A l’occasion de la journée internationale des femmes, les Observateurs juniors publient un état des lieux du respect des droits des femmes dans le monde, étudié notamment au prisme des faits religieux.
Le statut des femmes israéliennes s’inscrit dans le double contexte d’une société moderne dotée d’un système politique démocratique, mais aussi fortement marquée par une culture religieuse – parfois très conservatrice – et sécuritaire, voire militariste. C’est dans ce cadre que se sont développés les différents mouvements féministes israéliens qui, s’ils sont parvenus à obtenir des garanties légales majeures dans les années 90, n’ont pas fini de lutter pour leur droits face à des résistances parfois farouches.
Les droits des femmes dans la législation israélienne
Le droit des femmes en Israël relève principalement de deux textes : la Déclaration d’Indépendance de 1948 et une loi de 1951 rappelant le principe d’égalité des sexes. Ces textes n’ont pas de valeur constitutionnelle et ne permettent pas à la Cour Suprême de faire annuler une loi qui contreviendrait aux droits des femmes. Mais, depuis 1992, la Cour peut contourner le problème en ayant recours à la Loi fondamentale sur la dignité humaine et la liberté. Grâce à cette loi et aux mouvements féministes, le pays a connu une « révolution législative féministe » dans les années 90 en faveur de l’accès égalitaire à l’emploi ainsi qu’à l’armée, ou encore pour la lutte contre le harcèlement sexuel. Aujourd’hui, la députée du parti de centre droit Koulanou, Rachel Azaria, estime que « globalement, la condition des femmes progresse » et rappelle qu’« elles représentent pour la première fois plus d’un quart des députés à la Knesset. Karnit Flug dirige la banque centrale, [Rakefet] Russak-Aminoach est à la tête de la banque Leumi. Les rares partis qui ne comptent que des hommes sont dénoncés publiquement ».
Malgré ces avancées encourageantes, le droit israélien en matière d’égalité femmes-hommes se heurte à de nombreux obstacles et, même là où l’on constate des avancées législatives, elles ne sont pas toujours suivies dans la pratique. A titre d’exemple, il existait en 2017 un écart de rémunération de 22 % entre hommes et femmes, ce qui plaçait Israël au 4e rang des pays les plus inégalitaires de l’OCDE sur cette question.
Religion et sécurité rythme les droits des femmes en Israël
L’un des blocages à la progression des droits des femmes est le poids politique des courants juifs ultra-orthodoxes. Ce poids leur a permis d’obtenir de Ben Gourion en 1947 le maintien de la juridiction religieuse sur le droit de la famille : la question des mariages et des divorces est par exemple entièrement dévolue aux autorités religieuses, notamment juives. Aujourd’hui, les partis ultra-orthodoxes, mais aussi nationalistes religieux, sont toujours aussi présents à la Knesset (le parlement israélien), ce qui entrave les évolutions sur ce plan.
Le deuxième type d’obstacle au progrès des droits des femmes provient du caractère militariste du pays : la centralité de l’enjeu sécuritaire ont fait de l’armée une institution clé et des valeurs militaires, voire de la « virilité conquérante », des principes très présents dans la société israélienne. Outre le lien entre cette exaltation de la virilité et les violences conjugales, ce militarisme fait que l’État investit massivement dans la sécurité et la défense, au détriment du domaine social. Or, cette carence touche directement les femmes : détérioration du système de garderie qui entrave la progression de l’emploi féminin ; baisse des allocations familiales, notamment pour les femmes célibataires dont un quart vit sous le seuil de pauvreté alors que 81 % travaille ; et suppression de nombreux emplois publics alors que ce secteur embauchait 70 % des femmes actives dans les années 80.
Enfin, il faut noter une grande disparité entre les femmes israéliennes, puisque les progrès du féminisme ont avant tout bénéficié aux Ashkénazes, tandis que les femmes mizrahim (issues des communautés juives orientales) et palestiniennes israéliennes sont restées relativement à la marge. Le taux d’emploi de ces dernières n’est par exemple que de 31 % et le progrès de leurs droits est entravé par le fait qu’elles n’osent souvent pas porter plainte, de peur d’être taxées de « traîtresses » par une partie de la société israélienne. Il existe également une disparité territoriale à l’échelle du pays – la condition féminine à Tel Aviv et à Jérusalem est sans commune mesure -, et à l’échelle locale, en fonction des quartiers.
