Après avoir recueilli 67,17 % des voix lors du second tour l’opposant à Soumaïla Cissé, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) vient d’être réélu pour un second mandat. Alors que l’opposition conteste les résultats d’une élection marquée par un fort taux d’abstention, le nouveau président fait face à de nombreux défis. Tensions persistantes dans le Nord, affrontements communautaires au centre du pays, économie en berne : la société malienne est aujourd’hui divisée. Si les djihadistes ne menacent plus d’entrer à Bamako, fait qui avait décidé de l’intervention française en janvier 2013, ils se sont fondus dans la population. L’insécurité s’est étendue au centre du pays et l’Etat peine dorénavant à contrôler l’ensemble du territoire. Nombreux sont les fonctionnaires qui ont quitté leurs postes au cœur du pays. L’insécurité empêche les écoles d’ouvrir leurs portes à nouveau. Le recul des institutions a favorisé le repli communautaire, des milices voient ainsi le jour et se substituent à l’Etat. Dans la région de Mopti, les affrontements entre communautés, notamment les Peuls et Dogons, ont déjà fait de nombreuses victimes. La situation n’est plus celle de 2013. Ce n’est plus l’intégrité territoriale du Mali qui est en jeu mais le pluralisme et le vivre ensemble. Le quinquennat du président IBK sera, en cela, déterminant.
Le programme du candidat élu : « Notre Grand Mali Avance »
C’était en début juillet, qu’au milieu de ses partisans regroupés dans l’hôtel Sheraton de Bamako, IBK présentait son programme intitulé « Notre Grand Mali Avance ». Le candidat notait, non sans un sourire, que la construction de l’hôtel lui-même témoignait des efforts entrepris depuis 2013, l’année du début de son premier mandat.
Le programme se veut en effet la continuité de celui de 2013 : « le Mali d’Abord ». Découpé en cinq axes prioritaires, IBK fait de l’amélioration de la gouvernance et des institutions sa priorité. En réalité, en témoigne le programme, c’est surtout la question sécuritaire qui préoccupe le nouveau président. La pérennisation de la loi d’orientation du programme militaire (LOPM) et de la Loi de Programmation sur la Sécurité intérieure (LPSI) seront les deux chantiers du quinquennat. Le redéploiement progressif de l’armée reconstituée, le recrutement de plusieurs milliers de militaires ainsi que le renforcement des capacités opérationnelles seront aussi au centre des efforts. A cela il faut ajouter la dimension plus politique du retour à la paix : la promotion du dialogue communautaire, la poursuite de la décentralisation par l’amélioration des ressources des collectivités territoriales et le renforcement de la présence des institutions dans les zones rurales sont aussi présentés comme des éléments fondamentaux. Tels sont les grands axes du programme que propose IBK pour rétablir la paix au Mali.
Tensions suite aux élections et nouveaux défis dans le centre du pays
Pourtant la tâche s’avère difficile. D’abord car les résultats de l’élection sont fortement contestés. Le camp de Soumeila Cissé a affirmé peu après la publication des résultats que la victoire du président IBK « ne reflétait pas la vérité des urnes » et serait par conséquent contestée « par tous les moyens démocratiques ». L’Union Européenne ainsi que les Nations unies avaient déjà appelé toutes les parties à conserver le calme jusqu’à la conclusion du processus électoral tout en évitant les rhétoriques incendiaires. Il faut ajouter que le deuxième tour a peu suscité l’enthousiasme de la population : seuls 34 % des maliens inscrits sur les listes électorales ont participé au scrutin.
Le projet d’IBK, contrairement à 2013, ne fait pas consensus. Dans ce contexte, la capacité du pouvoir en place à travailler avec l’opposition durant le quinquennat sera un élément important pour la réalisation du projet de paix. Le besoin d’unité est d’autant plus urgent que les dissensions communautaires s’accentuent au centre du pays. Le dernier rapport du Secrétaire général des Nations unies sur la situation au Mali en Juin 2018 fait état d’une situation sécuritaire préoccupante dans la région de Mopti. Les affrontements entre Peuls et Dogons se sont multipliés tandis que de nombreux actes de violences ont été commis contre les communautés touarègues dans le sud de la région de Manéka. Toujours selon ce rapport, les violences commises sur les civils ont, elles aussi, augmenté. Ces violences impliquent bien souvent les forces de sécurité maliennes et des milices d’auto-défense, plus ou moins proches de l’armée. Selon le rapport de l’ONU et de la dernière enquête sur les droits humains au Mali menée par Human Rights Watch, des actes de tortures et des exécutions extrajudiciaires ont été commises par l’armée malienne. Ce climat délétère nourrit le ressentiment des communautés à l’égard de l’Etat malien, compromettant ainsi la paix future.
Façonner le vivre ensemble en situation de crise, la tâche ardue du nouveau président
Face à cette mutation du conflit malien, la réponse de l’Etat ne peut être seulement sécuritaire mais aussi politique. C’est ce que l’ONU a rappelé dans la récente résolution 2423 adoptée par le Conseil de Sécurité fin juin. Le dialogue communautaire, l’un des chevaux de bataille du candidat Soumaïla Cissé, est maintenant essentiel pour assurer durablement la paix. Cette tâche longue et complexe incombe désormais au président IBK. Au-delà des mots et des programmes, c’est surtout d’une volonté politique à toute épreuve dont il faudra user.
Image : Ibrahim Boubacar Keïta au Parlement européen Strasbourg, by Claude TRUONG-NGOC. Wikimédia commons, BY-SA 3.0