Les hira gasy voient le jour sous le règne d’Andrianampoinimerina au milieu du XIXe siècle. Ils avaient alors essentiellement un rôle politique de mobilisation, d’éducation et de divertissement du peuple. Ils auraient été créés par le roi pour divertir les bâtisseurs de digues au moment de l’extension des rizières à partir du 1803. La royauté merina se servait également de ces chants comme outils de communication pour répondre aux différentes doléances du peuple.
Malgré leur ton léger et divertissant, les textes des hira gasy ont gardé cette dimension politique durant la colonisation, et aujourd’hui encore ils sont l’expression des différentes préoccupations et plaintes des Malgaches (pauvreté, corruption, travail, et discrimination sont ainsi des thèmes récurrents).
On retrouve également les hira gasy au cœur de la religion traditionnelle malgache. Ils sont en effet souvent perçus comme sacrés et sont sollicités lors de la plupart des cérémonies rituelles telles que les secondes funérailles (famadihana). Le contenu des hira gasy, qui reprennent souvent les valeurs promues par la religion traditionnelle comme le respect de la famille et des ancêtres, en fait finalement un vecteur des principes religieux fondamentaux.
De nos jours, avec le déclin de la pratique de la religion traditionnelle malgache, nous pouvons nous interroger sur l’avenir du hira gasy, et plus spécifiquement sur l’avenir des acteurs de cet art traditionnel.
Nous nous intéresserons ainsi à la place du hira gasy dans la culture et la vie religieuse malgaches, pour finalement concentrer nos propos sur la profession elle-même, cet art traditionnel représentant un modèle économique particulier en constante évolution.
Hira gasy, religion et tradition : au cœur des cérémonies funéraires rituelles
Bien qu’il ne s’agisse pas de son unique espace d’expression, les hira gasy font partie intégrante depuis les années 1880-1890 des cérémonies rituelles de la tradition malgache, et notamment des cérémonies funéraires telles que le famadihana. Le famadihana ou « retournement des morts » est une cérémonie essentielle dans la pensée malgache selon laquelle les ancêtres communiquent avec les vivants et agissent dans tous les domaines de la vie quotidienne. Il s’agit alors de rendre hommage aux ancêtres qui en expriment le besoin au cours d’un rêve du doyen de la famille, par le changement des lamba (ou draps) et nattes des membres du tombeau familial.
Généralement les famadihana s’accompagnent de l’appel à une troupe de hira gasy pour une représentation personnalisée plusieurs jours voire plusieurs mois après la fin de la cérémonie. Les chants et les discours reprennent alors l’histoire familiale et mettent en scène le lien entre les vivants et leurs ancêtres. Ils symbolisent ainsi l’unité familiale. Sauf s’il est précisément sollicité par les ancêtres, aucune obligation rituelle n’est à l’origine de l’appel aux « mpihira gasy » (troupes de hira gasy). Il s’agit plutôt de rendre l’événement festif et joyeux : « On fait le hira gasy après la fête, il y en a qui le font un ou deux mois après le famadihana. Mais selon la tradition, le hira gasy est destiné à satisfaire ceux qui ne sont pas invités pendant le famadihana, tout le monde peut y assister, il n’y a pas de distinction ».
Le recours au hira gasy agit comme un marqueur social et permet de rendre l’événement mémorable. Il est le reflet de la réussite sociale de la famille. Certains font même appel à plusieurs troupes : « La réputation des troupes fait aussi indirectement celle du commanditaire », selon Françoise Raison. Les famadihana représentaient jusqu’à la fin des années 1990 presque l’exclusivité des prestations des chanteurs de hira gasy (entretien téléphonique réalisé avec Monsieur Arsène Randrianarisoa, 55 ans, chef du fokontany (quartier) de Miadanandriana, 10 avril 2020).
Le discours porté par le hira gasy est lui-même marqué par la religion et les valeurs traditionnelles malgaches. En effet, les plaintes et doléances sont souvent adressées à Zanahary, entité créatrice dans la tradition malgache. Les représentations commencent et se concluent souvent par une prière. Des références aux valeurs traditionnelles malgaches mais aussi au christianisme peuvent cohabiter au sein d’une même performance. Il est intéressant de noter ici que les hira gasy ont intégré les églises et les messes protestantes, conjointement à son intégration dans les famadihana.
Mpihira gasy : une profession à part entière et une gestion particulière
Il convient à présent de s’intéresser aux ressorts, à l’organisation et au mode de vie des mpihira gasy, ainsi qu’à la gestion d’une troupe de hira gasy.
Il semble que le mpihira gasy ne soit pas considéré par l’opinion commune ni par les autorités officielles comme un métier à part entière en milieu rural. Il s’agit en général d’un travail secondaire et très souvent les mpihira gasy ont la double casquette de paysans-chanteurs (entretien réalisé avec Monsieur Justin Razafinandrianina, 35 ans, chanteur dans une troupe de hira gasy, 10 avril 2020). Les tournées des chanteurs de hira gasy se font d’ailleurs pendant la période des famadihana, c’est-à-dire durant la saison sèche (juin à septembre), lorsque l’agriculture n’est plus possible. Les hira gasy apparaissent donc plus comme un revenu complémentaire. Ce manque de considération peut être dû à l’interprétation générale de la culture. Elle est en effet plus souvent associée au divertissement et à la tradition qu’au travail. Même dans les sociétés occidentales, la nouvelle considération des métiers artistiques n’est que le fruit d’une évolution récente.
