Entretien avec Behi Djanati Ataï, une actrice entre la France et l’Iran
Behi Dhanati Ataï est une comédienne, autrice et metteuse en scène franco-iranienne. Pour son rôle dans la deuxième saison de Tehran et la sortie de ce dossier thématique, elle a bien voulu répondre à nos questions sur la représentation de l’Iran dans cette série.
Pouvez-vous nous parler de votre rôle dans la série ?
J’incarnais Fatemeh Mohammadi, épouse du général Sardar Qasem Mohammadi. Mon rôle était principalement de mettre en exergue la fonction de mon mari. En tant que femme de personnalité militaire, je deviens intéressante pour le Mossad, leur permettant d’atteindre une cible de choix en passant par moi et ma famille.
Quels aspects vous semblent les plus familiers dans le personnage que vous interprétez ?
Quand j’aborde un rôle, je cherche le plus de points communs possibles avec mon personnage. Je les ai retrouvés dans le fait que Fatemeh a un fils et tient la maison. Sur les autres aspects, plus culturels, j’étais déjà familiarisée avec le fait que la femme règne sur l’intérieur, et l’homme, à l’extérieur. Je me suis renseignée sur ce qui caractérise une femme de haut dignitaire iranien, sur comment ne pas enfreindre les lois islamiques en public, comme se couvrir en présence des hommes ou ne pas leur serrer la main.
Avez-vous eu peur, après avoir accepté le rôle, que le point de vue sur l’Iran dans la série soit stéréotypé ou politisé ?
Beaucoup. En fait, je craignais différentes choses. D’abord, il faut savoir que jouer dans une réalisation israélienne signifie ne plus pouvoir remettre les pieds en Iran. J’ai beau ne plus vivre en Iran depuis de nombreuses années maintenant, je m’auto-censure toujours de manière consciente et cela pèse sur les choix artistiques que je peux faire dans ma carrière. D’autre part, j’avais peur que le regard porté par la série soit trop réducteur, qu’il montre les Israéliens comme surpuissants. Je ne souhaitais pas que cette représentation globalement porte préjudice à l’image de l’Iran et des Iraniens. La série a reçu de nombreuses critiques de la part d’organes de presse et de personnalités pro-régime en Iran.
Selon vous, quels aspects de la série provoquent le plus d’appréhension du régime vis-àvis de la réception par la population ? La jeunesse dorée de ses élites. Toute la population du pays doit subir leur oppression. Ils représentent à eux seuls les fortes inégalités du pays. Eux peuvent voyager à l’extérieur des frontières librement, vivre comme s’ils étaient en Occident alors qu’ils dictent des règles religieuses strictes à la population. Ils peuvent avoir des relations amoureuses ou donner des soirées privées avec alcool, courses automobiles et sans hijab obligatoire. C’est l’image que ce genre de représentations peut donner des classes dirigeantes qui les dérange le plus
Comment avez-vous vécu cette expérience de jeu au sein d’une équipe globalement israélo-iranienne ?
Le plus naturellement possible. Ce n’est pas parce que la production est israélienne que ses films sont forcément orientés politiquement ou que les membres de l’équipe sont euxmêmes politiquement biaisés. Il ne faut pas confondre un peuple et son gouvernement, dans les deux sens cela est une erreur.
Pensez-vous que le fait que l’équipe soit principalement composée d’Iraniens a contribué à la recréation d’un cadre réaliste qui évite les stéréotypes?
Daniel Syrkin, le réalisateur, est lui-même très iranophile, il connaît la culture et la langue persane. Niv Sultan avait dû prendre des cours de persan pour son rôle. Il a également effectué des recherches pour rester au plus proche de la réalité. Toute l’équipe de réalisation a eu la motivation et le souci de se renseigner un maximum sur la vie en Iran.
Selon vous, quel est l’apport de la série dans la perception de l’Iran par un public occidental et plus précisément israélien?
Cette série a le mérite de mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Les Américains en particulier ne connaissent que très peu l’Iran et entretiennent de nombreux préjugés à son égard. Peut-être que cette série va servir à les familiariser davantage avec le pays, montrer que le tableau est plus complexe des deux côtés, qu’il existe une diversité d’individus et même mettre en avant certains personnages iraniens.
Quelle est votre relation avec l’Iran aujourd’hui?
Je reste très engagée par rapport aux droits humains en général et aux droits des femmes en priorité. Je déplore l’oppression et l’apartheid de genre qui existe aujourd’hui en Iran, le fait qu’on objectifie la femme et qu’on l’utilise comme arme idéologique pour la brandir comme symbole religieux. J’espère un changement. Il est important de toujours dissocier les Iraniens du gouvernement iranien. Les ayatollahs n’y connaissent rien à la gestion d’un pays, d’une économie. Ils ont gâché le système millénaire d’irrigation par qanat, détruisant l’écologie du pays, son héritage historique. Ils ont voulu effacer notre langue, arabiser davantage le persan en renversant les eorts de Ferdowsi pour redynamiser la langue persane. Mais les Iraniens s’ouvrent au monde par Internet. La population iranienne est jeune (à 80 % composée de moins de trente ans), il n’est pas possible qu’elle continue de se faire gouverner par un vieux !