Mobilisations en faveur du droit des femmes en 2017
En 2017, plusieurs événements ont mis en évidence l’intérêt de la société israélienne pour ces questions. Par exemple, la « marche des salopes » a réuni plusieurs centaines de femmes et d’hommes dans le centre de Jérusalem pour la défense des droits des femmes. La fête juive de Pourim, qui tombait cette année au lendemain de la Journée internationale des droits des Femmes, a également été l’occasion pour de nombreuses israéliennes de rappeler l’importance de ces droits en se déguisant en super-héroïnes.
Par ailleurs, dans le contexte du conflit israélo-palestinien, l’engagement des femmes pour la paix reste un facteur d’espoir, comme en témoigne le rassemblement de plus de 30 000 femmes israéliennes et palestiniennes à Jérusalem en octobre 2017, après une marche de deux semaines pour demander la reprise du processus de paix.
Les droits des femmes et la religion juive en Israël
Comme nous l’avons vu, l’influence des partis religieux sur la progression des droits des femmes est importante en Israël et le monopole des ultra-orthodoxes sur les tribunaux rabbiniques a des conséquences graves sur le plan du droit privé : par exemple, ces tribunaux considèrent toujours qu’il suffit de l’accord du mari pour prononcer un divorce et que, à l’inverse, il suffit que ce dernier s’y oppose pour qu’il ne puisse avoir lieu. Ainsi, si l’homme refuse le divorce, sa femme ne peut se remarier et si elle a d’autres enfants, ce seront des mamzer, c’est-à-dire des « bâtards » qui auront l’interdiction de se marier au sein de la communauté juive. Par ailleurs, ces tribunaux rabbiniques ne sont composés que d’hommes et toute une partie du système législatif israélien est donc interdit aux femmes.
Ce système législatif entrave donc la progression des droits des femmes en Israël car bien souvent, lorsque des cas sont menés en appel devant la Haute Cour de Justice, cette dernière se déclare incompétente sur ces questions. Il existe également un blocage au niveau parlementaire puisque les partis ultra-orthodoxes y sont déterminants pour former une majorité. En 2017, deux cas ont illustré l’influence des ultra-orthodoxes et le bras de fer engagé avec les féministes et la Cour Suprême. Le premier concerne le droit, contesté par le Grand Rabbin de Jérusalem, pour les femmes de prier en même temps que les hommes au pied du Mur des Lamentations. En avril dernier, la Cour Suprême s’était prononcée en faveur de l’association féministe « les Femmes du Mur », mais face à la pression de la droite religieuse qui menaçait de quitter la coalition gouvernementale, le premier ministre avait fini par geler cette décision. En janvier 2018, le gouvernement à finalement proposé un compromis sur un espace de prière égalitaire, mais les « Femmes du Mur », qui se plaignent du harcèlement et de la discrimination des instance orthodoxes qui régissent l’accès au Kotel, ont rejeté cette proposition jugée humiliante. Un deuxième cas s’est au contraire soldé par un succès pour les femmes qui avaient porté plainte depuis 2014 contre des cas d’agressions dans un quartier ultra-orthodoxe de la commune de Beit Shemesh. En juin 2017, la Cour a finalement sommé le maire de faire appliquer la loi civile dans ce quartier où l’aile radicale ultra-orthodoxe avait fini par imposé ses propres règles, notamment concernant la tenue vestimentaire des femmes.
Face à cette situation, il faut noter, en plus du féminisme laïque, l’essor d’un féminisme orthodoxe réformiste, qui entend « casser le monopole du Grand Rabbinat » sur le droit privé, mais aussi sur la pratique religieuse en revendiquant par exemple le droit pour les femmes d’étudier le Talmud et de chanter des prières. Il existe également un courant féministe Haredim (ultra-orthodoxes) qui ne revendique rien sur le plan religieux mais seulement sur les questions profanes. Toutefois, ce dernier reste très marginal et se heurte à des résistances parfois violentes.
Image : מיכל פטל, Lesley Sachs and Rachel Cohen Yeshurun, of Women of the Wall, being detained by police officer for wearing Tallit in the Kotel. Rosh Chodesh Kislev 5773, Creative Commons Attribution 3.0 Unported license, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Lesley_and_Rachel_Detained.jpg