Une soixantaine de familles roms vont être indemnisées à hauteur de plusieurs milliers d’euros après un jugement de la Cour Suprême Hongroise, tombé en septembre 2019. En effet, d’après l’article de RFI, leurs enfants ont été « victimes de ségrégation à l’école ». Ces jeunes Roms étaient placés dans des classes séparées des autres enfants et n’ont ainsi pas pu profiter de la totalité de l’enseignement administré par l’école. Cela s’est passé entre 2004 et 2017 dans le village de Gyöngyöspata, connu pour sa proportion de membres d’extrême droite et leurs actions violentes.
Le Premier Ministre hongrois, Viktor Orban, a été le premier à critiquer cette décision de justice : « Si je vivais dans ce village, je me demanderais comment il est possible que des membres d’un groupe ethnique qui vivent avec moi dans la même communauté reçoivent une telle somme d’argent sans l’avoir gagné, alors que je me tue au travail toute la journée. Je ne sais pas encore quoi faire, mais ça ne peut pas rester comme ça». Cette réaction du chef de l’état hongrois est révélatrice des tensions qui entourent les relations entre le gouvernement, la société hongroise et la communauté rom. Représentant 7 % de la population (soit la plus grande minorité de Hongrie), les Roms sont victimes d’un grand rejet, particulièrement depuis la montée de l’extrême droite à la fin des années 2000. Ils sont ainsi compris comme un groupe à part, à la réputation de voleurs et de voyous. Cependant, cette aversion ne se traduit pas par une politique discriminatoire officielle. Elle est plus insidieuse et s’observe à l’échelle locale.
Si les Roms se sont installés en Hongrie à partir XVème siècle, leur intégration n’est pas actée. C’est seulement en 1971 que la dénomination « Rom » voit le jour après décision de l’Union Romani Internationale. Il désigne en effet les tsiganes s’étant installés en Europe de l’Est, le mot tsigane ayant développé une connotation péjorative. Leur discrimination en Hongrie est ancienne et ancrée dans les moeurs. Compris comme un Autre différent et dangereux qu’il faut faire partir, asservir ou utiliser, les Roms sont discriminés en partie à cause de leur héritage culturel fort (musique, danse et arts atypiques). L’exclusion des Roms est ainsi institutionnalisée, par des schémas et des manières de vivre profondément ancrés dans la société, sur les plans politique et scolaire.
Cette exclusion est aujourd’hui au cœur des discussions avec différents acteurs, de l’U.E aux milices d’extrême droite, qui font pression sur les acteurs locaux et nationaux. Des efforts sont pourtant à relever notamment dans le travail de nombreuses associations sur le terrain.
Les Roms : une population au cœur de fortes tensions
C’est au niveau local qu’on peut observer au mieux ce clivage entre la communauté rom et le reste de la population hongroise.
Il se traduit par une forte isolation géographique, un chômage important dû à un manque de qualification et une scolarité non-linéaire. Tout d’abord, les Roms ont difficilement accès aux logements sociaux et ont peu d’argent pour se permettre autre chose. D’après les Country Reports de 2015, « les municipalités ont eu recours à diverses techniques pour empêcher les Roms de vivre dans des quartiers urbains plus attrayants ». Des cas d’expulsions irrégulières sont ainsi souvent relevés. Ainsi la majorité de la population rom (dans le Nord-Ouest du pays principalement) vit dans des ghettos, isolée des autres habitants, ou dans des camps. Les conditions de vie y sont précaires (accès à l’eau et à l’électricité difficile, maisons en tôles…). Doctorant en anthropologie et spécialiste des Roms à l’Université de Montréal, Léon Grimard, va jusqu’à dire dans ce sens que Budapest est le pire ghetto rom d’Europe. Cette instabilité de logement et cette ghettoïsation de fait n’encourage ni la recherche d’un emploi stable, ni une scolarité réussie. Le faible taux de scolarité, le manque de qualification et la discrimination à l’emploi, font que seulement 26% des Roms en âge de travailler sont actifs. Pour la plupart, il s’agit d’emplois non ou peu qualifiés. Source et moteur de ceci: une scolarité difficile. Dans certaines écoles, les enfants roms sont mis à l’écart dans des classes différentes, et ne suivent pas les mêmes enseignements. D’autres sont envoyés dans des écoles pour malades mentaux alors qu’ils ne présentent aucune maladie mentale comme le souligne l’Express. De plus en plus d’écoles publiques refusent également de prendre en charge des enfants roms, contrairement à la loi sur l’enseignement public en Hongrie. Le Monde affirme que les écoles confessionnelles essayent de pallier partiellement à ces manques (n’étant pas soumises à la même législation), mais c’est à une échelle très réduite. L’isolement géographique et la non-mixité ne favorise ni l’accès à un travail ni une scolarité apaisée et continue.
