En janvier dernier, une polémique a éclaté en Israël concernant une exposition du musée d’art de Haïfa. « Sacred goods » (littéralement « bien sacrés ») présentait une série d’œuvres de Jani Leinonen, artiste finlandais, s’étant donné comme but de dénoncer une société devenue consumériste, au point que la consommation soit devenue une quasi-religion. Ainsi, l’une des œuvres exposées représente le clown mascotte de la chaîne de restauration rapide McDonald’s. Crucifié sur une croix, il adopte une posture identique à celle du Christ dans de multiples représentations chrétiennes.
Ce « McJesus » est devenu le symbole de cette polémique. Une autre œuvre a été mise en cause. Il s’agit d’une sculpture prêtant les traits des poupées Barbie et Ken aux figures de Jésus et de la vierge Marie. Si, dans les premières réactions, l’aspect blasphémateur, ou du moins irrespectueux, de ces pièces artistiques était pointé du doigt, cette polémique s’est très vite trouvée liée au contexte du pays. Elle a pris de l’ampleur lorsque des considérations plus générales sur la société et la politique israéliennes s’y sont greffées. Il est alors intéressant de revenir sur cette affaire, relayée par de nombreux journaux locaux et internationaux, à l’approche des élections israéliennes.
Une interrogation sur la place des minorités en Israël
Les chrétiens d’Israël ont réagi très vivement à cette exposition, jugée irrespectueuse envers leurs croyances. Dans leurs revendications, leur statut de minorité dans le pays explique cet irrespect. Ils protestent contre la majorité qui ne tient pas assez compte de leur foi. Wadie Abu Nassar, l’un des représentants des chrétiens en Terre Sainte, a par exemple soutenu que « en Israël, de telles expositions contre les musulmans et les juifs seraient taboues, mais contre les chrétiens, elles sont autorisées ».
On estime que les chrétiens représentent environ 2 % de la population israélienne. Ils appartiennent à la minorité arabe (où l’on compte aussi des musulmans, des bédouins, des druzes, etc.), qui représente un cinquième de la population totale. Les « Arabes israéliens » souffrent de véritables questions identitaires au sein d’Israël. L’Etat Juif, qui se veut aussi démocratique, se réclame d’une religion en particulier. Il devient alors difficile pour les membres de cet Etat, ne partageant pas cette religion, de s’y sentir intégrés. De plus, la loi fondamentale votée en juillet 2018, donne un « statut spécial » à la langue arabe (qui était jusqu’alors à égalité avec l’hébreu) et définit Israël comme « le foyer du peuple juif ».
Lors de l’affaire du McJesus, la ministre de la culture, Miri Regev, a écrit au musée de Haïfa pour demander le retrait de l’exposition. « L’irrespect de symboles religieux sacrés pour de nombreux croyants du monde en guise de protestation artistique n’est pas légitime et ne peut pas faire office d’œuvre d’art dans une institution culturelle subventionnée par l’Etat ». A travers cette affaire, on voit donc bien que les relations entre l’Etat, religieux mais démocratique, et les minorités religieuses sont complexes.
Culture et accusations de « whitewashing »
Une autre des questions saillantes en Israël est la question des Palestiniens. Si l’affaire du McJesus semble a priori ne pas concerner les Palestiniens des territoires contestés ou de la bande de Gaza, le respect des minorités arabes par l’Etat est lié à la façon dont les arabes de Palestine sont traités. Ainsi, une majeure partie de la Palestine, ou Cisjordanie, est sous contrôle administratif ou militaire israélien ; il y a donc une continuité entre les deux territoires.
