L’Indonésie, avec ses larges plages de sable blanc, son économie dynamique et sa biodiversité fait figure de terre idyllique. D’ailleurs, l’archipel reçoit de nombreux flux migratoires : tourisme, travail, religion. Mais l’Indonésie est aussi terre d’accueil pour des migrations plus irrégulières. En décembre 2017, 13 840 réfugiés venant de 49 pays différents se trouvaient sur son territoire. Pour eux toutefois, le pays fait figure de refuge bien imparfait.
Un refuge, de passage, non désiré
Frontalière de l’Australie, l’Indonésie est un passage obligé pour les populations afghanes, pakistanaises, somaliennes et irakiennes qui désirent se rendre sur le pays continent. Hélas, depuis peu, l’accès au « pays de la chance » est rendu impossible par des politiques de plus en plus restrictives à l’égard des populations en mouvement. Tony Abbott, le Premier ministre australien d’extrême droite veille : « chaque bateau s’approchant illégalement est immédiatement repéré puis intercepté par la marine australienne. Leurs passagers sont débarqués, et seules deux possibilités s’offrent à eux : le retour dans leur pays, où ils sont menacés de mort, ou l’enfermement dans un camp de rétention pour une durée indéterminée ». En conséquence, beaucoup patientent en Indonésie qui devient une « salle d’attente », un havre « faute de mieux ». En résulte une situation où 13 840 réfugiés peuplent l’archipel. 50 % sont Afghans.
Des incertitudes administratives et difficultés économiques qui en font un refuge peu désirable
Refuge non désiré, l’Indonésie fait également figure de refuge peu désirable pour plusieurs raisons.
Incertitude administrative
Administrativement d’abord, l’Indonésie n’est pas partie à la convention de 1951 relative au statut des réfugiés, pas plus qu’elle n’a signé le protocole de 1967. L’archipel ne dispose d’aucun système national de détermination du statut des réfugiés, conduisant à l’instauration d’un mandat UNHCR de protection des réfugiés. Sur l’archipel, beaucoup remplissent des papiers pour accéder légalement à l’Australie. Mais la procédure UNHCR est longue, environ deux ans, et les chances sont minces. Environ 1 % des demandes d’accès à l’Australie aboutissent.
Face à ce blocage australien, le UNHCR, en janvier dernier, a d’ailleurs annoncé aux demandeurs d’asile stationnés en Indonésie qu’ils ne devaient pas espérer être accueillis dans un autre pays. À la place, l’organisation leur recommande de « se préparer à s’intégrer dans la société indonésienne du mieux qu’ils le peuvent, ou à rentrer dans leurs pays respectifs, ravagés par la guerre ». Comme l’explique Thomas Vargas, directeur du UNHCR Indonésie, « Nous sommes aussi honnêtes que nous le pouvons et nous essayons de leur expliquer combien les choses sont imprévisibles (…). On essaye de leur dire : ‘ayez des attentes réalistes’, parce que nous faisons face à une crise mondiale et les options sont limitées ».
Des troubles psychologiques en découlent. L’année passée, de nombreuses manifestations ont été enregistrées dans les centres de détention de Java, Sumatra et Kalimantan. Les manifestants demandent une assistance psychologique face à des cas de dépression en hausse. En mars dernier, un jeune Afghan s’est donné la mort après avoir appris sa non-relocalisation.
Les difficultés économiques et sociales
Aux difficultés psychologiques induites par cette incertitude statutaire s’ajoutent des difficultés matérielles et physiques pour les demandeurs d’asile. Les camps de réfugiés indonésiens ont mauvaise presse : des dizaines de personnes se trouvent entassées dans quelques mètres carrés, l’hygiène y est déplorable, beaucoup souffrent de malnutrition.
En dehors de ces camps, la situation n’est pas plus rose. Sans statut, ces populations en mouvement ne peuvent pas travailler légalement. L’accès aux services publics leur est refusé. En conséquence, à Kalideres, plus de 300 demandeurs d’asile et de réfugiés patientent devant le centre de détention. Ils y quémandent eau et nourriture. Leur objectif : aller en détention pour obtenir, enfin, un toit sur leur tête et des repas réguliers.
L’Indonésie comme refuge auto-proclamé : le cas des réfugiés Rohingya dans la province d’Aceh.
Dans le Nord de Sumatra cependant, une catégorie de réfugiés, pourtant rarement vue avec bienveillance, est accueillie à bras ouverts. A Aceh, province islamique conservatrice gouvernée par la charia, les portes sont grandes ouvertes pour les réfugiés Rohingya, cette minorité musulmane persécutée dans son pays, le Myanmar. Refusés en Thaïlande ou en Malaisie, les bateaux de réfugiés rohingyas débarquent à Aceh, et y rencontrent, depuis 2015, un accueil chaleureux et des aides financières salutaires en vue de leur installation. Depuis 10 ans, au moins 1 740 Rohingyas ont été accueillis à Aceh selon l’Organisation internationale pour les migrations. Pour beaucoup d’habitants de la province d’Aceh, cet accueil des populations musulmanes persécutées est naturel : « Ils sont nos frères ». « Ils prennent soin de nous, comme des parents prennent soin de leurs enfants », explique Mohammad Shobir, récemment arrivé à Aceh.
Quelles percpectives pour demain ?
Quelles perspectives pour les demandeurs d’asile et réfugiés se trouvant sur le sol indonésien ? Les conclusions de l’UNHCR le démontrent : il s’agit désormais de se préparer à rester sur l’archipel. Cela requiert, pour les demandeurs d’asile, la capacité à tirer un trait sur le rêve australien. Pour l’archipel, l’installation permanente de ces nouvelles populations nécessite une adaptation.
C’est dans ce sens que l’UNHCR indonésien a milité pour la signature fin 2016 par le président Joko Widodo d’une régulation présidentielle sur la gestion des réfugiés (Presidential Regulation on the Handling of Refugees). Le document, s’il ne résout pas les questions économiques et sociétales, offre des définitions clés, ainsi que des processus pour détecter, protéger et sauvegarder les réfugiés et demandeurs d’asile. À terme, l’objectif sera d’accompagner ces populations dans leur installation et leur insertion dans la société indonésienne, pour que soit encore affirmé le principe fondateur du Pancasila (idéologie d’Etat) indonésien : « l’unité dans la diversité ».