Le 26 Octobre 2018, les Irlandais étaient appelés aux urnes pour élire leur président et pour participer à leur deuxième référendum de l’année. Il s’agissait cette fois pour les citoyens de décider ou non de l’effacement du mot « blasphemous » (blasphématoire), de l’article 40 de leur Constitution. Si le Président Michael D. Higgins s’est vu réélu à la tête de l’Eire sans difficulté, le scrutin a également permis de lever l’interdiction du blasphème, avec 64,85 % des voix en faveur.
La victoire sur une loi « médiévale »
Pour un large public allant des athéistes aux leaders chrétiens, il s’agit là d’une victoire et de la fin d‘une loi jugée « médiévale ». Une étape de plus suite à la légalisation de l’avortement et du mariage entre personnes du même sexe, dans ce que le Taoiseach (Premier Ministre) Leo Varadkar qualifie de « révolution silencieuse ». Jusque très récemment, la société irlandaise était vue comme l’une des plus socialement conservatives d’Europe : la loi sur l’interdiction du blasphème avait été adoptée en 2009, alors même que personne n’a été condamné pour ce motif depuis plus de 150 ans. Le gouvernement de Taoiseach Varadkar, soutenu sur les questions sociétales par le vote des moins de 35 ans, avait déjà préparé la législation nécessaire pour annuler la loi de 2009 et comptait sur le référendum pour pouvoir passer à l’acte. Une question qui n’a cependant pas éveillé d’intérêt prononcé puisque seulement 45 % des électeurs se sont prononcés sur le sujet. Cela prouve encore une fois le manque d’attention portée par la population aux questions touchant à la religion. Mais, comme le rappelait Michael Nugent, Président d’Atheist Ireland : « La population est passée à autre chose, les gens ne sont plus sous le contrôle de l’Église Catholique, mais beaucoup de lois […] sont encore en place. Nous devons les fragiliser et faire en sorte que l’État rattrape le peuple ».
Le blasphème pour protéger les démunis ?
Cependant, cette décision populaire laisse certains problèmes non résolus. En effet, l’application constitutionnelle même de l’interdiction du blasphème concernait les cas où une personne se trouvait offensée par des propos attaquant sa religion. Or, comme le fait remarquer le pasteur Frère Kevin Hargaden dans un article publié par l’Irish Times, il n’y a blasphème que si les propos en question sont une offense à une divinité, ou à Dieu. « Cet échange entre Dieu et l’homme comme figure centrale [du blasphème] est ironiquement un acte blasphématoire », analyse Frère Hargaden. Mais surtout, cela implique des problèmes d’ordre sociale : à l’origine, le blasphème est aussi un moyen de protéger les plus vulnérables des abus des plus puissants qui seraient tentés d’utiliser le nom de leur.s dieu.x pour justifier leurs politiques. Comme l’indique Frère Hargarden, le théologien allemand Dietrich Boenhoffer a tenu tête aux Nazis en déclarant qu’« il y a blasphème quand nous laissons les affamés sans pain tout en disant que Dieu est proche des plus démunis ». Pour ce pasteur irlandais, ces mots résonnent encore dans l’Irlande contemporaine, où près de 250 000 enfants vivent sous le seuil de pauvreté, dont 4 000 sans abris. Il conclut ainsi : « Les leaders chrétiens avaient raison de dire que la loi était largement obsolète. […] Ce qui reste cependant pertinent, c’est le blasphème des nombreux fidèles qui se contentent de paroles pieuses envers les plus démunis, et pourtant ne font rien contre le manque d’accès aux premières nécessités de la vie ».
Image : St Canice’s Cathedral by Shawn Harquail. Flickr BY-SA-NC 2.0