Le 18 septembre dernier, Israël a entamé un second confinement national d’une durée initiale de trois semaines. Face à la crise sanitaire, les Israéliens ont dû se plier aux restrictions de circulation. En effet, 9 000 contaminations par jour étaient comptabilisées, ratio important au vu de la population (9 millions d’habitants). Cinq semaines plus tard, ce confinement semble avoir porté ses fruits : 2 500 décès mais moins de 700 nouveaux cas par jour étaient annoncés.
Néanmoins, le 27 décembre 2020, le gouvernement israélien a mis en place un troisième confinement. Or, outre des difficultés économiques, cette nouvelle période de confinement a cristallisé de nombreuses tensions politiques et religieuses.
Des arbitrages économiques et politiques
Certains observateurs estiment que le gouvernement aurait privilégié la relance économique et son assise électorale.
D’une part, certains ont dénoncé un déconfinement estival prématuré avec la réouverture massive des restaurants et des écoles.
D’autre part, a contrario des solutions locales, un confinement national a été établi. Il s’agissait de réduire la contamination des quartiers où réside la communauté ultra-orthodoxe. Celle-ci est la base électorale de la coalition politique du Premier Ministre : « bloc orthodoxe-droite nationaliste ». En effet, dans ces quartiers fortement enclavés et isolés, les habitants ne se soumettent pas toujours aux règles édictées par les autorités israéliennes.
Pour autant, le taux de contaminations chez les religieux a beaucoup baissé depuis le confinement de la mi-septembre. La pratique religieuse, quant à elle, a été durement impactée.
Des impacts conséquents sur les pratiques religieuses
Dans ce contexte de crise sanitaire, le débat sur le droit des citoyens à se rassembler pour prier en pleine pandémie se poursuit depuis mars. En effet, les autorités avaient fermé toutes les églises, mosquées et synagogues du pays pour empêcher la propagation du virus.
Le vendredi 18 septembre, la fête de Roch Hachana, « la tête de l’année », a débuté. Il s’agit du 1er Tichri (premier mois du calendrier hébraïque) de l’an 5781 après la création du monde (an 0). Conformément à la tradition juive, les jours commencent la veille au soir. Cette fête a ainsi duré deux jours jusqu’au dimanche 20 septembre au coucher du soleil.
Aussi, certains commerçants ultra-orthodoxes ont ouvert leurs boutiques. Des prières clandestines ont également eu lieu dans les synagogues. Les écoles religieuses ont rouvertes, dépourvues d’autorisations. Pour certains, la maladie et la mort s’inscrivent dans la volonté de Dieu qui prime sur l’État laïc. Les Haredim, en effet, refusent toute intégration aux sociétés laïques (même juives en Israël).
Ces évènements ont surtout désigné les manifestations religieuses comme terrain propice à la prolifération du virus. Cependant, pour de nombreux juifs israéliens, notamment ultra-orthodoxes, ces restrictions ont été perçues comme sévères en cette période considérée comme la plus sainte de l’année.
La crise d’identité religieuse juive en toile de fond
Pour autant, la généralisation de cette idée d’absence de respect des règles par les ultra-orthodoxes est dangereuse car elle s’insère dans une crise identitaire et religieuse plus profonde.
En effet, une étude du Pew Research Center, publiée le 8 mars 2016 , met en exergue « les fractures profondes » existant entre Juifs et Arabes mais également entre Juifs eux-mêmes sur les valeurs politiques et religieuses.
Ainsi, les Juifs laïcs seraient « plus mal à l’aise » avec l’idée que leur enfant pourrait un jour se marier à un Juif (ou une Juive) ultra-orthodoxe qu’avec la perspective qu’il épouse un·e chrétien·ne. Des considérations de grandes disparités de milieux sociaux sont en jeu. Certains observateurs parlent même d’un «antisémitisme interne » .
La crise de l’identité juive est profonde. La loi israélienne du retour accorde la citoyenneté à ceux qui sont considérés comme Juifs, soit par naissance, soit par conversion, et à ceux qui ont au moins un grand-parent juif.
Outre les personnes considérées comme juives par la loi religieuse, nombreux enfants de père juif ou de personnes n’ayant qu’un seul grand-parent juif ont également déménagé en Israël. Ainsi, nombreux Russes qui ne se sont jamais identifiés comme Juifs ont immigré en Israël afin d’échapper à l’Union soviétique. Peu évoqués par les médias, près de 400 000 citoyens israéliens s’identifient comme juifs, mais sont considérés comme « sans religion » par le Ministère de l’Intérieur parce qu’ils ne peuvent pas prouver leurs racines juives maternelles et ne peuvent donc pas être considérés comme juifs selon la loi juive.
Ce phénomène met en péril la solidarité nationale, cruciale pour l’État israélien. « Deux nations » – l’une issue de mères considérées comme juives par la loi religieuse, et l’autre de mères israéliennes « sans religion » – risquent de voir le jour.
La permanence du cloisonnement des communautés religieuses
Enfin, les principaux groupes religieux d’Israël apparaissent toujours isolés socialement les uns par rapport aux autres. La quasi-totalité des juifs (98%) et la grande majorité des musulmans (85%), chrétiens (86%) et druzes (83%) reconnaissent que tous ou la plupart de leurs amis proches appartiennent à leur propre communauté religieuse.
L’opinion publique juive sur la question de l’accueil de la minorité arabe du pays est révélatrice de ces divisions. « Près de la moitié des juifs israéliens est favorable à ce que les Arabes soient expulsés ou transférés d’Israël. Un adulte Juif sur cinq y est même fortement favorable », souligne la même étude.
À la suite de ces constats, le Président israélien, Reuven Rivlin, a déclaré : « l’idée que l’État d’Israël n’est démocratique que pour ses citoyens juifs est inconcevable et nous devons trouver un moyen de répondre à cela. »
Image : « La prévention Israël Coronavirus » par Ri_Ya, Pixabay, CC.