Mardi 15 avril 2019, treize hôpitaux d’Israël font auprès de la radio israélienne une annonce quasi inédite : ils n’interdiront pas les aliments hametz durant Pessah. Cette fête juive, commencée cette année le 19 avril et dure jusqu’au 27 avril, revêt une signification particulière en Israël. Le débat concernant les hôpitaux semble toutefois révélateur des problématiques se posant en Israël lors des fêtes religieuses. L’an dernier, cinq hôpitaux n’avaient pas interdit ces aliments hametz. Le journal The Times of Israël est revenu sur les débats concernant l’alimentation dans les hôpitaux lors de Pessah. Au-delà d’un simple fait divers, cette opposition rappelle les questions à propos de la laïcité dans l’Etat hébreu.
L’importance de Pessah en Israël
Pessah commémore le départ du peuple hébreu d’Egypte, où le Pharaon le soumettait à l’esclavage. Après que les dix plaies (châtiments) ont frappé l’Egypte, ce peuple a dû fuir rapidement vers la terre promise. Il n’a donc pas eu le temps de faire cuire le pain. C’est après ce départ que le peuple juif se constitue, avec la révélation de la Torah (ensemble de cinq livres sacrés du judaïsme) et des Dix Commandements dans le Sinaï. Cet épisode est présent dans la Torah, livre de l’Exode. Il s’agit donc d’une fête particulièrement importante tant du point de vue individuel que collectif.
Des célébrations et des pratiques particulières marquent la semaine de la commémoration de ce départ d’Egypte. L’interdiction des aliments hametz lors de Pessah se trouve au coeur des débats. Est hametz tout aliment contenant du blé, du seigle, de l’orge, de l’épeautre ou de l’avoine, ainsi que la levure. Ainsi, on remplace le pain par des galettes de pain azyme, on fait les gâteaux sans farine, etc. Selon les textes sacrés juifs, la consommation et la possession de tels aliments sont interdites durant Pessah. Cette interdiction particulière rappelle donc la hâte des Juifs au moment de quitter l’Egypte.
En Israël, le respect des règles alimentaires de Pessah est pris très au sérieux. Ainsi, le ministère de la santé israélien publie une liste des médicaments qui respectent ces interdictions, ainsi que des conseils spéciaux de nutrition pour cette période. Hormis dans certaines échoppes tenues par des Arabes israéliens, on ne trouve ni pain, ni bière, ni aucun aliment hametz. Il en va de même pour les restaurants casher. Les hôpitaux, dans l’Etat juif, doivent en théorie interdire tout aliment n’étant pas casher pour Pessah entre leurs murs, y compris lorsqu’il s’agit de nourriture apportée par des patients ou des visiteurs. Cette interdiction a fait l’objet d’une politique publique.
Les inquiétudes concernant ces coutumes rendues obligatoires
Or, l’application de cette interdiction dans les hôpitaux fait, justement, débat. Les patients (et travailleurs) pouvant être non juifs, certains voient d’un mauvais œil cette application d’un interdit propre au judaïsme. Des hôpitaux ont même signalé qu’ils n’interdiraient pas ces aliments. Ils s’opposent ainsi à la fois au ministère de la santé israélien et au rabbinat. De simples panneaux demandant d’éviter d’introduire ces aliments seront installés, mais rien ne sera fait pour les interdire activement.
L’an dernier, cinq hôpitaux du pays avaient procédé ainsi ; ils sont treize cette année. En 2018, l’affaire a fait beaucoup de bruit : l’ONG Forum Laïc a déposé devant la Cour suprême israélienne un recours pour faire annuler la directive gouvernementale concernant l’interdiction d’aliments hametz dans les hôpitaux pour Pessah. Celle-ci constituait selon eux une imposition trop forte de la religion juive, intolérable dans un état démocratique. Dans son verdict final, la Cour ne s’est finalement pas opposée à la décision gouvernementale.
Certaines voix s’étaient élevées pour exprimer leur opinion à ce sujet. « L’instruction n’est pas valide dans son principe » a ainsi réagi le rabbin Eliyahu Abergel, membre du tribunal rabbinique, auprès du Times of Israel. « En principe, il est permis à un juif de voir un non-juif tenir un hametz, mais il lui est interdit de le tenir lui-même. Les fouilles effectuées sur les visiteurs dans les hôpitaux sont humiliantes, rabaissantes et insultantes ».
La question sous-jacente de la nature de l’Etat
Cette affaire éclaire les difficultés existant au sein de la société israélienne, dans un Etat se voulant tant démocratique que juif. Un éditorial du Jerusalem Post écrivait ainsi en juillet 2018 : « C’est absurde. Nous ne pouvons nous permettre de tolérer une coercition religieuse en Israël. C’est une erreur sur le plan moral, sur le plan démocratique et sur le plan religieux. Moralement, il est difficile de justifier le fait d’imposer des valeurs religieuses juives à la population non juive d’Israël. Qu’en est-il du père arabe voulant apporter à son fils de cinq ans sa gaufrette favorite ? (…) Démocratiquement, il est également compliqué de justifier cette imposition de valeurs religieuses. Les gens ont le droit de choisir. Les personnes laïques n’ont pas à abandonner leur vie privée juste pour que d’autres puissent suivre leurs obligations religieuses (…) ».
Le journal avait terminé son texte en alertant sur les dangers potentiels de cette décision : « une telle mesure crée de la mauvaise volonté, une aliénation, et un ressentiment plus grand encore ». Le débat autour de l’interdiction des aliments hametz dans les hôpitaux est en fait révélateur des débats existant autour de la nature d’Israël. En question centrale celle qui se pose depuis déjà longtemps est de savoir comment concilier Etat démocratique et Etat religieux ? De plus en plus de personnes parlent d’une « religionisation » de l’Etat hébreu, montrant que cette place grandissante de la religion serait une menace pour la pluralité du pays et la paix. Dans l’affaire des hôpitaux, une association laïque ainsi que Adalah, le centre légal pour les droits de la minorité arabe en Israël, s’opposaient à cette interdiction. De là à ce que certains voient dans l’application d’interdits juifs dans les hôpitaux une mesure discriminante pour les arabes israéliens, il n’y a qu’un pas. Les dissensions internes du pays et la complexité de sa société causent de nombreux débats, et l’affaire des hametz dans les hôpitaux en fait partie.
Image : Plastic bags conceal leavened foods that cannot be consumed during Passover in a Jerusalem supermarket. By Daniel Case, Creative Commons BY-SA 3.0.