14 décembre 2018, la France est sommée de s’expliquer sur le projet d’exploitation aurifère « Montagne d’Or » en Guyane. Par voie de lettre, le comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) l’accuse de ne pas respecter le droit international. La mise en oeuvre du projet ne respecterait pas les droits des peuples autochtones vivant sur le territoire d’implantation du projet. Le CERD confirme une absence effective de consultation libre et informée des populations directement touchées. Elle souhaite que la France reprenne le débat avec les communautés autochtones, ou suspende le projet.
Le quotidien le Monde revient sur cet événement inédit. Ce début d’année est un moment fort car le 7 février aura lieu un débat sur l’exploitation minière et l’orpaillage à l’Assemblée Nationale.
De lourdes préoccupations de l’ONU
Le CERD confirme une mauvaise prise en compte des communautés autochtones de Guyane française. Elles sont pourtant concernées par le contrôle et l’utilisation des ressources du projet « Montagne d’Or ». Cette exploitation est une menace pour les écosystèmes, induit la déforestation et se trouve à proximité de sites archéologiques. Le 5 juillet 2018, le quotidien le Parisien avait relayé les propos du porte-parole de la jeunesse autochtone de Guyane (JAG) : « Montagne d’or, c’est de la douleur, de la souffrance, de l’injustice pour nos peuples. Nous, jeunes à l’identité déjà morcelée et détruite par la colonisation, allons nous battre et refuser que nos terres amérindiennes s’appauvrissent pour que d’autres s’enrichissent. »
La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) avait déjà plusieurs fois signalé l’impact désastreux de cette exploitation pour l’environnement et sur les droits des peuples autochtones.
Les obligations de la France en matière de respect du droit international
Le CERD rappelle les devoirs de la France dans le cadre de son adhésion à la Convention internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, dont la France est signataire depuis 1971. Le Comité s’appuie également sur la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En son article 32, elle dispose que « les États consultent les peuples autochtones concernés et coopèrent avec eux de bonne foi par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources, notamment en ce qui concerne la mise en valeur, l’utilisation ou l’exploitation des ressources minérales, hydriques ou autres ».
La demande a été adressée en procédure dite « d’alerte rapide ». Le gouvernement français va donc devoir s’expliquer avant le 8 avril 2019.
Le projet Montagne d’Or, une exploitation qui fait débat
Le projet mené par le consortium canado-russe Colombus Gold et Nordgold sera implanté sur une surface de 8 Km², à 125 km de la commune de Saint-Laurent-du-Maroni. Il se situe à la frontière de deux parties de la réserve écologique Lucifer Dékou-Dékou et s’inscrit dans la continuité de 140 ans d’exploitation minière. Les peuples Kali’na et Wayana vivent sur le territoire d’implantation de la mine. Le projet Montagne d’Or prévoit l’exploitation de 185 tonnes d’or sur une durée minimum de 12 ans, soit 6,7 tonnes d’or par an. La phase exploratoire a débuté en 2011 et le projet se terminera en 2034 avec une réhabilitation et une re-végétalisation du territoire. Il s’agit de la plus grande exploitation aurifère de l’histoire de France.
Ce projet divise profondément la Guyane autant sur la question environnementale, que sociale et économique.
Les soutiens de Montagne d’Or y voient des opportunités économiques et sociales. Sur l’ensemble de sa durée, il créera 750 emplois directs et 3 000 emplois indirects, dont 90 % d’emplois locaux. Selon Alexis Tiouka, juriste et membre de l’association des autochtones de Guyane, cela ne compense pas l’impact social et environnemental du projet. Il soutient que le développement d’une économie verte générerait beaucoup plus d’emplois et sur un plus long terme. Le second argument est celui des retombées économiques et fiscales du projet, nuancé notamment par WWF France. La rentabilité de Montagne d’Or est en effet incertaine. Il serait alors à craindre une réduction des dépenses à terme pour la réhabilitation du territoire. Il n’existe enfin aucune assurance de redistribution de ces bénéfices au profit des populations locales.
De risques environnementaux importants
Bien que le projet soit annoncé conforme aux normes environnementales européennes et françaises, il existe des risques environnementaux préoccupants, identifiés par le collectif Or de question. Sont critiqués l’inexpérience de l’entreprise Nordgold en milieu tropical, les besoins énergétiques importants du projet, ainsi que l’utilisation de cyanure pour extraire l’or. Or, ceci représente un risque de pollution des zones de pêche et de chasse.
Des mécanismes de consultation peu convaincants
Les critiques du projet ne portent pas sur l’absence de consultations, mais plutôt sur leurs conditions et conclusions. Conformément à la réglementation européenne et française, l’entreprise a lancé une étude d’impact environnementale et sociale. Le site du projet met ainsi en avant deux consultations avec les parties prenantes réalisées en 2014 et 2016. Celles-ci ont réuni principalement les élus locaux et les services de l’Etat.
Un débat public a également été organisé, pour lequel le consortium Canado-russe a saisi tardivement la commission nationale du débat public (CNDP). Il s’agit pourtant d’une étape obligatoire avant de demander l’autorisation pour lancer les travaux. La grand public et les peuples autochtones ont été particulièrement actifs au long de cette séquence de participation, mais le débat s’est déroulé dans un climat d’incompréhension et de mauvaise foi.
