Juriste et Professeur honoraire au Collège de France, Mireille Delmas-Marty a rédigé une tribune pour le journal Le Monde ce vendredi 23 octobre. Membre-fondatrice, elle est Présidente d’honneur de l’Observatoire Pharos qui souscrit pleinement à ce message.
Constatant une radicalisation des débats publics, elle appelle à la raison et à prendre garde aux dérives sécuritaires ainsi qu’à l’instrumentalisation de la justice.
Résumé de la tribune de Mireille Delmas-Marty :
Pour commencer, Mireille Delmas-Marty fait un point sur la fragilisation du triptyque « démocratie, État de droit, droits de l’Homme » depuis les attentats du 11 septembre 2001 qui ont entraîné le passage d’un « droit pénal de la responsabilité » à un « droit pénal de la sécurité».
Elle évoque la « folie normative » et l’obsession sécuritaire qui se sont emparées de nos sociétés dans le contexte conjoint de la pandémie et du terrorisme. Ce contexte a conduit à l’adoption par la France de textes censurés (intégralement ou partiellement) par le Conseil constitutionnel, notamment la loi relative aux contenus haineux sur internet et la loi instaurant des « mesures de sûreté » qui s’ajoutent à l’exécution de la peine.
L’attentat de Conflans-Saint-Honorine entraîne, d’après Mireille Delmas-Marty, une remise en cause du pouvoir du juge constitutionnel. En effet, le poids du juge contre les dérives sécuritaires s’affaiblit au motif qu’un empiétement des juges sur le pouvoir législatif serait synonyme d’un « déficit démocratique ». Cette pensée résulte selon elle d’une mauvaise compréhension de la démocratie. Dans ce contexte, elle craint que le droit ne soit instrumentalisé pour justifier le système en place.
Face à la permanence des crises et l’imminence des catastrophes qu’elles annoncent, la solution réside, selon elle, dans l’union de nos efforts. Il serait judicieux d’« ordonner » et pas uniquement de « juxtaposer » nos différences. Cette vision doit résulter d’un rééquilibrage des différentes interactions qui sont à l’œuvre (libertés individuelles/solidarités collectives; esprit de responsabilité/devoir d’obéissance et indépendance/interdépendance). Cela nécessite néanmoins un processus d’« humanisation réciproque » et des « juges impartiaux et indépendants ».
Ainsi, un renoncement est difficile mais nécessaire pour éviter que les démocraties ne se transforment en un « totalitarisme doux » (mise en œuvre d’une série de lois qui garantit le bonheur – la sécurité – au détriment de la liberté) qui s’appuie sur nos désirs les plus forts.
Elle appelle donc à résister à la « peur déshumanisante », et à la substituer par une « peur-solidarité » qui permettrait de ré-associer des éléments anciens pour en faire des éléments nouveaux grâce aux « forces imaginantes du droit » [1].
[1] DELMAS-MARTY, Mireille, Les forces imaginantes du droit, 4 tomes, Seuil, 2004-2011
Image : (C) Georges Seguin (Okki) [CC-BY-SA 3.0]