Les récentes élections générales au Royaume-Uni ont mis le parti Conservateur au pouvoir dans une situation difficile : ne bénéficiant pas d’une majorité absolue (c’est-à-dire plus de la moitié des sièges dans la Chambre des Communes), il doit soit gouverner en minorité en espérant que des députés d’autres partis soutiennent leurs projets de lois, soit créer une coalition gouvernementale avec un petit parti partenaire. Si David Cameron avait pu, en 2010, s’allier aux Libéraux-Démocrates pro-europoéen, ceux-ci ne souhaitent aucunement s’allier au Premier Ministre Theresa May en période de Brexit. Seule solution des Conservateurs pour rester au pouvoir : se tourner vers le parti nord-irlandais Democratic Unionist Party (DUP) et ses dix députés.
A première vue, rien à voir avec les questions de pluralisme religieux habituellement traitées par l’Observatoire Pharos. Pourtant, pour Matthew Allen, étudiant britannique à Princeton University, cette coalition ravive des problèmes d’intolérance religieuse. Selon lui, il est impossible de parler de politique nord-irlandaise contemporaine sans prendre en compte le conflit qui a opposé républicains catholiques (en faveur d’une unification politique de l’île d’Irlande) et unionistes protestants (désireux de rester membre du Royaume-Uni) depuis le XIXè siècle jusqu’à l’accord du Vendredi Saint en 1998. Ce conflit, connu sous le nom euphémique de Troubles, est à l’origine une bataille entre les fidèles de deux religions chrétiennes. Il faut toujours garder à l’esprit que les partis DUP comme Sinn Féin (parti républicain) ont émergé dans la religion avant de devenir politique. Qui plus est, Matthew Allen fait remarquer que la population nord-irlandaise est plus pratiquante et croyante que le reste du Royaume-Uni. Tout ceci explique le côté socialement conservateur des partis nord-irlandais, et tout particulièrement de DUP, opposé au mariage homosexuel ou à l’avortement.
Par conséquent, dans le reste du Royaume-Uni, l’appel du pied des Conservateurs au DUP est vu d’un mauvais œil. Jusqu’alors, les questions du mariage pour tous ou du droit à l’avortement semblaient acquis politiquement comme culturellement par la population britannique. Pour Matthew Allen, la nouvelle coalition avec les unionistes nord-irlandais a éveillé, du jour au lendemain, une peur de l’inconnu : la plupart des Britanniques ignoraient jusqu’à l’existence de ce parti et, après avoir effectué quelques recherches sur Google, ils ont pris peur de l’aspect conservateur du DUP et ont lancé des manifestations. Pourtant, ceux-ci avaient précisé qu’ils n’avaient pas l’intention d’intervenir sur l’agenda sociétal des Conservateurs. Pour Matthew Allen, cette réaction du public se rapproche de celle qui a poussé Tim Farron a démissionné du parti des Libéraux-Démocrates et prouve une chose : « toute personne ayant des valeurs chrétiennes n’est pas la bienvenue en politique britannique », une forme d’intolérance religieuse au Royaume-Uni pousse de plus en plus à refuser la visibilité de la religion dans la sphère politique.
Cependant, pour nuancer le propos de Matthew Allen, regardons la coalition sous un autre angle car après tout, les manifestations anti-coalition vont plus loin qu’une question d’intolérance. En effet, est-il souhaitable, pour le maintien de la paix en Irlande du Nord, de mettre les unionistes au pouvoir ? Ne risque-t-on pas de voir des jalousies, voire même des revanches émerger ? A l’approche du Brexit, la République d’Irlande, en la personne de son ancien Taoiseach (Premier Ministre) Enda Kenny, avait appelé Theresa May à la plus grande prudence : l’accord du Vendredi Saint repose sur le système dit de « consociation » où républicains et unionistes sont forcés à gouverner l’Irlande du Nord main dans la main. Si un groupe prend du galon, comme c’est le cas des unionistes représentés par le DUP, alors les républicains et catholiques risquent d’être mis au ban de la vie politique nord-irlandaise. Et si en plus cela se passe à l’approche du Brexit, qui a déjà profondément divisé la population nord-irlandaise, il est à craindre que des violences reprennent.
Image : Protestant graffiti in Belfast, Northern Ireland, 1974, during The Troubles, By George Garrigues