Depuis le massacre d’Ogossagou, la milice de chasseurs dogons Dan Nan Ambassagou est au cœur des débats sur la sécurité au centre. Autrefois allié plus ou moins assumé de l’Etat malien dans sa lutte contre le terrorisme, la milice est aujourd’hui considérée par le Président IBK comme indésirable. Dimanche 24 mars, le Président malien déclarait sa dissolution lors d’une réunion extraordinaire avec les membres du gouvernement. Depuis, la tension est montée avec la milice qui se déclare de plus en plus hostile au gouvernement.
2016, apparition de Dan Nan Ambassagou
La milice Dan Nan Ambassagou est créée officiellement à la fin d’année 2016. À l’origine, Dan Nan Ambassagou a pour objectif de lutter contre le terrorisme et la criminalité dans le centre du Mali. Présente dans la région de Mopti, elle est active dans le cercle de Koro, de Bandiagara, de Douentza, de Tenenkou et de Niono. Son apparition est la conséquence de la crise dans laquelle est plongé le centre du Mali depuis 2012. À cette période, alors que les yeux sont braqués vers le nord et scrutent avec inquiétude l’avancée des djihadistes, le centre du pays est lui aussi touché par une crise multidimensionnelle. Les populations en ressentent les effets de manière très concrète : désertion de l’Etat et des services essentiels à la population, multiplication de la criminalité et du banditisme, détérioration de la situation économique et pénétration des djihadistes. La remontée de l’armée malienne vers le nord après l’opération Serval ne va pas s’accompagner d’une amélioration de la situation sécuritaire.
Apparaît alors la Katiba du Macina, en janvier 2015, dirigée par le prédicateur peul Amadou Koufa. La Katiba du Macina commence à mener des assassinats ciblés des représentants de l’Etat, mais aussi à organiser des attaques terroristes de grandes ampleurs, comme celle de Nampala en 2016, dans le cercle de Niono. La désertion de l’Etat malien dans les zones où la sécurité s’empire de jour en jour accroît l’inquiétude des communautés qui fondent des milices, bien souvent à base ethnique. Si l’armée malienne est bien présente dans ces zones, le manque d’effectif et de moyens l’empêche d’accomplir sa mission : protéger la population.
Dan Nan Ambassagou naît à cette période mouvementée dans le centre, officiellement pour protéger le pays dogon (cercle de Bandiagara) des incursions des djihadistes d’Amadou Koufa. C’est précisément ainsi que ses dirigeants justifient sa création : l’armée étant incapable d’assurer la protection des populations dogons, la milice doit seconder l’Etat dans sa mission et garantir elle-même la sécurité de sa communauté. Dan Nan Ambassagou dispose alors d’une branche politique et militaire. Le chef de la milice est Youssouf Toloba, un chasseur traditionnel du cercle de Koro. La milice recrute principalement des chasseurs traditionnels mais aussi des jeunes issus des villages du pays dogon. Les chasseurs dogons de la milice sont aperçus avec des forces armées maliennes, parfois pour les guider, d’autres fois pour les renseigner. Les rumeurs courent, toutefois non vérifiées, que le gouvernement finance et arme la milice pour l’aider dans sa tache de stabilisation du centre. Il est vrai que certains chasseurs appartenant à la milice n’ont plus rien de chasseurs traditionnels. Parés de gris-gris et d’habits de dozos, certains groupes disposent d’armes lourdes, de 4×4 et de gilets par-balles.
Au delà de la milice : le contexte spécifique du centre et l’enracinement du conflit
Dan Nan Ambassagou va rapidement se distinguer par des actes de violences sur les populations commis dans le cadre de sa lutte contre le terrorisme. À partir de 2018, la milice est tenue pour responsable d’exactions commises contre des civils peuls. En 2018, le gouvernement malien semble prendre conscience du danger qui émane de la présence de Dan Nan Ambassagou au centre. Début octobre 2018, le Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, rencontre Youssouf Toloba et tente d’intégrer certains éléments de la milice dans un programme de DDR étendu au centre. Alors que le gouvernement souhaite le désarmement, la situation sécuritaire au centre ne cesse de se détériorer. Dans ce contexte, le désarmement représente un danger pour tout groupe armé impliqué dans le conflit. Les diverses tentatives de médiations entreprises fin 2018 vont successivement échouer. Comme le reconnait le Premier ministre lors de sa visite à Mopti en octobre, prendre les armes est également devenu une option économique pour des populations de plus en plus vulnérables.
