Au Mali, la fête des martyrs du 26 mars, célébrant la démocratie et le multipartisme, a été reléguée au second plan alors que le conflit communautaire au centre est plus que jamais au cœur des débats. Peu après le massacre d’un village peul le 24 mars, dans le cercle de Bankass (centre du Mali), Ibrahim Boubacar Keïta a tenu a montré qu’il était capable de réagir avec fermeté. Cependant, les mesures prises ne semblent pas pouvoir enrayer le conflit communautaire.
Des mesures fortes…
Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a réagi avec fermeté au massacre du village peul d’Ogossagou. L’enjeu était important. Il voulait rassurer les populations et réaffirmer que la sécurité de tous est la priorité de l’Etat. Le 24 mars dernier, une bande de présumés chasseurs dozos avait fait éruption dans le village peul d’Ogossagou faisant plus de 150 morts. Par sa violence, l’événement a provoqué de vives réactions au Mali et parmi la communauté internationale. Cette attaque est survenue peu après l’assaut des radicaux sur le camp militaire de Dioura, faisant 21 morts parmi les forces armées maliennes. Déjà, le Président Boubacar Keïta avait dénoncé les manquements et les errements des forces militaires lors de cette attaque vécue comme une humiliation.
Le lendemain du massacre, dimanche 25 mars, Ibrahim Boubacar Keïta a réuni un conseil des ministres extraordinaire pour annoncer le limogeage des chefs militaires, dont le chef d’état-major général des armées, ceux de l’armée de terre et de l’air. Enfin, le Président a annoncé la dissolution de la milice de chasseurs citée comme responsable de l’attaque : Dana Ambassagou. Son chef, Youssouf Toloba, avait pourtant nié l’implication de ses hommes dans cette tuerie.
… qui n’ont pas empêché les contestations
Avec ses mesures, il souhaite montrer plus de volontarisme pour endiguer le conflit communautaire au centre. D’une part, Ibrahim Boubacar Keïta met fin à toutes accusations de partialité dans le conflit opposant Dogons et Peuls. Les associations peules, dont Tabital Pulaaku, la plus importante, accusent en effet l’Etat de souvent fermer les yeux sur les violences concernant leur communauté dans le centre. Selon ces associations, il existerait une trop grande proximité sur le terrain entre les chasseurs dozos et les forces armées maliennes. Les associations peules accusent également le gouvernement de déléguer le maintien de la sécurité et la lutte contre le terrorisme à cette milice.
Avec la suppression de Dana Ambassagou, le Président a voulu montrer que l’Etat reprenait dorénavant le monopole de la sécurité sur tout le territoire. Le limogeage de la hiérarchie militaire intervient pour « resserrer les rangs », alors que les manquements des militaires sont trop souvent pointés du doigt par les populations. En effet, pendant l’attaque d’Ogossagou, des militaires se trouvaient présents à 13km des lieux lorsqu’ils ont été alertés. Pourtant, ces derniers sont arrivés tardivement et n’ont pu empêcher le massacre. Lors de sa visite au village d’Ogossagou, IBK a tenu à rappeler avec force que le Mali était en guerre, et qu’aucun manquement ne pouvait être toléré. Malgré ces mesures, de nombreuses contestations ont émergé au centre du pays, à Mopti ou encore à Ségou. Elles visaient à remettre en cause la légitimité du Président et de son Premier ministre, Boubeye Maiga. Ces manifestations de colère dénoncent l’incompétence de la classe politique et des militaires dans la gestion de la crise sécuritaire.
Des mesures dont la portée réelle reste toutefois limitée
En réalité, les mesures prises par IBK semblent des effets d’annonce. Elles ne sont pas susceptibles d’enrayer le conflit communautaire entre Peuls et Dogons au centre. La dissolution de l’association Dana Ambassagou ne peut empêcher ses miliciens sur le terrain de commettre des exactions. Ils peuvent continuer à se présenter comme des remparts face à la criminalité et la menace terroriste. Son chef, Youssouf Toloba, s’est déjà prononcé contre cette dissolution. Il affirme que l’Etat ne peut dissoudre une milice qu’il n’avait pas créé. Si la branche politique de l’association est bien dissoute dans les faits, les miliciens de Dana Ambassagou sont, eux, toujours présents au centre. Ils sont mobiles et parfois lourdement armés, d’ailleurs souvent soutenus par les communautés elles-mêmes. Elles les considèrent comme les garants de leur sécurité face à un Etat qui peine à contrôler les zones rurales. Toloba a affirmé qu’il ne désarmerait pas ses milices avant que le désarmement des autres groupes d’auto-défense de la région ne soit programmé et effectué. Les forces armées qui patrouillent au centre, déjà débordées et sous la menace constante des radicaux, risquent d’avoir des difficultés à s’engager dans une opération complexe de désarmement des milices.
Enfin, le limogeage des hauts gradés ne peut masquer les problèmes de fonds auxquels font face les forces armées maliennes. Le manque de moyens et d’effectifs les empêchent de lutter à la fois contre les radicaux et de prévenir les conflits communautaires.
Image : Le président de la république malienne, Ibrahim Boubacar Keïta au Parlement européen de Strasbourg le 10 décembre 2013, by Claude Truong-Ngoc, Wikicommons