièce avec le conflit israélo-palestinien en toile de fond
Eitan, jeune scientifique allemand d’origine israélienne, rencontre à New York Wahida et tombe amoureux d’elle. Il provoque une crise familiale en la présentant, et notamment provoque une rupture avec son père David, juif orthodoxe, car la jeune femme est arabe. Eitan part alors en Israël retrouver sa grand-mère, Léah, qui a coupé tout contact avec son père depuis leur départ de la Terre Sainte pour l’Allemagne. C’est ainsi que sont mis en scène les secrets de famille mêlés à une situation géopolitique particulièrement tendue (l’expérience des checkpoints, les attentats dont Eitan sera d’ailleurs victime) et à la mémoire de la crise, notamment celle des massacres des camps de réfugiés palestiniens.
Cette pièce évoque ainsi différents événements du conflit israélo-palestinien comme le massacre de Sabra et Chatila en 1982 au Liban. Il s’agit du meurtre de 800 à 2 000 réfugiés palestiniens par les milices chrétiennes libanaises en lien avec l’armée israélienne durant l’opération « Paix en Galilée » de 1982. A ce souvenir douloureux s’ajoutent également les attentats qui sévissent en Terre Sainte, prenant particulièrement de l’ampleur à partir du déclenchement de la première Intifada (soulèvement en arabe) en 1987.
Une pièce polyglotte reflétant les questions contemporaines de « l’identité culturelle »
L’écriture de la pièce est originale. Rédigée en français, Wajdi Mouawad a ensuite souhaité qu’elle soit jouée en quatre langues, la langue des comédiens (dont le casting a été de ce fait particulièrement difficile) : arabe, hébreu, anglais et allemand. Comme l’explique l’auteur dans une interview, le rapport à la langue relève de l’ordre de l’émotion et de l’éthique. Ainsi, tout un travail de traduction a été effectué dans le but de capter réellement la bonne symbolique du texte et le faire vivre.
A travers cette oeuvre, le rôle primordial que jouent la culture et la langue dans un conflit tel que le conflit israélo-palestinien prend sens. Michelle LeBaron définit la culture ainsi : « la culture est tout ce qui nous entoure et que nous ne voyons pas. Pour faire une analogie, c’est l’eau dans laquelle nage le poisson. C’est ce qu’il y a dans la pièce que tout le monde connaît, que les gens de l’extérieur du groupe ne connaîtraient pas » (dans Bridging Cultural Conflicts : a new approach for a changing world). Ainsi, les distinctions linguistiques existant entre l’arabe et l’hébreu, ainsi que les problématiques de religions (judaïsme et islam) constituent pour le conflit israélo-palestinien un frein à une compréhension mutuelle et ainsi un obstacle à l’enclenchement d’un processus de paix.
La légende de l’oiseau amphibie
Malgré ces dissemblances, Wajdi Mouawad entend prouver grâce à cette pièce qu’une entente réciproque est possible et il s’inspire pour cela d’une légende perse : celle de l’oiseau amphibie. C’est l’histoire d’un oiseau qui vole au dessus d’un lac et il aperçoit alors des poissons qui le fascinent. Toutefois, il lui est interdit d’approcher ces derniers car ils ne sont « pas faits pour partager le même monde » à cause de leurs différences. Un jour, il décide toutefois de plonger dans l’eau, préférant mourir en allant à la rencontre de ceux qui le captivent plutôt que de vivre sans y être allé. La légende raconte qu’au moment de traverser la pellicule de l’eau, sa passion, son amour et sa curiosité de l’autre permettent à des branchies de pousser sur son cou ; il se transforme un oiseau amphibie.
Ainsi, pour le metteur en scène, ce phénomène « d’oiseau amphibie » devient de plus en plus courant dans nos sociétés multiculturelles et c’est ce rapport à l’identité qui peut rassembler les gens au-delà de la question nationale, à travers la curiosité et l’amour de l’autre.
La culture et l’art au service de la paix
Wajdi Mouawad cherche à promouvoir un message d’espoir. Le metteur en scène (et certains de ses comédiens) est d’autant plus limité dans la diffusion de la pièce du fait de ces origines libanaises (et de la nationalité syrienne d’un des comédiens). Il est alors dangereux pour lui de se rendre en Israël et la réciproque est vraie pour les comédiens israéliens qui ont l’interdiction de se rendre sur le territoire libanais. Dans une interview, celui-ci exprime son désarroi face à ces restrictions en disant que « plus que l’exil géographique, c’est l’exil artistique qui est extrêmement étrange ».
Il espère toutefois, par le biais de la culture et l’art, permettre une amélioration de la situation. Il s’inscrit dans la lignée du chef d’orchestre Daniel Barenboim (argentin, israélien et détenteur d’un passeport palestinien) qui réunit musiciens israéliens et arabes au sein de l’Orchestre du Divan occidental-oriental.
Image : Scorched (Wajdi Mouawad’s play) presented at the Lise-Guèvremont theatre in Montreal. par Nicolas M. Perrault, Wikipédia Commons, [public domain]