Sans cibler directement la communauté rom, l’outil législatif est un des biais par lequel cette discrimination s’exprime. Certaines lois, comme celle fixant la suspension des aides sociales pour toutes les familles qui ne « pourront justifier de travaux d’intérêt collectif » en 2012, ont des conséquences directes et lourdes pour les Roms. à cause de la faible qualification et de la discrimination à l’emploi de cette population.
Acteurs de soutien, acteurs de rejet
Plusieurs groupes et organismes interviennent dans ces logiques de discrimination pour les enrayer ou au contraire les alimenter.
Si le Fidesz ne se positionne pas officiellement pour ou contre la minorité rom, le gouvernement hongrois est poussé par l’Union Européenne (U.E) à agir en leur faveur. L’amélioration de la situation de cette minorité était en effet une condition sine qua non de l’entrée de la Hongrie dans l’Union. Elle a par ce biais signé de nombreux traités et chartes officielles, comme la Convention Européenne des Droits de l’homme, de nombreuses conventions contre la discrimination ou encore la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques. La Hongrie fait partie d’un cycle de monitoring de la Commission Européenne contre le racisme et l’intolérance. Celui-ci publie des rapports réguliers qui collectent des données et proposent des solutions d’amélioration que la Hongrie est fortement encouragée à mettre en place. De ce fait, la Hongrie est dans l’obligation de porter assistance aux Roms et de leur éviter tout mauvais traitement lié à leur communauté d’appartenance. Si on peut remarquer des efforts de la part d’une partie de Fidesz, les résultats restent encore difficilement observables à l’échelle locale. Livia Jaroka, députée européenne originaire de la communauté rom et membre du Fidesz, explique ainsi que de nombreux dispositifs ont été mis en place récemment pour les Roms en terme d’éducation et de santé. Pour autant, rapport après rapport, l’Union Européenne fait remarquer la non-compatibilité des traitements des Roms avec les traités et déclarations signées par la Hongrie. Dans les faits, les violences subsistent, les procédures judiciaires pour lutter contre de telles discriminations sont lentes et aboutissent rarement. Les forces de l’ordre ont été formées à la compréhension de cette communauté mais les changements à l’échelle locale ne sont pas encore visibles. La recrudescence des actes anti-Roms devrait pourtant être endiguée par des mesures strictes. Ainsi, la Hongrie a à cœur de contenter l’Union Européenne pour favoriser une plus grande intégration, mais les résultats sur le terrain ne sont pas encore observables.
Les différents organismes de justice européenne et internationale sont conscients de la discrimination que subissent les Roms en Hongrie et condamnent certains actes ou financent des associations pour favoriser l’éducation des Roms.
Cependant il est intéressant de constater que le Fidesz, initialement situé au centre-droit, s’est peu à peu radicalisé pour devenir un parti plus nationaliste et conservateur. Le Fidesz est au pouvoir depuis 2010 (Orban est au poste de premier ministre depuis 1998), après un gouvernement de gauche impliqué dans des affaires de corruption. Son discours s’est radicalisé, avec des positions toujours plus anti-réfugiés, anti-Roms ou anti-SDF avec un nombre croissant de références religieuses et mythologiques. Ainsi, ce gouvernement qui se radicalise ne se positionne pas ouvertement contre les Roms mais fait promulguer des lois à l’encontre de cette population.
