La Ligue arabe s’inquiète de la rupture de l’accord de Taëf au Liban
La Ligue arabe, par son secrétaire adjoint, a proposé sa médiation pour sortir le Liban de la crise. Selon le média francophone libanais L’Orient-Le-Jour, il se serait également inquiété au sujet d’une potentielle rupture de la parité entre chrétiens et musulmans garantie par l’accord de Taëf du 22 octobre 1989. La question de la rivalité entre sunnites et chiites joue dans l’incapacité du Liban à former un gouvernement. L’affrontement larvé entre les monarchies du Golfe et l’Iran également. Pour de nombreux observateurs, la mainmise des élites est confortée par le système communautaire. Ces derniers, jugés responsables de la crise actuelle échappent en effet au débat sur la corruption.
« L’accord de Taëf n’est pas menacé, m’a assuré le président Aoun » , affirme le numéro deux de l’organisation panarabe, Houssam Zaki.
L’accord de Taëf reste la principale préoccupation de la Ligue arabe
Le Liban est sans gouvernement depuis l’explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020. La formation du gouvernement est bloquée par les rivalités interpersonnelles du président Aoun et du Premier ministre libanais Saad Hariri. Alors que le pays est ravagé par une crise économique et sociale qui a largement contribué à mettre en avant la corruption qui gangrène le pays, les puissances régionales s’inquiètent surtout du sort du modèle politique confessionnel libanais. La Ligue arabe a communiqué à la suite de la visite d’Houssam Zaki, sur la préservation de l’accord de Taëf. Les positions de la Ligue arabe ne semblent pas prendre en compte la question de la corruption. Elle élude également la responsabilité des élites libanaises dans l’effondrement économique du pays.
Le Liban, variable d’ajustement pour la région
Cette position révèle la place du Liban sur la scène internationale et au Moyen-Orient. En effet, il sert régulièrement de variable d’ajustement dans l’équilibre géopolitique de la région. La modification de l’accord de Taëf et l’adoption de la répartition du pouvoir par tiers plutôt que la parité entre musulmans et chrétiens donneraient plus de poids politique au Hezbollah chiite, client de l’Iran. Cette possibilité inquiète la Ligue arabe et les États qui en sont membres. Ces derniers sont majoritairement sunnites, dans un contexte international de forte tension avec l’Iran chiite.
Les problèmes structurels et les limites du confessionnalisme, un sujet peu abordé par les diplomates arabes
Cette position de la Ligue arabe révèle les prismes de lecture privilégiés pour analyser les différentes crises qui ont secoué le Liban depuis son indépendance. Les instances internationales ont tendance à analyser la plupart des problèmes du pays selon une grille communautaire et confessionnelle. La corruption ou les inégalités sociales passent souvent sous silence. Pourtant, ces problèmes structuraux de l’économie libanaise sont omniprésents dans la crise actuelle.
Un haut fonctionnaire libanais témoignait sur France Culture le 13 août 2020 après avoir démissionné de son poste de directeur des finances publiques libanaises. Il dénonçait le détournement d’argent public. Celui-ci alimente des organismes parapublics gérés de la manière la plus opaque par des « caciques » du régime libanais. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a annoncé à ce sujet que la France envisageait des sanctions à l’encontre des dirigeants.
Un pays pris en otage par le confessionnalisme et le jeu des puissances au Moyen-Orient
Ces éléments montrent bien à quel point le pays est prisonnier de la géopolitique de la région. Une répartition du pouvoir par tiers reviendrait à accorder une place potentiellement plus importante au Hezbollah dans la politique nationale. Cela explique l’attachement de la Ligue arabe à l’accord de Taëf. Le contexte politique et social est pourtant propice au changement et à l’abandon du système de répartition confessionnelle.
La société civile est prête à accepter le dépassement du clivage communautaire. Les manifestations qui secouent le Liban depuis octobre 2019 en témoignent. La jeunesse libanaise a clairement montré son désaveu envers les formations politiques traditionnelles, par les élections étudiantes ou encore la création de médias alternatifs. Comment expliquer la persistance des références à Taëf et la résilience des élites libanaises face à la contestation sociale ?
Les références aux accords de paix de la guerre civile sont un moyen pour le régime libanais d’affirmer son contrôle sur le pays. Et ce, malgré le fait que la situation actuelle ne découle pas fondamentalement de l’équilibre confessionnel du pays. La population et la presse libanaise commencent toutefois à amener sur la table la question de la corruption et de la mauvaise gouvernance du pays. Ces questions permettraient de remettre en question le monopole des élites libanaises sur la représentation nationale.
Conclusion
Cette différence entre les attentes de la population mobilisée dans les rues, et celles des puissances impliquées dans l’équilibre du Liban montre bien la difficulté pour le pays de s’administrer. Encore plus dans une région où les identités religieuses servent de variables d’ajustement à la politique des puissances. Elle permet également de mettre en avant la divergence entre la jeunesse progressiste libanaise et la position de ses dirigeants et des élites arabes conservatrices au pouvoir dans la région. Cette divergence risque de marquer la scène sociale et politique libanaise pour quelque temps encore.
Image : Le secrétaire général adjoint de la Ligue arabe, Houssam Zaki, lors d’un point de presse au palais de Baabda, le 8 avril 2021. Photo Dalati et Nohra