Élections législatives au Liban : percée de l’opposition et fortes tensions
Des élections législatives ont eu lieu au Liban le 15 mai 2022. Alors que la crise frappe le Liban et que l’opposition au système politique n’a jamais été aussi forte, cette dernière n’a fait qu’une percée relative à travers la voie des urnes. En effet, les mouvements de la thaoura (révolution) n’ont obtenu que 13 sièges de députés sur 128. Le Hezbollah et ses alliés chrétiens du Courant Patriotique Libre ont reculé. L’opposition de droite a progressé avec une hausse du nombre de député des Forces libanaises. Avec un taux de participation de 41%, les résultats de ces élections mettent en branle le système confessionnel libanais.
Des élections marquées par une forte polarisation du pays
La campagne des élections législatives au Liban s’est caractérisée par la polarisation entre partisans et opposants au Hezbollah, notamment la droite chrétienne, incarnée par les forces libanaises. Ces dernières reprochent au Hezbollah et ses alliés d’être les moteurs de la crise et de bloquer des réformes jugées nécessaires. Le Hezbollah et son allié Amal sont également accusés d’être responsables de l’explosion du port de Beyrouth et de bloquer l’enquête indépendante la concernant. Dans ce contexte déjà tendu, la campagne de la droite chrétienne a dénoncé l’alliance au pouvoir. Menée par Samir Geagea et son parti, les forces libanaises ont appelé à voter contre l’alliance au pouvoir.
Le Hezbollah au cœur des débats ou l’absence des principaux enjeux sociétaux
Le débat a essentiellement porté sur la branche armée du Hezbollah. Le scrutin a pris des allures de référendum pour ou contre le parti chiite. Pour rappel, les militants du Hezbollah avaient participé en octobre dernier à une manifestation contre l’enquête sur l’explosion et avaient défilés armés dans Beyrouth. Leur manifestation a déclenché des heurts dans le quartier chrétien de Tayouneh. Face à la présence du Hezbollah et de ses hommes en armes des franc-tireurs postés sur les toits avaient répondu par des tirs. Les affrontements avaient fait 7 morts. Cet événement a tendu les relations entre partisans et opposant du Hezbollah, principalement chrétiens. Ces derniers perçoivent le Hezbollah comme une menace, prête à déclencher une nouvelle guerre pour maintenir son pouvoir. Dans ce contexte, les revendications liées à l’établissement d’un système politique non-confessionnel et à l’introduction d’un mariage civil ont été occultées durant ces élections législatives.
Une campagne difficile pour les mouvements de la thaoura
Dans ce contexte, difficile pour les membres de l’opposition, issus des mouvements sociaux de 2019, de faire entendre leur voix. Ils appartiennent aux mouvements de la thaoura (révolution) commencée en 2019 et interrompue par la crise économique. Les revendications de cette opposition avaient cependant de quoi contrarier la politique traditionnelle du pays du Cèdre. En effet, la thaoura remet en cause certaines dispositions constitutionnelles. Au premier rang desquelles la fin de la répartition confessionnelle du pouvoir. Les membres de la thaoura réclamaient aussi plus de lutte contre la corruption, et l’adoption de mesures sociales pour sortir de la crise.
Cependant, la faible participation de la population du Liban aux élections législatives n’a pas joué en faveur de la thaoura. De même, l’absence de liste unique pour l’opposition populaire a pu perturber les votes en sa faveur. Toutefois, le vote des Libanais de l’étranger a permis à l’opposition de gagner plus de sièges que prévus. En Europe, et particulièrement en France, les Libanais ont principalement voté en faveur des candidats d’opposition.
La question de la répartition confessionnelle occultée
Au cœur des débats, la représentation confessionnelle a été mise en place à l’indépendance, en 1943. Par la suite, les accords de Taëf de 1989 l’ont figée dans le marbre. Ces accords mettent fin à la guerre civile et garantissent la répartition du pouvoir sur des lignes religieuses. Selon Karim Bitar, directeur du département de Sciences Politiques de l’Université Saint-Joseph, le débat sur le Hezbollah a occulté le débat sur ces sujets cruciaux. “On a joué de la politique de la peur et du repli communautaire. Le scrutin s’est transformé en référendum pour ou contre le Hezbollah, ce qui a compliqué la tâche de l’opposition », a-t-il affirmé.
La loi électorale votée en 2018 devait s’attaquer à l’abandon du système de représentation confessionnelle. Cette tâche est inscrite dans la Constitution, laquelle est modifiée et interprétée uniquement par la chambre des députés. La nouvelle loi ne met pourtant pas en cause la répartition confessionnelle du pouvoir, bien qu’elle permette à l’électeur de choisir un favori sur la liste pour laquelle il vote. Quelque soient les résultats, l’assemblée répond toujours à la répartition confessionnelle du pouvoir.
Un système électoral qui défavorise les outsiders
Les mouvements de la thaoura ont obtenu 13 sièges sur 128 aux élections législatives de 2022. Cet événement est un fait notable dans un pays tenu fermement par des partis traditionnels. Ce verrouillage découle d’un système électoral formellement et informellement monté au profit des partis claniques au pouvoir. Outre la loi électorale, modifiée en 2017 pour monter un système d’élection proportionnel de liste à un tour, la corruption et l’achat de voix constituent des pratiques extrêmement courantes au Liban. Ces achats de voix se font au travers du financement par de grandes structures de l’éducation des jeunes ou de services rendus dans les communautés. De fait, ces grandes structures sont au Liban issues des grandes familles qui dirigent le pays selon des lignes communautaires. Les outsiders, au contraire, sont souvent des étudiants, des journalistes, ou des personnalités économiques impliquées lors des mouvements.
Quelles perspectives pour le Liban ?
Dans un Liban qui continue de s’enfoncer dans la crise, l’arrivée au parlement de l’opposition permettra probablement de demander des comptes à la classe dirigeante. De plus, les candidats de la thaoura ont parfois obtenu des scores très importants dans des circonscriptions jugées conservatrices. Ces candidats ont été des concurrents sérieux pour les partis politiques traditionnels. Cette opposition doit toutefois réussir à s’entendre. L’enjeu est que les 13 députés nouvellement élus puissent montrer un bloc uni face aux partis traditionnels. Face à la crise qui se développe, la présence d’une nouvelle force politique aspire à initier des réformes qui auront un impact sur la situation économique du pays.
L’éclatement actuel du Parlement laisse présager de longs débats sur la formation du gouvernement, qui doit avoir lieu en octobre. Avec la thaoura, les prétendants au poste de premier Ministre devront être consensuels. La formation du gouvernement laisse donc présager de longs débats dans un pays divisé politiquement et socialement.
Arthur Ziadé
Observateur junior Liban/ Syrie