De l’autre côté du spectre, les milices et différents partis d’extrême droite se proclament ouvertement comme anti-Roms et sont présents tant au niveau national pour influencer l’adoption d’un nouveau cadre juridique, qu’au niveau plus local pour mener des actions d’intimidation. En 2003 a été créé le mouvement d’extrême droite Jobbik. Ce parti anti-Roms, parle de « criminalité rom » et « se revendique de Miklos Horthy ». Cet homme était le dirigeant de la Hongrie de 1920 à 1944. Il a fait de la Hongrie un allié de l’Allemagne Nazie, notamment par une politique de collaboration à l’Holocauste. Le parti Jobbik a fait le lien entre « un ultranationalisme […] traditionnel dans les milieux intellectuels et les frustrations d’aujourd’hui » explique Attila Fölz, professeur de science politique à l’Université centrale européenne. Ces frustrations sont notamment des déceptions causées par l’Union Européenne et une situation économique difficile pour les Hongrois. Si idéologiquement ce parti est anti-Roms, il le montre aussi dans ses actes. En effet, en 2003 est créée « la Garde Hongroise », une milice non-armée qui organise des défilés en uniforme noir dans le nord-est du pays où se situent beaucoup de villages essentiellement habités par des Roms (notamment les villages de Gyöngyöspata et de Törökszentmiklós). Elles ne sont pas armées mais ont pour but l’intimidation des communautés Roms et sont créatrices de tensions, car des Roms viennent s’opposer à ses manifestations. Cette milice a été dissoute en 2009 mais d’autres mouvements l’ont remplacée, comme la milice « l’Armée des Brigands ». Le développement de ces milices favorise la recrudescence des actes anti-Roms. Ainsi, des actes violents ont été commis entre 2008 et 2009, entrainant la mort de 6 Roms, dont un enfant, et des blessures graves pour 55 autres personnes. Bien que ces actes aient été commis par 3 personnes, sans aucun lien avec une organisation officielle, ils participent tout de même à la persistance du sentiment d’insécurité ressenti par la communauté rom et à la banalisation de tels actes. Au début des années 2010, une milice patrouillant dans un village à majorité rom a entrainé un grand rassemblement. La proclamation de slogans violents et le lancement de projectiles sur les Roms ont été rapportés sans aucune réaction des maires et dirigeants locaux. Suite à cela, 277 personnes ont fui un village occupé par ces ultranationalistes en 2011. En 2012, à Devecser, 700 militants ont attaqués des maisons Roms avec des parpaings, autres objets et insultes. Le parti Jobbik est devenu aux élections législatives la deuxième force politique de la Hongrie après Fidesz. En se politisant, ce parti est devenu plus modéré et a conduit Laszlo Toroczkai, déçu par la tiédeur qu’il trouvait à Jobbik, à fonder un nouveau parti, « Notre patrie ». Celui-ci a déjà pris de l’ampleur avec un score de 3,3% aux élections européennes de 2019 ce qui, pour un nouveau parti créé en 2015, est un score remarquable. Ce parti a aussi sa milice, la « Légion nationale ». Cette milice a repris les actes d’intimidation et a ainsi manifesté le 8 juillet dernier à Törökszentmiklós à l’occasion d’une manifestation pacifique de la communauté rom, pour commémorer les meurtres des 6 Roms, une dizaine d’années auparavant. Toroczkai a utilisé une bataille provoquée par un Rom à l’encontre de non-Roms pour relancer des tensions dans ce village, marqué par ces meurtres. Ces milices et autres partis d’extrême droite estiment aussi que les Roms sont trop protégés et que certaines puissantes associations pro-Roms instrumentalisent ces conflits, dans le but d’entretenir les tensions et appauvrir l’Etat, notamment par les indemnisations que l’Etat doit reverser aux élèves victimes de ségrégation scolaire. Ils estiment aussi que les agressions commises par les Roms ne sont pas assez jugées, à cause de cette surprotection dont ils semblent faire preuve. C’est surtout par le biais de ces partis et de ces milices que les Roms sentent une tension au quotidien à cause de leur origine ethnique.
