Chaque individu doit pouvoir manifester ses croyances jusqu’à convaincre son prochain d’employer un autre chemin spirituel, à condition que cela soit réalisé de manière licite. Cette action de convaincre autrui, nommé prosélytisme, est une notion régulièrement controversée et mal comprise en Europe.
L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant la liberté de pensée, de conscience et de religion, et donc par extension le prosélytisme religieux, ne correspond pas à un droit indérogeable[1] selon la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH)[2]. Il est ainsi possible d’émettre certaines restrictions à ce droit. Alors, si l’article 9 garantie et énumère les formes que peut prendre la manifestation d’une conviction, son paragraphe 2, permet à cette liberté d’être susceptible de limitations en affirmant que « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Si la Cour européenne, qui veut garantir la liberté de religion et d’expression des individus, peine pour définir clairement les pratiques prosélytiques, elle a cependant déterminé un encadrement du prosélytisme religieux strict en fonction de l’interlocuteur. En effet, le degré de liberté de l’interlocuteur est pris en compte par la Cour afin de protéger les personnes vulnérables ou en situation d’infériorité.
Il s’agit par exemple de protéger les enfants dans le cadre scolaire et dans le cercle familial mais également en considérant la situation d’individus impliqués dans une relation hiérarchique de subordination tel que les militaires.
Le prosélytisme et les élèves
Les élèves, qui se trouvent dans une structure hiérarchique, doivent bénéficier d’une protection particulière. Il s’agit de ce type de prosélytisme que la Cour européenne des droit de l’Homme a traité en tout premier, en 1976, dans l’affaire Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen contre Danemark[3]. C’est dans cette affaire concernant un couple s’opposant à l’éducation sexuelle obligatoire[4] au sein des écoles publiques danoises que la Cour a affirmé que l’Etat, dans ses fonctions d’éducation et d’enseignement, devait diffuser des informations ou connaissances de manière objective, critique et pluraliste avec l’interdiction de poursuivre un but d’endoctrinement qui puisse être considéré comme ne respectant pas les convictions religieuses et philosophiques des parents[5]. La Cour précise que l’école ne doit pas heurter les convictions religieuses et philosophiques des parents par « imprudence, manque de discernement ou prosélytisme intempestif »[6]. La Cour y affirme la nécessité que les élèves soient protégés contre le prosélytisme qui pourrait leur être adressé par les enseignants [7] ou les membres du corps éducatif en tant qu’ascendants.
De plus, dans le milieu scolaire, l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui permet la liberté de religion des individus, protège de l’endoctrinement religieux par l’Etat [8] en considérant notamment la vulnérabilité de l’enfant. L’Etat ne doit pas être source de prosélytisme et il doit également veiller à ce qu’aucun prosélytisme intempestif ne vienne troubler la conscience des élèves.
La situation relevant du prosélytisme à l’école publique est bien encadrée. Il est interdit, dans toutes ces formes, par des personnes disposant d’un pouvoir de fait sur cette population particulièrement vulnérable [9].
Le prosélytisme entre les élèves est quant à lui encadré selon les droits des états signataires de la Convention [10]. Néanmoins, la question de transmission de la foi entre mineurs, hors du cadre scolaire, a pu être évoquée par la Cour [11]. Elle considère que les mineurs bénéficient de la liberté de religion et d’expression de leurs convictions, également dans la dimension de manifestation extérieure dans le potentiel but de convertir autrui et ainsi d’être un sujet actif du prosélytisme. La Cour européenne des droits de l’Homme va dans le même sens que la Convention de New York du 20 novembre 1989 qui affirme le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion dans son article 14 §1.
Le prosélytisme dans le cercle familial
Le chemin spirituel emprunté par la majorité des individus provient de l’enseignement et de l’action de prosélytisme réalisé dans le cadre du cercle familial. En effet, la religion se développe et se pratique essentiellement au sein de la famille, lieu privilégié de diffusion de la foi[12]. Les parents sont ainsi libres de convaincre leur enfant d’adopter telle croyance et par la suite de réaliser du prosélytisme de perpétuation afin de maintenir et de développer la foi de l’enfant.
Cependant au nom de l’intérêt de l’enfant, le juge peut restreindre la liberté religieuse du parent qui exerce un prosélytisme sur l’enfant[13]. Par exemple, dans les cas de désunion des parents, la Cour a pu affirmer que l’intérêt de l’enfant était un « motif légitime »[14] pour limiter la liberté de manifestation religieuse du parent, dans le but de protéger l’enfant en prenant en compte sa fragilité[15].