La situation au centre est telle que l’engagement dans un groupe armé est une opportunité attractive pour les jeunes. L’engagement permet de jouir d’un certain prestige, d’un confort matériel, mais aussi d’assurer la protection des siens alors que les conflits communautaires sont de plus en plus meurtriers. Aussi, l’insécurité et la crise ont fait renaître des tensions pré-existantes autour des terres entre les communautés peules et dogons. Dans le même temps, la katiba du Macina recrute principalement des Peuls. En s’érigeant en défenseur de cette communauté, ils facilitent ainsi les amalgames entre Peuls et djihadistes. Ainsi, la milice Dan Nan Ambassagou attaque bien souvent des civils sous prétexte de lutter contre le terrorisme. Cependant, il est difficile de savoir ce qui motive réellement ces actions. En retour, les milices peules se lancent dans des représailles, complexifiant ainsi la situation et brouillant le rôle des acteurs dans la crise au centre. Comme le note Dougoukolo Alpha Oumar Bar Konaré, plus inquiétant aujourd’hui est l’apparition de discours racistes et génocidaires chez certains chasseurs dogons. Selon ces discours, les Peuls seraient inférieurs et devraient être chassés par tous les moyens. Sur les réseaux sociaux, une dangereuse rhétorique s’installe également à propos du pays dogon, qui fait de celui-ci le territoire ancestral et exclusif des Dogons. Le mode opératoire du massacre de Koulogon et plus récemment d’Ogossagou, lors duquel des femmes enceintes se font fait éventrer, témoigne bien d’une gradation dans la haine de l’autre.
Montée des tensions entre le gouvernement et Dan Nan Ambassagou
Depuis le massacre d’Ogossagou, dont la milice a nié être l’auteur, les tensions sont montées entre le gouvernement et Dan Nan Ambassagou. Sous la pression de l’opposition et de la communauté internationale, IBK a réagi fermement et souhaité lever toutes les ambiguïtés sur les liens supposés entre la milice et l’armée malienne. Le lendemain du massacre, IBK proclamait la dissolution de la milice lors d’une réunion extraordinaire avec le gouvernement. Sans attendre, Youssouf Toloba lui rétorquait dans une vidéo que l’Etat ne pouvait dissoudre une milice qu’il n’a pas créé. Si l’association est en effet bien dissoute, dans les faits, les hommes de Toloba occupent toujours les cercles du centre. IBK souhaitait également le désarmement de la milice. Cependant, Youssouf Toloba a affirmé que les conditions sécuritaires au centre ne permettaient pas d’envisager un tel désarmement. Il ajoute qu’« il faut un désarmement des cœurs avant celui des mains ».
La semaine qui a suivi le massacre d’Ogossagou et l’annonce de la dissolution de la milice prouve que la question de Dan Nan Ambassagou est de plus en plus complexe. Le jeudi 4 avril, des manifestations contre l’insécurité au centre ont eu lieu à Bankass, Koro, et Bandiagara. Principalement menées par la communauté dogon, des manifestants ont apporté leur soutiens à la milice de Youssouf Toloba. Il est vrai que les milices peuvent jouir d’une grande popularité chez certains alors que l’armée malienne, faute d’effectif et de moyen, peine à assurer la sécurité des individus. Comme en témoignent les manifestations, l’armée est jugée parfois sévèrement par les habitants, qui lui reprochent son manque d’efficacité voir son attentisme. Dans ces conditions, il est difficile d’imaginer les Forces armées maliennes (FAMA) s’engager dans une opération de désarmement des milices dogons au centre. Divers médias maliens font état d’une situation de plus en plus tendue sur le terrain entre les FAMA et Dan Nan Ambassagou. Youssouf Toloba a déjà fait part de sa volonté de s’opposer à toute opération de désarmement. Des affrontements entre les FAMA et les chasseurs de la milice, comme il y en a déjà eu par le passé, ne sont plus à exclure.
Image : Bandiagara escarpment, villages dogons, by Ferdinand Reus, Wikicommons CC BY 2.0