A l’inverse, les Roms estiment que la police n’agit pas assez pour leur protection, parlant de discrimination par la non-action. Certains d’entre eux, en réaction aux milices et patrouilles des partis d’extrême droite ont conçu des groupes de défense roms qui patrouillent aussi dans les rues pour assurer la tranquillité des communautés, empruntant les mêmes schémas que ceux qu’ils combattent. Les rixes entre Roms et non-Roms sont encore d’actualité. Les Roms sont partiellement représentés par le Conseil National des Roms de Hongrie dirigé par Flórián Farkas dont l’impact des actions est limité.
Des espoirs ténus pour la population rom
Malgré ce contexte tendu, on peut considérer certaines améliorations notamment dans la prise en compte des condamnations des actes de violence anti-rom. Ainsi, de nombreux manifestants, participants aux patrouilles ou membres de la Garde Hongroise qui n’avaient pas cessé leurs activités ont été arrêtés et jugés. Les forces de l’ordre qui n’ont pas réagi et se sont contentées d’observer les scènes d’insultes et de violences ont été condamnées par un tribunal de première instance expliquant que cette inaction relevait de la discrimination. Les trois hommes qui ont tué des Roms il y a dix ans ont été condamnés à la prison à vie pour leurs « crimes racistes ». Bien que la portée médiatique de ce dernier procès soit faible, c’est une première en Hongrie depuis des années.
En termes d’éducation, le jugement rendu par la Cour Suprême, qui vise à indemniser les familles dont les enfants ont subi une ségrégation à l’école, est une grande avancée. Le montant de l’indemnisation étant élevé et dû par la municipalité, les autorités changeront certainement leur manière d’appréhender ce problème d’éducation. De associations et fondations telle la fondation Romarversitas aident les jeunes Roms à poursuivre leurs études, ce qui contribuera à résoudre le problème de la sous-éducation des Roms, donc du chômage et de l’isolement géographique. Viktor Orban se rend compte de son côté qu’il ne peut pas sous-estimer ce groupe électoral important et adopte régulièrement un discours plus apaisé à son encontre.
Les différentes communautés roms à travers le monde se mobilisent pour manifester devant les ministères des affaires étrangères pour dénoncer les mauvais traitements subis par les Roms et l’inaction des gouvernements face aux attaques dont ils sont les victimes. Un des manifestants à Budapest déclare que « c’est plutôt nouveau de voir des Roms défiler dans toute l’Europe contre le racisme. Nous sommes en train de constituer un véritable réseau transnational ». Cette mobilisation transnationale peut permettre une prise de conscience plus grande, notamment des populations, de ce que subissent les Roms.
Rien ne peut profondément changer la situation des Roms sans une volonté politique et des moyens mis en œuvre pour favoriser leur intégration à la société hongroise. Cette volonté politique n’est pas la plus visible dans la sphère politique. Les positions de Viktor Orban ne sont pas en faveur de la communauté rom qui subit au quotidien des menaces, des injures et des discriminations. Il ne faut cependant pas perdre espoir et voir que des associations agissent pour défendre les droits des populations roms telle l’Association des agents de police roms en Hongrie (qui a pour but, selon ses statuts, de défendre, former, éduquer, protéger les Roms) ou d’autres médias et association culturels qui ont pour but de promouvoir la culture et le savoir-faire de cette communauté.
Image: Viktor Orban, by European People’s Party, Flickr, CC BY 2. 0