Nowruz : le Nouvel An iranien, placé sous le signe du pluralisme – ?
Nowruz (نوروز) désigne le Nouvel An persan qui a lieu cette année le 20 mars du calendrier chrétien. Cela correspond par ailleurs à l’équinoxe de printemps. En Iran, c’est le début du mois de Farvardin, le premier mois du calendrier iranien. Nowruz marque ainsi le début d’une nouvelle année solaire.
Bien qu’étant largement célébré dans le pays, il convient de rappeler que Nowruz est une fête zoroastrienne. Elle célèbre le retour du printemps, comme la fin des ténèbres symbolisées par l’hiver. L’arrivée de l’islam en Perse au VIIe siècle et l’instauration de la République islamique en 1979 n’ont pas réussi à mettre fin à cette tradition, d’ailleurs largement célébrée dans le monde par la diaspora iranienne.
Les légendes autour de l’origine de Nowruz
Plusieurs légendes se retrouvent pour expliquer Nowruz. Selon l’UNESCO, Nowruz serait le jour de la création de l’humanité.
L’historien al-Biruni (973-1048 ou 1052) expliquait également que Nowruz symbolisait le jour où l’ange de la victoire avait appelé les humains à créer des choses nouvelles. Il explique que cette nuit-là, des flammes se sont élevées au sommet du mont Damavand. D’après le Livre des Rois de Ferdowsi, Nowruz symboliserait le début des réformes entreprises par le shah Jamshid, célébrées depuis, tous les ans par la population.
Nowruz : une fête régionale
Nowruz est célébré en Turquie, en Inde et en Iran, mais c’est également un jour férié en Afghanistan, en Albanie, en Azerbaïdjan, en Géorgie, au Kurdistan irakien, au Kazakhstan, au Kosovo, au Kirghizistan, dans la province de Bayan-Ölgii en Mongolie, au Tadjikistan, au Turkménistan et en Ouzbékistan.
En 2016, l’UNESCO a inscrit Nowruz à la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Cette fête véhicule, d’après elle, des valeurs de paix, de solidarité dans la population, et encourage à la réconciliation.
Le déroulement des festivités de Nowruz :
La première fête : Sadeh
Les festivités de Nowruz prennent place sur plusieurs mois. Ainsi, cent jours avant Nowruz, les Iraniens célèbrent Sadeh (centaine). Sadeh symbolise l’apparition du feu. À cette occasion, depuis l’Antiquité, les populations attendent le retour de l’été en se réunissant autour du feu. Comme pour Shab-e Yalda, cette fête souligne donc la richesse de la civilisation persane, qui était déjà capable d’observer le cycle des saisons. Ainsi, Sadeh était initialement une fête populaire, non religieuse. Selon le poète Ferdowsi, Sadeh remonterait à l’époque du roi Houchang, à qui Dieu a appris à faire du feu. La fête de Sadeh rappelle donc à nouveau le pluralisme culturel iranien, puisqu’elle est célébrée par toute la population, sans distinction de religion, mais également par différents peuples du Moyen-Orient.
Le dernier mercredi de l’année : Chaharshanbeh Suri
Célébrée ce mercredi 17 mars 2021, la fête de Chaharshanbeh Suri prend place le dernier mercredi du calendrier solaire persan. Durant cette dernière, de nombreux rituels ont lieu, notamment celui de sauter par-dessus un feu, en prononçant la phrase « je te donne ma pâleur / ma maladie, je prends ta force / ta santé » (زردی من از تو، سرخی تو از من). Les participants n’éteignent le feu qu’après que toute la famille a effectué ce rituel.
La célébration de la nouvelle année : Nowruz
Comme pour d’autres fêtes zoroastriennes, de nombreux symboles se retrouvent sur les tables des familles iraniennes.
