Le 19 juillet dernier, le parlement israélien a voté une loi fondamentale portant sur la nature juive de l’État-nation israélien. Cette loi, votée suite à de nombreux débats à 62 voix contre 55 et 2 abstentions, a immédiatement donné lieu à une controverse qui ne semble pas s’essouffler. Cet article paru dans le journal israélien Haaretz rappelle la nature de cette loi et des débats qui l’accompagnent.
Une loi à valeur constitutionnelle
La loi votée le 19 juillet est une loi fondamentale, ce qui signifie qu’elle a un caractère constitutionnel (Israël ne dispose pas d’une Constitution à proprement parler mais la Déclaration d’indépendance de 1948 ainsi que les lois fondamentales font office de textes constitutionnels). Et pour cause, le texte concerne quelques-uns des aspects fondamentaux de la vie des citoyens Israéliens puisqu’il affirme qu’« Israël est l’État-nation du peuple juif dans lequel il réalise son droit naturel, culturel, historique et religieux à l’autodétermination ». Ce nationalisme s’affirme à travers ses symboles, réaffirmés dans le texte : le drapeau arborant l’étoile de David, l’hymne national ‘La Hatikva’ – qui fait directement référence à l’« âme juive » -, le calendrier national juif ainsi que les fêtes issues de ce calendrier.
Au-delà des symboles, la loi évoque la question des langues et désigne l’hébreu comme langue officielle tandis que l’arabe, jusqu’alors placé sur un pied d’égalité avec l’hébreu au regard du droit, est désormais placée au rang de « langue spéciale ».
Enfin, la loi affirme que Jérusalem, « entière et unie », est la capitale de l’État, excluant de fait toute possibilité de partage de la ville avec les Palestiniens. Par ailleurs, elle promeut le développement des colonies juives et affirme que l’État doit encourager leur expansion puisqu’il s’agit d’une « valeur nationale ».
Pour le premier ministre Benjamin Netanyahu, le vote de cette loi est une avancée majeure pour Israël car elle permet enfin de « déterminer les droits nationaux du peuple juif sur sa terre dans le cadre d’une loi fondamentale ». Dans les faits, cette loi n’aura pas de conséquences directes immédiates sur les Israéliens car la plupart des articles sont déclaratifs. Ses premiers effets pourraient se faire ressentir dans les décisions de la Haute Cour de Justice, laquelle à plutôt tendance, selon Yaïr Sheleg, analyste auprès de l’Institut pour la démocratie en Israël, à interpréter la loi de façon libérale.
Une loi controversée qui mettrait en danger la démocratie israélienne
Pourtant, de nombreuses voix se sont élevées en Israël pour exprimer des inquiétudes quant à la compatibilité de cette loi avec un modèle démocratique. En effet, comme le souligne Yaïr Sheleg, le texte « ne parle que de la préservation de la judéité. Il n’est dit nulle part qu’Israël est un État démocratique ». Cela ne fait que relancer un débat presque aussi ancien que le pays lui-même, sur la compatibilité entre le caractère juif de l’État et son caractère démocratique du point de vue de l’égalité entre citoyens juifs et non-juifs.
Ces citoyens non-juifs se sont d’ailleurs largement exprimés en opposition à ce texte. Les arabes israéliens, qui représentent 17,5 % des citoyens du pays se montrent particulièrement inquiets. En signe de protestation, des députés arabes ont déchiré le texte dans la Knesset avant d’en être expulsés. Le président de la Liste unifiée (partis arabes israéliens), Ayman Odeh, a estimé dans un communiqué qu’« il s’agi[ssait] d’une loi ancrant la suprématie juive, qui nous fait comprendre que nous serons toujours des citoyens de deuxième classe ».
La communauté druze alerte sur les répercussions
Mais les critiques qui ont le plus chamboulé les soutiens de cette loi sont celles qui émanent de la communauté druze. Le député druze Akam Hasson, membre du parti Koulanou, ainsi que d’autres hauts responsables issus de cette minorité, ont signé une pétition déclarant que la loi portait « un coup terrible à la communauté druze, à la démocratie et au sionisme. La loi sur l’État-nation juif porte atteinte de façon irraisonnable et disproportionnée à toutes les minorités, en les rendant exilées dans leur propre pays. »
Les critiques émanant de cette communauté qui compte 130 000 membres en Israël ont d’autant plus d’impact que ces derniers combattent aux côtés des Juifs dans l’armée israélienne (contrairement aux arabes qui n’ont pas accès au service militaire national) et ont payé un lourd tribut en pertes humaines dans la défense de la nation. Suite à ces protestations, le ministre des Finances Moshe Kahlon (Koulanou) et celui de l’Éducation et chef du parti de droite HaBayit HaYehudi Naftali Bennett ont demandé à ce que la loi soit modifiée. Le dernier a déclaré que le gouvernement devait trouver un moyen de guérir les blessures qu’il avait infligées à « nos frères qui se tiennent à nos côtés sur le champ de bataille et ont fait un pacte avec nous ».
Face à ces critiques, M. Netanyahu a assuré qu’« il n’y a rien dans la loi qui contrevienne à vos droits comme citoyens égaux au sein de l’État d’Israël, et il n’y a rien qui porte atteinte au statut spécial de la communauté druze en Israël » et a rappelé que l’égalité des citoyens israéliens était garantie dans la loi fondamentale de 1992 portant sur la dignité humaine et la liberté.
Identité israélienne et manoeuvre politicienne
Cette loi porte sur la question majeure de l’identité israélienne, mais derrière son vote se cachent également pour certains des manœuvres purement politiciennes. Pour Yohanan Plesner, ancien député de Kadima à la tête de l’Institut israélien pour la démocratie, « la loi actuelle était motivée politiquement, en tant que précurseur d’une campagne électorale où Netanyahu et le Likud pourraient créer un clivage entre patriotes et non-patriotes ».
Il est vrai que la loi reflète une droitisation de la Knesset, notamment l’importance croissante des partis religieux juifs orthodoxes, indispensables dans la coalition dont M. Netanyahu a besoin pour gouverner. Ainsi, pour Shuki Friedmann, directeur du centre Religion, nation et État à l’Institut pour la démocratie en Israël, le fait que la loi affirme qu’Israël s’investira dans ses relations avec le monde juif à l’étranger, mais n’évoque pas la manière dont l’État devrait préserver l’héritage des juifs en Israël, « est le résultat des pressions des ultra-orthodoxes, qui veulent couper l’herbe sous le pied des communautés juives réformées ».
Image : La salle des séances de la Knesset, Par צילום: איציק אדרי, CC BY 2.5