« Dieu et le Seigneur nous ont donné les plantes médicinales pour aider les autres pays et le monde entier contre cette maladie »
Cette phrase a été prononcée à la fin de l’interview accordée par le président malagasy Andry Rajoelina à France 24 le 11 mai 2020. Il y défend le remède « Covid-Organics ». Cet élément démontre le lien fort dans son discours entre les arguments religieux, nationaux et scientifiques. En effet, l’écriture d’un récit national soutenu par un argumentaire religieux sert ici à la défense du remède prétendument scientifique contre le coronavirus prôné par le président à des fins politiques et économiques.
Malgré son isolement géographique, la grande île n’a pas échappé à l’épidémie du coronavirus. Elle a mis en place une fermeture des frontières le 20 mars 2020, et un confinement des régions les plus touchées (la région Analamanga au centre, la région Atsinanana à l’Est et la région Haute Matsiatra au centre-sud) la semaine suivante. Sur 322 cas confirmés, Madagascar compte au 19 mai 2020, 119 guérisons et 1 décès. Ces chiffres doivent toutefois être pris avec du recul au vu du faible nombre de tests réalisés. L’augmentation rapide du nombre de cas confirmés après les tests massifs réalisés dans l’Est du pays ces derniers jours en témoigne.
Andry Rajoelina a dévoilé le 20 avril 2020, un remède préventif et curatif contre le coronavirus, fait à partir de l’Artemésia Anua, une plante traditionnelle d’origine chinoise, très présente à Madagascar, qui stimulerait le système immunitaire. Elle a été prouvée efficace face au paludisme notamment. Cette décoction appelée « tambavy » en malagasy, développée par les chercheurs de l’IMRA (Institut Malagasy de Recherches Appliquées) est commercialisée depuis le 22 avril dans les pharmacies et les supermarchés malagasy. Ce remède est donné gratuitement aux populations vulnérables et aux enfants devant reprendre l’école. Andry Rajoelina affirme sur les chaînes nationales et internationales que ce remède a obtenu des résultats concluants sur des patients atteints du Covid-19 et qu’il ne présente aucun danger pour la santé. L’enjeu est de taille pour le président qui s’affirmera en cas de réussite en héros salvateur de sa nation. Alors que son efficacité ne fait pas encore l’unanimité à Madagascar, il cherche désormais à faire accepter et à exporter ce remède à l’échelle continentale et internationale. Ceci représenterait de très grandes retombées économiques pour Madagascar, le président Andry Rajoelina, et les lobbys de l’Artémisia qui cherchent depuis plusieurs années à réaliser des essais cliniques autour de cette plante.
Cependant la communauté internationale et l’OMS ont émis des réserves au sujet du remède, appelant à la prudence, arguant notamment qu’aucun essai clinique n’a été mis en œuvre pour attester de l’efficacité dudit remède. Ainsi, la représentante de l’OMS à Madagascar ne s’est pas présentée à la journée de lancement du Covid-Organics.
Le président y répond en montrant que du fait de son statut de remède traditionnel amélioré des « observations cliniques suffisent à la distribution de ce remède ». Il déplace ensuite le débat sur le terrain géopolitique panafricain en affirmant que « le problème, c’est que [ce produit] vient d’Afrique et on ne peut pas admettre, on ne peut pas accepter qu’un pays comme Madagascar ait mis en place cette formule pour sauver le monde ». Dans ce même interview pour France 24, il utilise enfin les sentiments identitaires chers aux Malagasy, en employant des termes en malagasy et en adoptant une position ferme sur la question géopolitique des îles Éparses (petites îles françaises situées au large de Madagascar, enjeux d’un conflit géopolitique entre ces deux pays).
Il est surtout intéressant de noter les nombreuses références religieuses qui viennent soutenir sa communication, avant même la commercialisation du remède. En effet, le 16 avril 2020, soit dix jours seulement après l’annonce des recherches menées sur ce remède, un documentaire a été diffusé sur la chaîne nationale publique et sur la chaîne du président. Il relate le mystérieux voyage d’une prophétesse brésilienne ayant parcouru Madagascar en novembre dernier. Cette prophétesse avait annoncé que Madagascar sauverait le monde d’une guerre biologique. Ce documentaire a suscité beaucoup de réactions sur les réseaux sociaux, donnant de l’espoir à certains et nourrissant des critiques et des accusations de propagande chez les autres. Madagascar est présentée comme une terre choisie par Dieu pour changer le cours de l’histoire. Les références religieuses sont tout aussi nombreuses dans chacune des allocutions du président à la télévision ou sur les réseaux sociaux. Cet usage de l’argument religieux par un président dans le domaine scientifique peut surprendre. Premièrement du fait de la laïcité de l’État, inscrite dans la Constitution de la Quatrième République malagasy du 6 décembre 2010, mais aussi du fait de la distance dans la philosophie moderne qui place, sans pour autant les rendre inconciliables, la science et la religion dans des domaines opposés. Les éléments de langage religieux serviraient-ils à pallier le manque de certitudes scientifiques du Covid-Organics ?
Le choix de cet argumentaire religieux et son efficacité s’explique à Madagascar par une forte présence chrétienne catholique et protestante, par l’importance de la religion et de la croyance dans les valeurs de la nation : Finoana, Fanantenana, Fitiavana (Foi, Espérance et Amour).
Par ailleurs, phytothérapie et religion semblent intimement liées à Madagascar. Ceci tient son origine dans la religion traditionnelle malagasy, qui peut user des plantes dans les rites de guérison, à la fois pour ses composantes biochimiques et pour son rôle magico-religieux.
Enfin, Madagascar est marquée par une forte imbrication non dissimulée du politique et du religieux. En effet, la religion, et notamment les grandes congrégations religieuses luthériennes (FFKM et FJKM) restent à Madagascar une clé de l’accession au pouvoir politique sur lequel Marc Ravalomanana (président malagasy de 2002 à 2009) a par exemple su s’appuyer et qui ont joué un rôle dans chacune des crises politiques. Ainsi, la question de la fermeture des lieux de culte fait l’objet, depuis le début de l’épidémie, de fortes protestations des Malagasy. Le président se montre rassurant à ce sujet, affirmant que chaque quinzaine, les décisions de la Présidence sont prises à la suite notamment d’une consultation des autorités religieuses. Certaines églises reformées de la FJKM ont par exemple réouvert leurs portes dès le 26 avril alors que l’état d’urgence sanitaire n’était pas encore levé ; ce qui témoigne de la faible marge de manœuvre politique sur la question religieuse à Madagascar.
Ainsi, la gestion de la crise du Coronavirus et la promotion d’un remède « miracle » semblent être révélatrices des enjeux forts que présente la religion à Madagascar. Elle se trouve plus que jamais au cœur des préoccupations de la population malagasy et reste un outil essentiel à la communication politique.
Image : Compte officiel du président, Twitter