Pour Nowruz, on retrouve les haft-sin (هفتسین), c’est-à-dire sept éléments commençant par la lettre « s » ou « س ». On retrouve ainsi le sabzeh (سبزه) des pousses d’orge, de blé, de lentilles, qui symbolisent la renaissance ; le samanu (سمنو) (une sorte de crème à base de pousses de blé), symbole d’abondance ; le sir (سیر), de l’ail, pour la protection ; le serkeh (سرکه), du vinaigre, pour la patience ; le sib (سیب), des pommes, symbolisant la fertilité ; le sumac (سماق) et le senjed (سنجد) (fruit du jujubier), tous deux symboles d’amour. On peut aussi retrouver le sonbol (سنبل), la jacinthe qui symbolise le printemps, le sekkeh (سکه), des pièces, symboles de prospérité, et finalement le saat (ساعت), une horloge, symbole de temps. Les Iraniens déposent également un Coran, des œufs, des miroirs et des recueils de poèmes, de Hafez notamment.
Par ailleurs, un dernier élément présent sur cette table est un bocal contenant des poissons rouges, qui sont libérés le dernier jour des célébrations de Nowruz.
Une célébration symbole de pluralisme à l’échelle nationale et régionale
Un rassemblement de communautés ethniques et religieuses différentes
Lors de l’inscription de Nowruz à l’UNESCO, les pays ayant présenté le dossier (Afghanistan, Azerbaïdjan, Inde, Iran, Irak, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Pakistan, Tadjikistan, Turkménistan et Turquie) ont rappelé les pratiques culturelles liées à la célébration, comme la musique et la danse en pleine rue – ce qui est habituellement proscrit en République islamique – et des rituels incluant des éléments symboliques, typiques du zoroastrisme, comme l’eau et le feu.
La coexistence des religions et des cultures revêt une importance particulière pour une majorité de la population iranienne, attachée aux traditions du pays, quand bien même ces dernières ne se rattachent pas à l’islam. En effet, les pays ayant déposé le dossier à l’UNESCO ont insisté sur l’idée que ces usages « favorisent la diversité culturelle et la tolérance et contribuent à renforcer la solidarité et la paix au sein de la communauté ». Par ailleurs, ils ont rappelé que cette fête pouvait également servir d’exemple de rassemblement, de tolérance et de diversité culturelle. L’UNESCO rappelle d’ailleurs que toutes les communautés d’Iran, peu importe leur langage ou leurs croyances, célèbrent Nowruz. La dispersion géographique des peuples célébrant Nowruz démontre un lien historique et culturel fort, unissant des peuples venant d’États différents.
Les différentes origines culturelles et religieuses des Haft-Sin :
Pour les zoroastriens, le chiffre sept est sacré. L’âme de chaque croyant resterait sept jours et sept nuits sur le toit de la maison où il a vécu, avant de se rendre définitivement dans sa tombe. Il existe aussi une légende évoquant Sinbad, roi de l’Inde, le plus sage des « sept ministres érudits ». De même, dans l’islam, on retrouve à de nombreuses reprises le chiffre sept dans le Coran.
Le treizième jour du mois de Farvadin : Sizdeh Bedar (سیزده بدر)
Le treizième jour de l’année, les Iraniens se réunissent pour clore les célébrations de Nowruz. Les douze premiers jours de l’année symbolisent ainsi le renouveau et le changement. Le treizième jour symbolise le retour à la vie quotidienne. Les familles se retrouvent pour manger en extérieur et partager des moments conviviaux, pour chasser les éléments négatifs. Pour les zoroastriens, c’est également l’occasion de prier pour que l’année apporte de la pluie, auprès du dieu Tir.
Le maintien des traditions zoroastriennes dans l’Iran moderne
Nowruz : une fête dans un premier temps proscrite, devenue jour férié officiel en Iran
Malgré les tentatives du gouvernement mis en place suite à la Révolution islamique de 1979, qui craignait qu’une fête non islamique ne nuise à la cohésion et à la légitimité de l’État, d’interdire cette célébration, Nowruz s’est maintenu grâce à la solidarité des Iraniens, et est désormais toujours bien célébré en Iran. Cependant, aujourd’hui, les festivités sont largement encadrées par la police, puisque le gouvernement craint des excès de la part de la population, notamment quant au respect des règles de conduite islamiques [1].
Sizdeh Bedar : une manière de célébrer la liberté culturelle
Comme Nowruz, malgré les réticences du régime et les nombreuses tentatives d’interdiction, les Iraniens célèbrent toujours cette tradition publiquement. À nouveau, les célébrations sont encadrées, notamment par la police des mœurs et les Bassidji.