Certains responsables du projet auraient jugé les représentants des peuples autochtones trop conflictuels et démonstratifs. Deux industriels portant le projet et des élus locaux, auraient déclaré « ridicule » la démarche de concertation avec les tribus amérindiennes. Ceux-ci ont de leur côté eu le sentiment de ne pas être écoutés. Les élus et les milieux économiques ont été aussi peu présents et auraient organisé des rencontres en parallèle.
Alexis Tiouka souligne ainsi que, même si le débat public s’est tenu, il est loin de répondre aux conditions posées par les représentants des peuples autochtones : « Dans le débat national tous les chefs et les organisations autochtones ont demandé au consortium Canadien Russe de faire le débat dans la communauté, ce qui a été refusé […] donc on va utiliser les outils juridiques au niveau du droit international ». Juridiquement, la consultation doit se faire selon les modalités des populations concernées.
C’est ainsi que l’organisation des peuples autochtones de Guyane qui a déposé une requête auprès du CERD en décembre 2018. Selon eux, les changements dans le projet ont été trop superficiels par rapport aux retours du débat public. Pour Chantal Jouanno, présidente du CNDP, le niveau d’avancement du projet est tel qu’il est difficile de discuter d’alternatives. La consultation publique a en effet eu lieu après toutes les étapes d’exploration et d’études. Il aurait d’abord fallu débattre de l’exploitation de la mine ainsi que de ses conditions. À un stade si avancé, le débat ne pouvait que se transformer en dialogue de sourds.
La France doit s’exprimer sur l’extraction minière
En août 2018, le gouvernement a lancé une mission sur les enjeux socio-économiques et environnementaux des projets miniers en Guyane. Pour la présidente du CNDP, cette mission est purement technique. Elle ne permettrait pas de répondre à la question du modèle de développement économique, où se trouve réellement la fracture.
Gabrielle Serville, députée de Guyane, a déposé le 25 décembre une proposition de résolution visant à interdire l’utilisation des technologies à base de cyanure. Cette proposition devrait être mise à l’ordre du jour lors du débat sur l’exploitation minière et l’orpaillage. Parmi les élus de Guyane, cette question fait débat. Le sénateur de Guyane, Georges Patient, en faveur de Montagne d’Or, déclare que la France a les moyens d’assurer un suivi pointilleux des projets industriels et que les risques sont à prouver. Selon lui, interdire ce procédé mettrait fin à l’industrie minière et serait un suicide économique pour la région.
Chris Yanuwana Pierre, porte-parole de la jeunesse autochtone et vice-président du conseil coutumier, affirme lui sur Twitter le 15 janvier – en référence au projet Montagne d’Or – que tous les moyens seront utilisés pour « stopper l’extractivisme » sur les territoires ancestraux. En novembre 2018, dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, six organisations amérindiennes avaient déjà déclaré être prêtes à aller jusqu’à l’affrontement si le projet n’était pas abandonné.
Les conditions des peuples autochtones en Guyane
La population des Amérindiens de Guyane compte à peu près 10 000 individus pour 274 153 habitants. Les populations qui vivent sur la côte et celles de l’intérieur, de l’Ouest, n’ont pas les mêmes conditions de vie. Les populations de l’intérieur peinent à faire entendre leur voix et sont moins intégrées à l’économie formelle. Dans son rapport de 2017, la CNCDH dénonce une situation alarmante pour les Amérindiens de l’Ouest guyanais. L’accès aux droits dans le domaine de la santé, de l’éducation et de l’état civil est préoccupant. Le taux de suicide chez les Amérindiens de Guyane est ainsi 25 fois plus élevé que celui observé en France métropolitaine. L’organisation nationale autochtone de Guyane (ONAG) met en lien le mal être de ces populations avec l’incapacité/la difficulté de la République Française à reconnaître leurs droits et leurs spécificités.
Le 2 avril 2017, le gouvernement français avait pris l’engagement de restituer 400 000 hectares de terres aux nations amérindiennes. La France avait également joué un rôle actif dans l’adoption en 2007 de la déclaration des Nations Unies sur les droits de peuples autochtones, mais elle n’a jamais ratifié la convention 169 de l’organisation internationale du travail (OIT), texte majeur sur les droits des peuples autochtones. Ainsi, le 1er novembre 2018, la députée Esther Benbassa attire l’attention sur le délai de restitution de ces terres et questionne la volonté réelle du gouvernement à honorer ses engagements. Cette non-ratification est justifiée par le principe d’unicité et indivisibilité de la République.
Dans le but d’élargir la participation des autorités autochtones à la mise en place des politiques publiques, le Haut Conseil Coutumier amérindien et bushinengue (HCCAB) a été créé en février 2018. Le HCCAB se compose de 16 chefs coutumiers. Il remplace le conseil consultatif amérindien et bushinengue dans le cadre de la loi « égalité réelle Outre-mer », conseil dont les chefs coutumiers ne faisaient pas partie. Sa mission est d’assurer la représentation des populations amérindiennes et bushinengues de Guyane. Il permettra de défendre leurs intérêts juridiques, économiques sociaux, culturels, éducatifs et environnementaux. Il a un rôle consultatif et abordera toutes les questions liées à l’environnement et au cadre de vie. L’institution doit être consultée pour tout projet ayant un impact sur leur environnement et leur cadre de vie. Il fait notamment partie de la commission des mines. Lors du débat national, les chefs et cheffes coutumiers avaient rappelé leur opposition unanime au projet « Montagne d’Or. »
Image : Piste de Bélizon, Par Bernard DUPONT. Flickr CC BY SA 2.0