Le prosélytisme sur et par les militaires
La situation des militaires a été mise en lumière par la CEDH dans l’un de ses arrêts importants relatif à la question du prosélytisme religieux, l’arrêt Larissis [16]. Dans cette affaire, les trois requérants, officiers dans l’armée de l’air grecque et adeptes de l’Eglise pentecôtiste avaient été condamnés pour avoir tenté de convertir un certain nombre de personnes à leur religion, dont des soldats qui étaient leur subornés.
La Cour estime que des précautions particulières sont nécessaires pour protéger les droits des subordonnés des forces armées. Les militaires évoluent dans un milieu professionnel relevant d’une structure hiérarchique particulière ne permettant pas à un subordonné de repousser un supérieur. La Cour affirme qu’un échange d’idées, qui relèverait d’un prosélytisme garanti et protégé par la Convention, s’il est entretenu en milieu civil, ne peut être interprété de façon identique dans le cadre de la vie militaire. Au sein de cette dernière, le destinataire n’est pas libre d’accepter ou de rejeter les idées du croyant, détenteur d’une autorité sur le potentiel prosélyte. Ces échanges d’opinions pourraient s’apparenter à une forme de harcèlement ou à l’exercice de pressions de mauvais-aloi par un abus de pouvoir. La Cour s’attache donc à protéger les militaires des pressions de leur supérieurs qui auraient le désir de promouvoir leurs convictions religieuses, dans une volonté de rallier de nouveaux adeptes.
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[1] A l’inverse du Pacte international relatif aux droits et libertés de la personne humaine qui fait de la liberté de pensée, de conscience et de religion un « droit indérogeable », et de la Convention américaine des droits de l’homme qui mentionne la liberté de religion dans sa liste des onze droits « intangibles ». : F. MESSNER, O-H. PRELOT, J-M. WOEHRLING, droit français des religions, 2ème édition, Edition LexisNexis, 2003, p.454.
[2] La Convention européenne des droits de l’homme ne mentionne pas la liberté de pensée, de conscience et de religion parmi les droits « indérogeables » qui correspondent aux droits à la vie (le texte de l’article 2 de la Convention autorise des limitations mais l’interprétation évolutive de la Cour est contra legem. Il convient également de considérer le Protocole additionnel 13.), l’interdiction de la torture et des traitements inhumains (article 3), l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé (article 4), le principe ‘pas de peine sans loi’ (article 7) mais également les principes de non-rétroactivité de la loi pénale ou encore de la règle non bis in idem.
[3] CEDH, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, requêtes n° 5095/71, 5920/72, 5926/72.
[4] Ces cours d‘éducation sexuelle résultent notamment de la fréquence croissante des grossesses non désirées et de la volonté de les réduire : § 20, CEDH, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, requêtes n° 5095/71, 5920/72, 5926/72.
[5] CEDH, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, requêtes n° 5095/71, 5920/72, 5926/72, § 53
[6] CEDH, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, requêtes n° 5095/71, 5920/72, 5926/72, § 54.
[7] CEDH, Larissis et autre c. Grèce, 24 février 1998, requête n°23372/94.
[8] CEDH, Angeleni c. Suède, 3 décembre 1986, requête n° 10491/83.
[9] CEDH, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, requête n° 5095/71, 5920/72, 5926/72, p. 26 et s.
[10] En France, les élèves ne sont pas autorisés à s’adonner à des actes de prosélytisme et de propagande selon la circulaire du 6 mars 1991 relative aux droits et obligations des élèves et lycées et collèges.
[11] CEDH, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, requêtes n° 5095/71, 5920/72, 5926/72, § 52.
[12] P. DURNERIN, « la famille et la foi », les Petites Affiches, 1987, p.18.
[13] CEDH, Palau-Martinez c. France, 16 décembre 2003, requête n° 64927/01.
[14] S. PLANA, le prosélytisme religieux à l’épreuve du droit privé, l’Harmattan, 2006, p.109.
[15] V. FORTIER, « proselytism and the law : freedom under control », Cahier d’Etudes du Religieux – Recherches Interdisciplinaires, 2008.
[16] CEDH, Larissis et autre c. Grèce, 24 février 1998, requête n°23372/94.
Image : Lycée français de Shanghai élèves salle de classe, par Pauline Communicatio. Wikicommons CC BY-SA 3.0.