La charge et le travail fourni n’en sont pas moins très élevés. Au-delà des nombreuses représentations pouvant aller jusqu’à 160 par an dans tout Madagascar, le travail d’écriture et de composition prend environ une année (Entretien téléphonique réalisé avec Monsieur Arsène Ransrianarisoa, 55 ans, chef du fokontany de Miadanandriana, 10 avril 2020). L’écriture se fait au bord de l’eau, de nuit pour le calme. Un juge (mpitsara) est chargé de vérifier et d’apporter les modifications nécessaires. Des répétions régulières ont lieu, deux fois par mois et plusieurs fois par jour à l’approche d’une tournée ou d’une représentation. Les responsabilités sont multiples et partagées. Le choix des costumes des femmes et leur confection font l’objet d’une longue réflexion, de même que l’organisation du calendrier des tournées et des revenus. Le calendrier doit en effet être arrêté avec les familles et il n’est pas rare qu’il faille l’adapter, en concertation avec la famille lorsque deux prestations se chevauchent.
Les troupes de hira gasy sont gérées à la manière d’une petite entreprise. L’administration des troupes est souvent faite par une femme qui tient aussi le rôle de compositrice. Le contact avec les familles se fait un an avant le famadihana, à l’origine par l’envoi des plus jeunes dans les villages pour entamer les négociations avec la famille, et de nos jours par téléphone. Des contrats écrits sont signés, qui comprennent la prestation, le transport, la nourriture et le logement de la troupe sur place. Les revenus de la troupe dépendent de sa réputation dans Madagascar. Certaines sont très connues et sont même diffusées à la radio. Une troupe moyenne touche environ 1,2 million d’ariary, soit environ 280 euros, par prestation. Il s’agit ainsi d’une activité lucrative pour le niveau de vie rural. Hormis le compositeur et les chefs de famille qui touchent une part plus élevée, cette somme est également répartie entre tous les membres de la troupe.
Enfin, quant au choix d’une carrière de mpihira gasy, il s’effectue autour de l’âge de 15 ans et suit l’individu jusqu’à la fin de sa vie. Ce métier se transmet généralement de génération en génération (entretien téléphonique réalisé avec Monsieur Justin Razafinandrianina, 35 ans, chanteur dans une troupe de hira gasy, 10 avril 2020).
Un avenir menacé ? Une profession en perpétuelle évolution
Pour finir, intéressons-nous à l’avenir des mpihira gasy et à son lien avec la religion.
De nombreuses études démontrent que les cérémonies de famadihana diminuent en quantité et en ampleur, pour des raisons économiques (baisse du niveau de vie et éclatement des richesses familiales). L’organisation d’un famadihana est coûteuse (zébus, porcs, transports, lamba, troupes de chanteurs) et les troupes de hira gasy sont souvent victimes des économies budgétaires qui doivent être effectuées. Les chanteurs de hira gasy sont progressivement remplacés par des moyens plus modernes tels que les CD ou la radio. Les cérémonies sont donc simplifiées lorsqu’elles ne sont tout simplement pas annulées.
Cet affaiblissement de la tradition annonce-elle une disparition du métier de mpihira gasy ?
S’il semble bien que l’art hira gasy soit menacé de disparition face à la concurrence d’autres chants et musiques étrangères, la baisse du nombre de famadihana ne semble pas inquiéter un mpihira gasy interrogé (entretien téléphonique réalisé avec Monsieur Justin Razafinandrianina, 35 ans, chanteur dans une troupe de hira gasy, 10 avril 2020). Les prestations des chanteurs de hira gasy se sont en effet diversifiées, pour s’adapter à cette évolution et les hira gasy interviennent de plus en plus au cours d’autres cérémonies familiales (naissances, circoncisions, mariages) ou officielles (inaugurations, fêtes villageoises ou nationales). C’est donc grâce à une diversification de son offre que le métier de mpihira gasy survit au déclin de la tradition et du famadihana. Le hira gasy est ainsi de nouveau en pleine évolution. Il tend progressivement à s’écarter de la religion et de la tradition pour ne plus représenter que le souvenir de l’histoire et des institutions passées de Madagascar. D’après le mpihira gasy interrogé, les prestations lors de famadihana représentent aujourd’hui la même proportion que pour les autres évènements familiaux et communautaires.
Il n’en demeure pas moins que les hira gasy restent très demandés et demeurent une activité lucrative, toute une génération de Malgaches cherchant à renouer le contact avec son passé et son patrimoine et y faisant donc régulièrement appel.
Aujourd’hui, le hira gasy tente également de s’exporter vers l’international grâce à certains de ses acteurs qui portent cet art à travers le monde. Des représentations exceptionnelles ont eu lieu à Paris en novembre 2018 et certains cherchent à inscrire le Hira gasy au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Image : Photo de Tsilavo Rapiera, 2015