Du 14 au 18 mai 2019, l’Eurovision se tiendra à Tel-Aviv, en Israël. Cette compétition musicale réunit 41 pays, membres de l’Union internationale des télécommunications. Cet événement culturel majeur a lieu tous les ans, dans le pays du gagnant de l’année précédente. Ainsi, en remportant l’édition 2018 avec son morceau Toy, Netta Barzilai a permis à Israël de l’organiser cette année. Si la ville de Jérusalem avait été évoquée en premier lieu pour l’organisation de l’Eurovision, c’est finalement à Tel-Aviv qu’auront lieu les festivités. A quelques jours de l’ouverture de la compétition, des tensions avec la bande de Gaza ont fait resurgir certaines problématiques. « In limbo, on the brink of war and eyeing the eurovision – analysis » du Jerusalem Post révèle certains enjeux que revêt l’édition 2019.
L’Eurovision en Israël, un événement à boycotter pour le BDS
L’Eurovision est dans les esprits bien plus qu’une simple compétition culturelle. Pour beaucoup, il s’agit aussi d’un espace qui reste influencé par la politique. Elle se tient cette année en Israël, pays dont certains contestent l’existence-même, et au sujet duquel le débat s’enflamme vite. On pouvait donc présager que les polémiques seraient présentes cette année.
Ainsi, Roger Waters, ancien membre du groupe Pink Floyd, a demandé à Madonna de ne pas se rendre à l’Eurovision, où elle devait ouvrir la cérémonie. Le Times of Israël cite ainsi une lettre ouverte qu’il a envoyée au Guardian [1]. « Je suis régulièrement accusé d’être antisémite (…) On peut utiliser cette accusation comme un écran de fumée pour détourner l’attention et discréditer ceux qui mettent en lumière les crimes contre l’humanité commis par Israël ». Roger Waters est membre du mouvement BDS (Boycott, Desinvestment, and Sanctions) qui prône le boycott économique, culturel et académique d’Israël au nom de la défense des Palestiniens. Selon lui, le boycott devrait également s’appliquer à l’Eurovision. Il a d’ailleurs soutenu en septembre dernier le boycott total de l’événement. Le BDS s’est globalement opposé à la tenue de l’Eurovision en Israël.
Israël comme pays organisateur : une légitimité contestée
D’autres personnalités tiennent le même discours critique vis-à-vis de l’Etat hébreu. Ainsi, deux membres du groupe représentant l’Islande lors de l’Eurovision (Klemens Hannigan and Matthías Haraldsson) l’ont qualifié dans une interview d’ « Etat d’apartheid ». Ils disent avoir eu cette impression suite à une visite, début mai, à Hébron, ville du territoire palestinien. « La réalité politique est réellement conflictuelle, et absurde, et l’apartheid était clairement visible à Hébron » disent-ils.
S’ils n’ont pas boycotté l’Eurovision, ils montrent bien que l’événement n’aurait pas dû, selon eux, avoir lieu en Israël. Selon Haraldsson, « [nous sommes] très partagés à l’idée d’être ici. Mais je pense qu’en tant que participants nous avons le pouvoir de dénoncer l’absurdité d’avoir une compétition comme celle-ci, qui est une chose merveilleuse – et qui a été fondée dans un esprit d’unité et de paix – et que cette compétition ait lieu dans un pays marqué par le conflit et la désunion » [2]. Ils entendent donc donner leur opinion, mais en se pliant aux règles de la compétition, qui interdit notamment tout discours politique lors des performances.
Il y a donc un réel débat à propos de l’Eurovision 2019, certains voyant Israël comme illégitime pour l’organiser.
Une compétition au cœur des enjeux politiques du pays
L’Eurovision apparaît comme un enjeu de taille en Israël, en dehors du boycott ou des revendications que certains prônent. Ainsi, la remontée des tensions entre Israël et le Hamas peut s’expliquer par la tenue de cet événement international. Le Jerusalem Post rapporte, dans un autre article, les propos d’un journaliste du Hamas : « Si l’occupation ne prend pas ses responsabilités, je crois que la résistance (comprendre le Hamas) peut priver l’occupation du plaisir de bon nombre d’opportunités, comme l’Eurovision. Il y a encore une marge de manœuvre dans les jours à venir. » [3]
Il est donc essentiel pour l’Etat de gérer cette menace, comme le rappelle ce même journal. « Si le Hamas peut gâcher le jeu, cela endommagerait le cachet culturel d’Israël au niveau national, ainsi que le nombre croissant de touristes des dernières années. Cela serait une victoire du terrorisme au sens strict, puisque le terrorisme n’a pas seulement pour but de tuer, mais de répandre la peur et de perturber le mode de vie de sa cible. »
Une organisation qui ne fait pas l’unanimité au sein-même de l’Etat hébreu
L’auteur s’interroge toutefois sur les priorités du gouvernement. Il pose notamment la question suivante : est-ce que le « cachet culturel » doit l’emporter sur les vies humaines des citoyens israéliens ? C’est là le dilemme auquel se trouve confronté le gouvernement ; la « vitrine » de l’Eurovision est importante d’un côté, mais de l’autre se trouve la sécurité des citoyens israéliens.
Cela est d’autant plus vrai que, même chez certains israéliens, des aspects de l’organisation de l’Eurovision font grincer les dents. Celle-ci a nécessité la délivrance de permis de travail le samedi ; autrement dit le jour de Shabbat, où les juifs ne sont pas sensés travailler. Le parti Yahadout HaTorah, ultra-orthodoxe, a vivement réagi. Il s’est aussi retiré des discussions concernant une possible coalition avec le parti de Benjamin Netanyahou. La profanation de Shabbat peut avoir en Israël de graves conséquences. « En 1976, une cérémonie de livraison d’un nouvel F-15 qui se déroulait un vendredi après-midi avait pris du retard et les participants avaient dû rentrer chez eux après le coucher du soleil et donc enfreindre le Shabbat. Le Premier ministre Yitzhak Rabin avait alors remis sa démission et le pays s’était rendu aux urnes » [4].
L’édition 2019 de l’Eurovision sera donc particulière tant s’y sont greffés de multiples enjeux.
Image : Steve Eason, Love Eurovision – Hate Apartheid. BDS protest at the BBC, London 8th February 2019. CC BY-NC-SA 2.0
[1] Times of Israel, « Roger Waters appelle Madonna à ne pas se produire à l’Eurovision à Tel-Aviv« , 17 avril 2019.
[2] Jerusalem Post, « Iceland’s Eurovision act : Israel is apartheid« , 6 mai 2019.
[3] Jerusalem Post, « Hamas journalist threatens : terrorist group could destroy Eurovision« , 7 mai 2019.
[4] Times of Israel, « Shabbat et Eurovision : Yahadout HaTorah gèle les négociations de coalition« , 7 mai 2019.