Une seconde question se pose, notamment sous la plume des médias arabes : celle du « whitewashing ». Un article de Al Jazeera titrait ainsi, à propos de l’affaire du McJesus : « McJesus in Palestine : Using bad art to whitewash Israel’s crimes » (littéralement : « McJesus en Palestine : utiliser de l’art mauvais pour (tenter de) dissimuler les crimes d’Israël »). Tout en critiquant de façon virulente l’exposition, qui n’aurait pas assez tenu compte du contexte israélien, l’auteur dénonce les propos de Miri Regev et sa tolérance affichée comme une vaste hypocrisie. « La condamnation de l’exposition par Regev est une tentative pour dissimuler la Nakba en cours, et pour présenter Israël comme un Etat qui respecte les identités religieuses diverses de tous ses résidents et citoyens, chrétiens compris. Bien sûr, cela n’aurait pas pu être plus éloigné de la vérité ». Nakba est l’arabe pour « catastrophe », employé ici pour désigner l’exil de la population palestinienne hors d’Israël.
La polémique liée à l’exposition d’art s’est trouvée amplifiée par des considérations bien plus vastes. Elle soulève la question éternelle du conflit entre Israël et la population palestinienne. Si l’on peut nuancer les propos de l’article d’Al Jazeera, qui adopte une posture pro-arabe, il n’en demeure pas moins que des questionnements identitaires profonds subsistent pour les populations arabes d’Israël comme de Palestine. L’artiste ayant créé les œuvres mises en cause a d’ailleurs lui-même demandé au musée israélien le retrait de l’exposition. Il invoque des raisons similaires puisqu’il soutient le BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), qui prône le boycott de l’Etat hébreu en signe de soutien aux Palestiniens.
Protection des chrétiens en Israël : véritable vivre ensemble ou manœuvres politiques ?
Si l’on se concentre sur cette minorité dans la minorité, les chrétiens d’Israël, on se rend compte que, là encore, des interrogations persistent. Dans tout le Moyen-Orient, les chrétiens sont une minorité, parfois très mal acceptée par les régimes en place. On peut se référer pour cela à des travaux d’organismes comme l’Aide à l’Eglise en Détresse ou SOS Chrétiens d’Orient. Israël se targue alors d’être l’un des rares pays du Moyen-Orient à protéger correctement les chrétiens vivant sur son territoire. En décembre, des vidéos fleurissent sur les réseaux sociaux pour montrer des distributions de sapins gratuits aux familles chrétiennes de Jérusalem. Le Premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahou, avait d’ailleurs apporté son soutien aux chrétiens vivant en Iran.
Les chrétiens vivent relativement en paix en Israël, malgré les limites des problématiques liées aux minorités arabes. Ce choix de respect envers les chrétiens peut avoir plusieurs significations. C’est un moyen de conserver les faveurs des pays alliés (comme les Etats-Unis) dans lesquels la population chrétienne a une place importante. Il s’agit peut-être également d’une volonté de se distinguer des pays arabes, ou de l’Iran, et défendre sa légitimité. Cependant, il faut garder en mémoire que le pays ferme ses frontières à certains chrétiens palestiniens lors des fêtes, jugeant qu’ils représentent un danger. L’Etat hébreu donne l’argument de la protection des frontières mais il se heurte à la volonté des chrétiens de se rendre sur leurs lieux sacrés lors des célébrations. Jérusalem est principalement touché puisque c’est là où se trouve le Saint-Sépulcre, lieu le plus saint du christianisme.
Il semble alors que la polémique autour du McJesus ait cristallisé un grand nombre de tensions déjà existantes. Plus qu’une exposition, c’est la capacité du pays à assurer le vivre-ensemble et le respect qui a été mise en question. Ce questionnement provient tant des réactions nationales que des avis donnés depuis l’étranger. Le musée a fini par décrocher les œuvres jugées blasphématoires. Pour ce qui est des interrogations concernant les minorités, elles ne sont pas nées avec cette affaire, qui n’a fait que les mettre en lumière. Elles ne cesseront donc pas avec le retrait des œuvres de Jani Leinonen.
Image : Affiches chrétiennes dans Jérusalem, le 25/06/2018, par Camille Gallet. Photographie originale, CC BY-SA 2.0.