Depuis quelques semaines, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer le traitement réservé par Israël aux demandeurs d’asile africains. Derniers en date, 800 Juifs américains, rabbins ou chantres, ont écrit une lettre au Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, lui demandant de renoncer à sa politique d’expulsion, comme le rapporte cet article du magazine en ligne israélien Times of Israël.
Selon le Ministère de l’intérieur israélien, environ 38 000 migrants africains sont actuellement en Israël, venus pour la plupart d’Érythrée et du Soudan. Ces derniers sont arrivés surtout entre 2006 et 2012 et se sont pour beaucoup installés au sud de la capitale Tel-Aviv, dans des conditions déplorables. Ils n’ont pour la plupart jamais fait l’objet de procédure afin de déterminer s’ils peuvent ou non bénéficier du statut de réfugié. Depuis quelques mois, le gouvernement a décidé de durcir un peu plus sa politique en rendant légale l’expulsion de ces demandeurs, provoquant l’indignation de beaucoup, en Israël et ailleurs.
Les mesures prises par Tel Aviv afin de luter contre l’« infiltration illégale »
En novembre 2017, la Knesset (parlement israélien), à voté un amendement à la loi dite des « infiltrés » qui visait à l’origine les Palestiniens tentant d’entrer sur le sol israélien. Ce faisant, elle a rendu possible l’expulsion forcée des demandeurs d’asile soudanais et érythréens, ou leur emprisonnement sans jugement préalable dans le cas où ces derniers refuseraient de se soumettre à la procédure d’expulsion. Dans la foulée, la Knesset à également voté la fermeture du camp de migrants de Holot, situé dans le désert du Négev. Les demandeurs expulsés seront envoyés vers des pays tiers avec lesquels l’Etat israélien a passé des accords. Si le gouvernement rechigne à donner le nom des ces Etats, il s’agit très probablement de l’Ouganda et du Rwanda (voir l’article de l’Observatoire Pharos par Manon Schaefle). Ces pays toucheront 5 000 $ pour chaque demandeur qu’ils accueillent et, en plus de cette somme, les demandeurs qui accepteront de quitter Israël se verront attribuer une « allocation de sortie » de 3 500$.
Cette politique a été jugée légale en août 2017 par la Haute Cour de Justice israélienne, à condition que la sécurité et l’intégrité des demandeurs soient garanties dans le pays d’accueil. Afin de la mener, la PIBA, l’Autorité d’immigration et des frontières, à prévu de recruter 100 nouveaux agents qui pourront bénéficier, en plus de leur salaire, d’un bonus de 30 000 sheckels. Selon le ministère de l’Tntérieur, en prenant en compte toutes les dépenses, la politique d’expulsion coûterait, en tout, 300 millions de sheckels aux Israéliens.
Une politique dénoncée comme allant à l’encontre du droit international des réfugiés
Le 9 janvier dernier, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) a dénoncé le plan d’expulsion israélien, exprimant notamment son inquiétude quant au fait que cela devrait inciter les demandeurs d’asile à emprunter la route libyenne jusqu’à l’Europe, dont on sait qu’elle est très dangereuse. Selon l’UNHCR, déjà 80 cas ont été recensés de personnes ayant emprunté cette route après leur expulsion d’Israël.
Au mois de novembre, des chefs de groupes juifs – parmi lesquels le HIAS, le centre d’action religieuse du judaïsme réformé, le conseil national des femmes juives, J-Street et Truah – ont écrit au gouvernement afin de dénoncer la politique d’expulsion, mais aussi les dysfonctionnements des procédures d’asile. Ils soulignent que, alors qu’« en dehors d’Israël, approximativement 56 % des candidats à l’asile soudanais et 84 % des Érythréens ont été acceptés comme réfugiés », moins de 1 % a obtenu le statut en Israël. Et pour cause, la plupart des dossiers n’ont en réalité jamais été traités, ce qui correspond pour certains à une véritable stratégie de gouvernement israélien visant à rendre la vie des demandeurs si pénible qu’ils décident de quitter le pays d’eux-mêmes.
Plus largement, cette politique est dénoncée comme allant à l’encontre à la convention de Genève de 1951 pour le droit des réfugiés. Le gouvernement israélien se défend quant à lui de violer le droit international, arguant que les personnes présentes sur son sol ne sont pas des réfugiés potentiels, mais bien des immigrants illégaux, des « infiltrés ».
Par ailleurs, plusieurs médias (Slate, Newsweek, Quartz...) s’inquiètent des conditions dans lesquelles ces demandeurs d’asile vont être expulsés. Selon eux, le recrutement par la PIBA de 100 nouveaux agents revient à recruter des civils pour faire la « chasse aux migrants ». D’une part, des agents seront en charge de « conduire des interrogatoires approfondis et des enquêtes sur les demandeurs d’asile » et devront être capable de juger de la « véracité » des témoignages. Mais, plus étonnant, 70 « inspecteurs de l’immigration » devront « mener des actions de coercition contre les étrangers illégaux et leurs employeurs », c’est-à-dire « localiser, détenir et surveiller » les demandeurs.
Débats autour d’une politique qui touche à l’essence même de l’Etat d’Israël
Les débats à propos de la situation des demandeurs d’asile sont d’autant plus houleux qu’ils touchent à l’essence même de l’Etat Israélien. Ainsi, dans la requête qu’il a déposé il y a quelques jours auprès de la Cour suprême, l’avocat de défense des droits de l’Homme Avigdor Feldman cite la déclaration d’indépendance d’Israël, qui affirme « le principe de liberté, de justice, de justice et de paix basé sur la tradition juive ». Dans leur lettre adressée au Premier ministre, les 800 religieux juifs américains mettent en garde : « nous, Juifs, savons trop bien ce qui survient quand le monde ferme ses portes à ceux qui sont obligés de fuir leurs foyers », rappelant qu’Israël ne doit pas oublié que c’est un « pays fondé par des réfugiés ». Or, le caractère juif d’Israël est également mis en avant par les autorités pour défendre la position inverse : pour Netanyahu, il s’agit au contraire de le préserver en évitant qu’une majorité de non-juifs prennent le dessus sur le plan démographique. Ainsi, il mettait en garde en 2012 : « Si nous ne réglons pas le problème, 60 000 infiltrés peuvent devenir 600 000, provoquant ainsi la négation d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique ».
Image : African asylum seekers in Israël, Par Rudychaimg — Travail personnel, CC BY-SA 4.0