Au Liban, neuf pères de famille sillonnent les villes du pays pour y tenir des discussions de groupe sur les mariages précoces parmi les populations de réfugiés syriens. Ce sont eux-mêmes des réfugiés syriens qui ont souvent vécu personnellement le mariage précoce, leur épouse étant encore mineure à l’époque de leur union. Ils ont été choisis par le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) pour tenir le rôle de mentors auprès de leur communauté et organiser des sessions de formation visant à repenser les relations entre femmes et hommes et particulièrement les pratiques les plus inégalitaires. A l’occasion de ces réunions, les pères instruisent leurs pairs sur les conséquences physiques, psychiques et économiques des mariages précoces sur les jeunes filles.
L’UNFPA souhaite étendre le projet en recrutant et formant deux cents mentors capables de tenir à leur tour des réunions de formation au sein de leurs communautés. Le projet rencontre cependant des résistances auprès de la population car voir des hommes s’opposer aux traditions pour préserver les filles est encore tabou, d’autant plus lorsqu’il s’agit de prendre parti pour les droits des femmes. Les hommes sont encore considérés comme les garants des mœurs et il est mal vu qu’ils ne s’occupent des affaires des femmes.
Cette action a été couverte par les journalistes de Manning Up, projet qui retrace l’engagement d’hommes pour les droits des femmes à travers le monde. Manning Up a publié ce récit sur la plateforme News Deeply qui diffuse des informations sur les principaux enjeux humanitaires.
Le mariage précoce, entre motifs traditionnels et économiques
Le mariage avant l’âge de 18 ans est une violation des droits humains selon l’UNICEF, un enfant n’étant pas en mesure de donner son consentement libre et plein pour une telle décision. Les jeunes filles mariées avant l’âge adulte sont davantage exposées aux grossesse précoces, à la déscolarisation et aux violences conjugales. L’ICRW (International Center for Research on Women) rappelle que le mariage précoce ne trouve pas son origine dans une religion spécifique mais que plusieurs religions s’y trouvent associées.
Des études ont révélé qu’en dépit de son caractère traditionnel, le mariage précoce est fortement lié à la situation socio-économique des populations. Ainsi, au Liban, les jeunes filles issues de familles de réfugiés syriens ou palestiniens, soit les populations les plus défavorisées du pays, sont les plus susceptibles d’être mariées avant leur majorité. Les mariages précoces étaient environ quatre fois moins nombreux parmi les Syriens avant la guerre qu’actuellement parmi les populations syriennes réfugiées, donc la pauvreté et l’instabilité semblent y jouer un rôle. Les familles évoquent souvent le mariage de leur fille comme une nécessité pour alléger le foyer d’une source de dépense. Afin de lutter contre ce phénomène, les organismes compétents doivent donc prendre en compte les facteurs socio-économiques qui s’y rattachent.
Cependant, on aurait tord d’éloigner trop rapidement le facteur religieux. Il serait l’un des domaines qui opposent le plus de résistance à la régulation des pratiques matrimoniales dans le monde. Le problème concerne aussi 4 % des jeunes libanaises musulmanes ou chrétiennes (contre 27 % parmi les réfugiés syriens et 13 % pour les réfugiés palestiniens de Syrie). Au Liban, le mariage touche au statut personnel des individus pour lequel ce sont les autorités religieuses qui sont compétentes, et ces dernières sont hostiles à voir le Parlement interférer dans les domaines qui leur sont réservés. Le 18 mars 2017, le secrétaire général du parti chiite Hezbollah Hassan Nasrallah avait par exemple accusé les opposants au mariage précoce de « servir Satan », tandis qu’une députée proposait d’abolir les mariages des mineurs.
Image : syrian refugee children, By Russell Watkins/Department for International Development on Flickr, CC by 2.0 Creative Commons