Alors que les combats font rage entre les forces de sécurité irakiennes et les djihadistes de l’Etat islamique en Irak, que des attentats continuent de se produire régulièrement à travers le pays et que Daech montre sa résilience et sa capacité de nuisance, certains pans de la jeunesse irakienne commence à s’éloigner de l’islam, qu’ils considèrent comme responsable d’une certaine partie de leurs maux.
Ce détachement s’exprime de plusieurs façons ; la plus visible est celle de la prise de parole, tant sur les réseaux sociaux que dans la rue. Sur les réseaux sociaux, les activistes de la société civile s’attaquent en particulier aux autorités religieuses du pays, les accusant d’être responsables de l’état du pays et des conditions de vie détériorées que connaissent de très nombreux irakiens. Dans la rue, les manifestants battent le pavé contre la corruption des élites et l’omnipotence des milices religieuses. Ces manifestations sont de plus en plus nombreuses, gagnent en ampleur, et leur organisation va croissante ; à tel point que les protestataires sont parvenus à plusieurs reprises, au cours de l’année 2016, à pénétrer au sein de la « Green Zone », la zone ultra-sécurisée de Bagdad, où se situent les ministères et les ambassades.
Ces manifestations ont cela de notable que les communistes y sont de plus en plus présents. Résolument sécularistes, ceux-ci attirent les jeunes irakiens qui tendent à délaisser la religion ; des antennes communistes ont ainsi vu le jour dans certaines universités irakiennes.
Les milices religieuses, quant à elles, s’opposent farouchement à cet abandon de la religion et au regain d’activités du parti communiste. Ainsi, outre une riposte organisée sur les réseaux sociaux, plusieurs actes de violences ont été répertoriés au cours des dernières semaines : mi-mai par exemple, un groupe armé non-identifié a enlevé plusieurs activistes « sécularistes » et communistes pour certains à leur domicile, en plein centre de Bagdad. Après intervention du Ministre de l’Intérieur, Qassim al-Araji, les captifs ont été relâchés, sans que ne soit dévoilée l’identité des assaillants, que beaucoup suspectent de faire partie des milices chiites. Un mois plus tôt, le siège du parti communiste à Diwaniyah (Sud du pays), était vandalisé, à la suite d’une manifestation d’étudiants qui protestaient contre la visite dans leur université de Qais al-Khazali, le chef d’une des milices religieuses les plus puissantes d’Irak, la Ligue des Vertueux (Asaib Ahl al-Haq).
L’opposition entre autorités religieuses et communistes en Irak est assez ancienne : elle remonte aux années 1950, alors que le pays basculait de la monarchie vers la république. Ce changement de régime et de système politique a été possible grâce à un coup d’Etat fomenté par l’armée, alors soutenue par les communistes. Ces derniers étaient, à l’époque, l’une des forces politiques les plus puissantes du pays et de la région.
Pour faire face efficacement au communisme, les groupes religieux ont alors décidé de s’engager eux aussi dans le combat politique, donnant naissance au parti islamique Dawa, aujourd’hui l’un des partis politiques chiites les plus puissants d’Irak. Les premiers manifestes du parti révèlent d’ailleurs leur envie explicite de se confronter aux communistes et aux sécularistes.
Le déclin du communisme à partir des années 1980/1990 tempéra les ambitions du parti communiste irakien, qui retrouve aujourd’hui de l’ampleur grâce à l’éloignement des jeunes vis-à-vis de la religion, notamment depuis les exactions commises par Daech au nom de l’islam à travers le monde.
Participant et organisant les premières manifestations de masse en Irak à partir de mi-2015, le parti communiste attire ainsi des pans notables de jeunes irakiens et de sécularistes, qui participent avec une ferveur croissante aux manifestations hebdomadaires organisées sur la place Tahrir de Bagdad. Ces manifestations, organisées tous les vendredis du mois, gagnent suffisamment en ampleur pour que, début mai, les parlementaires irakiens aient débattu d’un projet de loi visant à mieux encadrer les manifestations ; le vote a finalement été reporté à la suite d’un rassemblement spécialement organisé pour l’occasion par les protestataires sécularistes.
Image : Par Nicoleon — Travail personnel, CC BY-SA 4.0