Le 19 mars 2019, le Président Nursultan Nazarbayev a annoncé sa démission, effective immédiatement du poste de président du Kazakhstan. Il occupait le plus haut poste politique du pays depuis 1989. C’était le dernier dirigeant ayant gouverné au temps de l’URSS.
Sa démission, quoique soudaine, ne fut pas une totale surprise. En effet, depuis 2017, des changements constitutionnels indiquaient que Nazarbayev se préparait doucement à quitter le poste. La mort soudaine de l’ancien Président d’Ouzbékistan, Islam Karimov en septembre 2016 semble une des causes. En effet, la postérité d’Islam Karimov en Ouzbékistan est des plus négatives puisqu’il est vivement critiqué par ses successeurs. Le clan Karimov a perdu tous ses privilèges et la fille de l’ancien Président se trouve même en prison. Afin d’éviter un schéma similaire, le Président Nazarbayev a préféré démissionner. Il contrôle ainsi son départ et s’évite une postérité néfaste. En particulier, il s’est garanti l’impossibilité d’être poursuivi en justice pour tout acte commis durant sa présidence.
Evolutions démographiques et état actuel
A l’arrivée au pouvoir de Nursultan Nazabaryev en 1989, la minorité russe était de 37,42 %, soit environ six millions d’individus. A la chute de l’URSS, un premier exode de Russes a pris place. Entre perception d’un manque d’opportunités économiques et la mise en avant de la langue et de l’identité kazakes, 1,5 million de russes ont quitté le pays entre 1989 et 1999. La minorité russe étant composée de nombreux travailleurs qualifiés et éduqués, le gouvernement a mis en avant le caractère multi-ethnique du pays pour tenter de limiter cet exode. L’émigration des Russes a atteint son maximum de 344 000 individus en 1994. Toutefois, cette émigration a continué mais à un rythme moins élevé. La minorité russe est estimée à 3,588 millions en 2018 soit environ 20 %. La place des Russes s’est ainsi réduite au sein du pays ces dernières décennies.
Le départ de Nazarbayev de la présidence marque la fin d’un équilibre, comme l’explique Igor Pereverzev, commentateur russe basé au Kazakhstan. Le leadership post-Nazarbayev aurait moins à cœur l’équilibre entre les intérêts de la minorité russe et de la majorité kazakh. De plus, l’élite émergente est dans une approche de « Kazakh first ». Les Kazakhs sont dorénavant ascendants, que ce soit dans le gouvernement ou dans la fonction publique.
Partir avant qu’il ne soit trop tard
Les Russes ont vu le changement soudain du nom de la capitale comme un signe. En effet, le changement de nom a été voté et effectif dès le lendemain de la démission de Nazarbayev. La capitale, anciennement Astana, est désormais nommée Nur-Sultan en l’honneur de l’ancien Président. La minorité russe perçoit ce nom comme étant « de l’Est ». De par sa nouvelle sonorité, les Russes prennent le changement comme un signe pour émigrer. Si la minorité russe émigre dans les proportions attendues, celle-ci pourrait passer à moins de 10 % d’ici une décennie.
Si les statistiques manquent pour le moment, les réseaux sociaux démontrent un nouvel exode. D’après Pereverzev, les habitants d’Almaty, première ville du pays, apprennent chaque jour par les réseaux sociaux qu’une connaissance a émigré en Russie, malgré leur bonne situation économique. Pereverzev écrit également que même les Russes qui n’avaient pas précédemment songé à émigrer y pensent désormais sérieusement.
Division primaire : ethnique ou linguistique ?
Cependant, une grande partie des Kazakhs parlent russe. Le gouvernement continue de tenir ses rendez-vous en russe (langue officielle), ce qui offense de nombreux Kazakhs. De plus, les Kazakhs russophones sont généralement plus aisés et plus européen dans leurs opinions. Il existe donc une différence économique et sociale entre les Kazakhs russophones et ceux de langue kazakh. Ces divisions grandissantes au sein de la population du Kazakhstan pourraient résulter en une plus forte instabilité politique et sociale. Ces différences contribuent à frustrer les Kazakhs non-russophones. Ainsi pour Pereverzev, la division cruciale n’est pas ethnique mais entre monde russophone et celui de langue kazakh.
En outre, Pereverzev explique que les Kazakhs non-russophones plus conservateurs pourraient se sentir plus libres de faire prévaloir leurs opinions. Limitée jusque là, l’opinion plus traditionnelle a déjà prévalu. En effet, celle-ci a réussi à fermer les discothèques LGBT de la capitale et d’Almaty.
Nazarbayev avait en tête un programme de modernisation qu’il avait commencé à appliquer. L’éducation n’était pas un volet particulièrement développé. Bien qu’une éducation modernisée pour ceux de langue kazakh et l’apprentissage du kazakh pour les Russes aurait pu être mis en place. Si sa démission ne lui en a pas laissé le temps, ses successeurs semblent peu enclins à de telles initiatives. Les Russes en ont déjà tiré les conclusions et quittent le pays. Une prophétie auto-réalisatrice qui rend la dominance des Kazakhs de langue kazakh encore plus assurée dans la politique post-Nazarbayev.
Image : Almaty Kazakhstan Ascension, Creative Commons CCO