Vendredi 5 avril, des milliers de manifestants se sont réunis place de l’indépendance suite à l’appel de certains leaders religieux, dont l’imam Dicko, président du Haut Conseil Islamique malien (HCIM). L’association Peule Tubital Pulaaku et des partis d’opposition avaient également appelé leurs partisans à défiler dans les rues de Bamako. Initialement prévue pour dénoncer le conflit communautaire au centre, la manifestation s’est transformée en une marche de protestation contre le gouvernement et sa politique. La MINUSMA et la présence française au Mali ont été critiqué également. Si l’événement a réuni une foule relativement nombreuse, plus de 10 000 personnes selon les diverses sources, il a été l’objet de dénonciations de la part des acteurs politiques maliens.
Un appel à manifester initialement lancé par des leaders religieux
Dimanche 31 mars, l’imam Dicko, ainsi que le chérif Mohamed Ould Cheikhna de Nioro du Sahel, avaient appelé la population à manifester dans les rues de Bamako, le vendredi 5 avril. Relayé durant toute la semaine par les médias, l’événement a pris de l’ampleur et de nombreux acteurs de la société civile, associations et partis politiques, ont décidé de se joindre au rassemblement. Vendredi, certaines personnes étaient même venues du sud et de la région de Ségou, avant d’avoir dormi dans des mosquées à Bamako, pour se réunir tôt le matin.
L’imam de Bamako a mobilisé ses fidèles afin de dénoncer la mauvaise gestion du conflit communautaire par le gouvernement. Comme celui-ci l’a affirmé peu avant le rassemblement : « il s’agit de dire les derniers messages au Président de la République… Trop c’est trop. IBK saura que le pays ne lui appartient pas. Il lui a été confié. Le pays appartient au peuple. On ne peut pas tuer les gens n’importe comment et faire croire que ce sont les Peuls et les Dogons qui s’entretuent. Ce n’est pas vrai. Ils veulent créer une guerre civile dans le pays ». Le 10 février dernier déjà, Dicko avait réuni des milliers de personnes au stade du 26 mars afin de prier pour la paix au Mali. Ce rassemblement religieux s’était transformé en meeting politique, émaillé de plusieurs attaques virulentes à l’encontre du Premier ministre Boubeye Maiga, dont l’imam exigeait la démission immédiate. Nombreux ont été les participants qui ont quitté le stade en affirmant que le rôle d’un leader religieux n’est pas de s’ingérer dans les affaires politiques. Cet événement avait été à l’origine de nombreuses dissensions parmi les représentants du Haut Conseil Islamique malien, qui reprochaient à Dicko d’outrepasser sa fonction de chef religieux. Cette fois-ci, Dicko a appelé ses partisans sans cacher la finalité politique du rassemblement : dénoncer l’inefficacité du Président IBK et de son gouvernement dans la gestion de la crise que traverse le pays.
D’autres acteurs de la société civile ont déclaré peu à peu vouloir se greffer à la manifestation. D’abord, l’association Peule, Tabital Pulaaku, a annoncé se joindre au rassemblement pour exiger le dépôt des armes des milices et mettre fin au cycle de vengeance entre les communautés. Des partis politiques d’opposition (ADP, COFOP) ont appelé leurs partisans à rejoindre l’Imam. « Le vendredi, il y a la marche des religieux, nous demandons à nos militants et à nos militantes de participer à cette marche. On arrêtera plus la manifestation car il n’y a aucune raison. C’est un droit constitutionnel. Nous n’allons pas en abuser mais on va en user comme il faut » ont expliqué les responsables du Front pour la Sauvegarde de la Démocratie (FSD) dans un communiqué de presse. Enfin, des acteurs de mouvements sociaux en cours se sont greffés à la manifestation, comme les syndicats d’enseignants, actuellement en grève et au cœur d’un bras de fer avec le gouvernement.
Une manifestation sans incidents majeurs
Les manifestants étaient attendus à la place de l’Indépendance après la prière du vendredi midi. Selon les autorités, les manifestants étaient 10 000 et 15 000 selon les organisateurs. Un important dispositif de sécurité a été mobilisé pour l’occasion. Le gouverneur du district de Bamako avait interdit la manifestation quelques jours plus tôt. Les gardes nationaux étaient présents avec des camions équipés de canons à eau pour disperser les manifestants. Aucun incident majeur n’a cependant été observé. Une foule de manifestants a essayé d’attaquer la maison du Premier ministre, mais a été rapidement dispersée par les forces de l’ordre. De nombreux slogans et pancartes réclamaient le départ d’IBK mais aussi celui de la MINUSMA et des militaires français. C’est la plus grande manifestation observée à Bamako depuis l’élection présidentielle l’été 2018.
L’imam Dicko, la place d’un leader religieux sur la scène politique
Pourtant, ce qui devait être un coup de force pour l’imam Dicko, a été à l’origine de vifs débats dans les médias maliens. Force est de constater qu’il est loin de faire l’unanimité sur la scène politique. Ses partisans ont été beaucoup moins nombreux que lors du dernier rassemblement au stade du 26 mars, où ils étaient plus de 50 000. L’imam Dicko avait été critiqué pour avoir rassemblé les religieux pour prier pour la paix, prière qui s’était ensuite transformée en meeting politique.
Beaucoup affirment, même au sein du Haut Conseil islamique malien, que ce n’est pas à un leader religieux d’utiliser son statut pour faire de la politique et entrer publiquement en conflit avec le gouvernement. Le Mali a hérité de la colonisation française du principe de laïcité, garantie par la Constitution de 1991. Si 95 % de la population est musulmane, le principe qui stipule que la sphère politique est séparée du religieux est profondément ancré dans la pratique politique. C’est dans ce contexte qu’il est reproché à l’imam Dicko d’utiliser de son influence religieuse à des fins politiques. Une prise de parole de l’iman sur les événements de vendredi est désormais attendue pour cette semaine.
Image : Monument de l’indépendance, quartier du fleuve-Bamako, Mali by Rgaudin, Wikicommons