Alors qu’Audrey Azoulay vient d’être élue nouvelle présidente générale de l’Unesco, les médias israéliens n’ont de cesse de rappeler que cette française est juive et qu’elle a été choisie au détriment d’un Qatari, accusé d’antisémitisme par certaines organisations juives (notamment le Centre Simon-Wiesenthal). Et pour cause, cette élection intervient un jour seulement après que les Etats-Unis aient décidé de quitter l’organisation. Suivi quelques heures plus tard par Israël, Washington entendait dénoncer notamment les « partis pris anti-Israéliens persistants » de l’Unesco. Danny Danon, ambassadeur d’Israël auprès de l’ONU, a quant à lui prévenu : « Nous entrons dans une nouvelle ère aux Nations unies, celle où, quand on pratique la discrimination contre Israël, il faut en payer le prix ».
Cet article du journal israélien Haaretz, journal israélien dont la ligne éditoriale se situe plutôt à gauche, a le mérite de mettre en perspective cette crise. Ces polémiques ne datent en réalité pas d’hier et les débats sur la question d’Israël et des Territoires palestiniens sont une véritable épine dans le pied de l’organisation en charge de l’éducation, de la science et de la culture.
Les origines de la rupture
Ce n’est pas la première fois qu’Israël et son allié américain marquent leur défiance vis-à-vis de l’Unesco. Déjà en 2011, les Etats Unis avaient décidé de cesser de financer l’organisation afin de contester l’attribution d’un siège permanent à la Palestine. La contribution américaine représentait alors 22 % du budget total. Depuis, l’Unesco ne cesse de se heurter au conflit israélo-palestinien : annulation d’une exposition à Paris sur l’Histoire de la présence juive en Israël (janvier 2014), controverses autour du site du Baptême de Jésus (selon la tradition) côté jordanien du Jourdain (juillet 2015), ou encore sur les liens entre le judaïsme et le Mont du Temple (octobre 2016). Plus proche de nous, en mai 2017, le vote par le comité exécutif de l’Unesco d’une résolution dénonçant les pratiques israéliennes à Gaza et à Jérusalem-est a ravivé les tensions. Enfin, en juillet dernier, le classement par l’Unesco de la vieille ville de Hébron (Cisjordanie) en « zone protégée » a été perçue par les Israéliens et les Américains comme un nouvel affront. Les derniers avaient alors prévenu qu’ils réexamineraient leurs lien avec l’institution. C’est donc chose faite…
L’Unesco dans la stratégie de reconnaissance des Palestiniens : entre culture et politique
L’Unesco a beau être l’organe des Nations Unies consacré aux questions culturelles, la dimension politique et diplomatique est loin d’y être étrangère. Au contraire, c’est peut-être cette ambiguïté qui en a fait le lieu privilégié d’expression de la stratégie palestinienne consistant à se faire reconnaître en tant qu’Etat à part entière par la « communauté internationale ». Ainsi, devant l’échec des négociations pour obtenir le statut d’Etat observateur à l’ONU, la Palestine s’est tournée vers l’Unesco et a vu sa démarche couronnée de succès en octobre 2011. Ce n’est que plus d’un an plus tard que la Palestine est passé du statut d’« entité » à celui de d’ « Etat non-membre observateur » aux Nations Unies. Depuis, l’Unesco semble prisonnière du conflit israélo-palestinien.
Il faut dire que lorsqu’on aborde la question du conflit israélo-palestinien, peu de choses échappent à la politique : la culture ne fait pas figure d’exception. A ce titre, l’exemple de Hébron est caractéristique. Cette ville, construite autour de la mosquée d’Abraham ou Tombeau des Patriarches, est un symbole de l’occupation israélienne des territoires palestiniens : après 1967, les colons israéliens s’y sont installés, provoquant la fermeture d’environ 600 commerces palestiniens. La ville est alors passé de 35 000 habitants palestiniens en 1967 à 7 000 au début des années 2000. Située sur une route commerciale, elle était une ville de passage et d’échanges culturels. Avec l’arrivée des colons, elle est devenue un véritable cul-de-sac et, ce faisant, l’une des villes les plus conservatrices du Moyen-Orient. Aujourd’hui, l’occupation israélienne a des conséquences considérables du point de vue culturel à Hébron : fermeture des cinémas et musées, des stades de foot, appauvrissement de la population… sans oublier la dégradation des bâtiments de la vieille ville. Le choix par l’Unesco de faire de sa vieille ville un « zone protégée » et de mettre en avant son caractère « islamique » n’est donc pas anodin sur le plan politique…
L’avenir de l’Unesco en question
Dans ces conditions, il n’est donc pas difficile de comprendre l’ampleur de la crise que traverse l’Unesco. Reste à savoir si l’organisation parviendra à se dégager du bourbier politique dans lequel elle est engagée. L’enthousiasme de beaucoup de médias israéliens suite à l’élection de Mme Azoulay, dont une partie de la famille vit en Israël, pourrait laisser espérer un apaisement des tensions. Cette dernière a d’ailleurs donné la priorité à « restaurer [la] crédibilité [de l’Unesco] et la confiance des Etats membres ». Il en va en effet du bon fonctionnement de l’organisation, puisque les Etats-Unis sont toujours l’un de ses principaux pourvoyeurs de fonds. Yisrael Katz, ministre des renseignements israéliens, a concédé qu’Israël pourrait « certainement » reconsidérer sa décision si l’Unesco « changeait de politique ». Il a toutefois exprimé des doutes à ce propos, ne s’attendant pas à ce que « l’Unesco devienne soudainement une organisation sioniste ».
Image : Par Mouagip via Wikimedia Commons, Drapeau de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), domaine public.