Chaharshanbe Suri : une fête officiellement interdite
Cependant, la fête de Chaharshanbe Suri a été interdite par le régime, notamment à cause des risques liés aux célébrations autour du feu, et des nombreux accidents qui ont lieu durant la nuit, avec des feux d’artifice par exemple. Cette année particulièrement, le contexte de tensions exacerbées en Iran a mené le gouvernement à prendre des « mesures dissuasives extraordinaires », craignant que la fête et les rassemblements qui y sont liés ne se transforment en mouvement de révolte, organisé par les opposants au régime.
L’ancrage culturel du zoroastrisme en Iran
Le statut spécial du zoroastrisme en Iran
Malgré la prédominance de l’islam chiite en Iran, l’importance du zoroastrisme dans la culture du pays a été réaffirmée à plusieurs reprises. Sous le règne de Reza Shah Pahlavi, des festivités ont été organisées en l’honneur de l’héritage culturel iranien. La célébration des 2500 ans de l’Empire perse en 1971 en témoigne parfaitement.
La mise en place de la République islamique a largement mis en péril les libertés des minorités religieuses. Cependant, les zoroastriens, aux côtés des chrétiens et des juifs, bénéficient d’une certaine protection de l’État, ce qui leur permet notamment d’avoir une place aux Majles (Assemblée consultative islamique). La loi y réserve un siège aux zoroastriens, un siège aux juifs, et trois sièges aux chrétiens. Cette protection s’accompagne néanmoins de restrictions quant à la liberté de culte, et d’une infériorité face à la loi. Ainsi, l’Iran tolère ces minorités religieuses, mais interdit la tenue de leurs pratiques dans l’espace public. Par ailleurs, les membres de minorités religieuses doivent être obligatoirement connus des autorités, sous peine de sanctions.
L’importance des références culturelles au zoroastrisme
En Iran, l’identité de la population se définit toujours par rapport à l’histoire perse, et aux évènements de l’époque préislamique. Les références à ce passé sont ainsi nombreuses, notamment à travers les célébrations et la présence de monuments historiques, très importants pour la population. De même, le lien de rois antiques, comme Darius Ier, avec le zoroastrisme, que l’on retrouve sur les monuments a une importance culturelle très forte. L’attachement de la population iranienne à ces souverains réaffirme la difficulté pour le gouvernement d’interdire ces célébrations. Cela risquerait de générer un grand mécontentement.
Il existe ainsi une grande fierté des Iraniens quant à leur histoire et à leur patrimoine, incluant des sites antiques tels que Persépolis, ou Takht-e Sulaimân, où se trouve un temple du feu zoroastrien. Par ailleurs, des villes comme Yazd sont très importantes au niveau culturel, notamment pour l’empreinte zoroastrienne que l’on retrouve, et le symbole de coexistence religieuse pacifique entre islam, judaïsme, et zoroastrisme qu’elles symbolisent.
Quel impact sur la crédibilité du régime islamique ?
Le régime conserve tout de même une supériorité par rapport aux minorités, à travers la restriction des libertés religieuses.
L’État est présent dans tous les domaines liés au zoroastrisme, au christianisme et au judaïsme, qu’il s’agisse de l’éducation ou de l’habillement. Par ailleurs, l’État nomme lui-même les directeurs des établissements en lien avec ces religions. Cette omniprésence de la surveillance de l’État permet de limiter la diffusion de ces religions, et a notamment contribué à une forte diminution du nombre de pratiquants du zoroastrisme, qui s’élèverait à environ 30 000 personnes actuellement. De plus, les musulmans ne peuvent pas se convertir, ce qui limite l’augmentation du nombre de fidèles.
[1] Fariba Adelkhah, « Culture, minorité …. La révolution islamique a tout balayé ». Les Paradoxes de l’Iran : Idées reçues sur la République islamique, Le cavalier Bleu, 2013, p. 171 à 185.
Image : Nowruz, Unis Vienna pour Flickr, 20 mars 2018, CC BY NC-ND-2.0